Pierre Lurçat : Vous avez écrit de Tsahal qu’elle était la “plus belle armée du monde”. L’armée juive, tellement décriée dans les médias, serait-elle aussi un facteur de rapprochement avec Israël pour des non-Juifs ? Pouvez-vous me dire ce que vous en pensez ?
Olivier Ypsilantis : Oui, Tsahal est bien la plus belle armée du monde. Je sais que cette seule affirmation me vaudra bien des ennemis et que je risque une fatwa ou quelque chose dans le genre, mais je m’en moque. L’histoire des forces armées d’Israël et des forces juives de Palestine (avant donc la création de l’État d’Israël) est passionnante. Je ne me lasse pas de l’étudier. La Haganah, le Palmach, sans oublier le groupe Stern (Lehi) et l’Irgoun. J’ai une grande affection pour Avraham Stern qui fut aussi un poète. L’histoire de cette armée m’intéresse d’abord parce qu’elle est intimement mêlée à celle du peuple juif de retour en Israël. Je n’ai pas le culte de la violence et de la mort mais il ne me déplaît pas de voir les Juifs se défendre et frapper si nécessaire. Dans le Talmud dont je ne suis nullement un spécialiste il est dit quelque chose comme : « « Si quelqu’un vient pour te tuer, lève-toi et tue-le le premier ». C’est ainsi. Le Juif qui a servi de bouc-émissaire, de souffre-douleur et d’exutoire se lève et se défend. Je claque la porte à ceux qui trouvent à y redire et pinaillent.
Oui, fort d’une expérience que je compte bien amplifier, je suis fier de travailler même très modestement (je le répète, je suis un homme de ménage, je m’active dans la logistique arrