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Notes de lecture (économie) – IV/XIII

« L’État est essentiellement le résultat des succès réalisés par une bande de brigands, qui se superpose à de petites et distinctes sociétés », Bertrand de Jouvenel dans « Du pouvoir : histoire naturelle de sa croissance »

Tableau 8 – Franz Oppenheimer (1864-1943) est essentiellement connu pour son ouvrage « Der Staat » (paru en 1908) où il analyse l’origine de l’État et son développement. Sa thèse de doctorat en économie porte sur David Ricardo, un penseur qui eut une forte influence sur ses travaux.

Franz Oppenheimer estime qu’il n’y a que deux manières (exclusives l’une de l’autre d’acquérir de la richesse : l’une par la production et l’échange volontaires (la « voie économique »), l’autre par l’emploi de la force, de la violence (la « voie politique »). Selon Murray Rothbard (voir « The Anatomy of the State »), il devrait être entendu que la raison et l’énergie doivent guider l’homme dans ses rapports de production car ce sont les conditions majeures de sa survie, une attitude centrale de l’anarcho-capitalisme. Fort de cette « loi naturelle », il s’en suit que la violence, en particulier l’accaparement des biens de l’autre, est contraire à cette loi. La « voie économique » ajoute, la « voie politique » soustrait car elle détourne la production au profit d’un individu ou d’un gang, ce qui pousse le producteur au découragement, à l’inertie. Le voleur ou le groupe de voleurs finit donc par réduire voire supprimer le produit de son vol. C’est ce qu’on a pu massivement observer en U.R.S.S. et dans les pays du bloc soviétique, notamment quant à la production agricole. Les paysans traditionnellement malmenés (voire massacrés, on se souvient des koulaks) par le régime car considérés comme « réactionnaires » ne s’épuisaient pas pour produire beaucoup plus que ce qui leur permettait de subsister.

Franz Oppenheimer retrace donc la genèse et le développement de l’État. Dans son analyse, il dépasse toutes les catégories dans l’espace et dans le temps et prend note de ce fait : un État naît et se constitue toujours dans la violence, vol et meurtre.

Dans un premier temps, las de tant de violence, le paysan (le sédentaire), principale victime, finit par accepter son sort. L’agresseur (le nomade) finit par comprendre qu’il a besoin de l’agressé pour assurer sa subsistance ; aussi l’épargne-t-il et épargne-t-il ses biens afin qu’il cultive et produise. Il ne pratique plus la violence à moins qu’il ne sente son autorité menacée. Le nomade laisse au paysan ce qu’il lui faut pour vivre et produire et ne s’approprie plus que l’excédent. Et Franz Oppenheimer en vient à la métaphore de l’« État-ours » et de l’« État apiculteur ». Le nomade se comportait comme l’ours qui détruit la ruche pour en prendre le miel ; puis il l’épargne et devient apiculteur : il épargne la ruche et laisse aux abeilles assez de miel pour qu’elles passent l’hiver et se remettent à produire du miel. Le nomade se met à prévoir ; il comprend d’abord confusément puis avec toujours plus d’acuité que l’économie repose sur la retenue (le futur) face à la jouissance (le présent).

Franz Oppenheimer inscrit donc la formation de l’État dans le cadre de cette théorie libérale de la lutte des classes, à savoir que l’histoire des civilisations (toujours et partout) est celle de l’antagonisme entre classes spoliatrices et classes productives, une théorie qui a une généalogie puisqu’elle remonte à Charles Comte (1782-1837), l’une des références de Frédéric Bastiat. Pour Charles Comte, l’homme a le choix entre deux alternatives fondamentales : s’enrichir en volant ou travailler, une analyse qui se retrouve chez Frédéric Bastiat qui écrit : « Il y a donc dans le monde deux espèces d’hommes, savoir : les fonctionnaires de toute sorte qui forment l’État, et les travailleurs de tout genre qui composent la société. Cela posé, sont-ce les fonctionnaires qui font vivre les travailleurs, ou les travailleurs qui font vivre les fonctionnaires ? En d’autres termes, l’État fait-il vivre la société, ou la société fait-elle vivre l’État ? »

La genèse de l’État telle que la décrit Franz Oppenheimer nous éloigne de l’État-nounou ou l’État papa-gâteau dans la tradition des Lumières. C’est si dérangeant que Franz Oppenheimer sera considéré comme un homme à brûler – tout au moins ses livre – dans un pays aussi puissamment étatisé que la France et depuis des générations. J’évite généralement toute conversation à ce sujet, y compris avec des amis de longue date. On croit à de la provocation, il n’en est rien. Il est vrai qu’outre cette maladie qu’est l’anti-étatisme, je suis atteint depuis longtemps de sionisme. Je me retrouve donc en contradiction (contradiction que j’assume pleinement et qui me réjouit même), ce qui m’a attiré plusieurs fois des remarques.

Dans tous les cas « Der Staat » peut être lu en complément à « Du pouvoir : histoire naturelle de sa croissance » de Bertrand de Jouvenel et inversement. Ce sont des lectures particulièrement rafraîchissantes, surtout en temps de pandémie où nous sentons l’haleine de l’État dans notre cou. Lisez ces livres, ils vous aideront à vous déconfiner de l’État. Parmi ceux qui ont retenu l’analyse de Franz Oppenheimer, Murray Rothbard qui juge que l’État est la perpétuation du processus prédateur sur un territoire donné. D’un parasitisme qui était généralement sporadique et désorganisé, on en est venu à l’État qui par les voies « légales », organisées et systématiques, s’est livré à la prédation sur un territoire défini. Les prédateurs risquaient à tout moment une révolte des soumis. A présent, les prédateurs – l’État – peuvent espérer une vie relativement paisible. La spoliation est devenue moins brutale, non moins imposante – elle l’est même plus – mais plus discrète.

Franz Oppenheimer élabore l’idée selon laquelle étant donné que la production précède nécessairement la prédation, le marché libre est antérieur à l’État. L’État ne procède pas d’un quelconque contrat mais de la violence, conquête et exploitation, meurtre et pillage. Vient la pause. Les prédateurs comprennent qu’il faut piller suivant des règles, en laissant vivre les producteurs afin de mieux vivre à leurs dépens en exigeant un tribut régulier. Ces règles permettent au système de s’assurer une longue vie tranquille.

Étudier Franz Oppenheimer permet d’inverser le baratin de Hegel, d’inverser la perspective. Non, l’État n’est pas ce qu’il prétend être (dans une perspective hégélienne), il est celui qui active la violence, le désordre donc. L’État n’est pas une organisation aux fondements parfaitement justes – mais sont-ils parfaitement injustes ? Dans tous les cas je persiste à penser qu’il faut limiter son pouvoir et le recentrer sur ses pouvoirs régaliens afin de permettre la transition d’un capitalisme d’État à une authentique économie de marché.

Extrait de “Der Staat” de Franz Oppenheimer : “There are two fundamentally opposed means whereby man, requiring sustenance, is impelled to obtain the necessary means for satisfying his desires. These are work and robbery, one’s own labor and the forcible appropriation of the labor of others. Robbery! Forcible appropriation! These words convey to us ideas of crime and the penitentiary, since we are the contemporaries of a developed civilization, specifically based on the inviolability of property. And this tang is not lost when we are convinced that land and sea robbery is the primitive relation of life, just as the warrior’s trade – which also for a long time is only organized mass robbery constitutes the most respected of occupations. Both because of this, and also on account of the need of having, in the further development of this study, terse, clear, sharply opposing terms for these very important contrasts, I propose i. the following discussion to call one’s own labor and the equivalent exchange of one’s own labor for the labor of others, the “economic means” for the satisfaction of needs, while the unrequited appropriation of the labor of others will be called the “political means.”

The idea is not altogether new; philosophers of history have at all times found this contradiction and have tried to formulate it. But no one of these formulae has carried the premise to its complete logical end. At no place is it clearly shown that the contradiction consists only in the means by which the identical purpose, the acquisition of economic objects of consumption, is to be obtained. Yet this is the critical point of the reasoning. In the case of a thinker of the rank of Karl Marx, one may observe what confusion is brought about when economic purpose and economic means are not strictly differentiated. All those errors, which in the end led Marx’s splendid theory so far away from truth, were grounded in the lack of clear differentiation between the means of economic satisfaction of needs and its end. This led him to designate slavery as an “economic category,” and force as an “economic force” – half truths which are far more dangerous than total untruths, since their discovery is more difficult, and false conclusions from them are inevitable.

On the other hand, our own sharp differentiation between the two means toward the same end, will help us to avoid any such confusion. This will be our key to an understanding of the development, the essence, and the purpose of the State; and since all universal history heretofore has been only the history of states, to an understanding of universal history as well. All world history, from primitive times up to our own civilization, presents a single phase, a contest namely between the economic and the political means; and it can present only this phase until we have achieved free citizenship.”

Olivier Ypsilantis

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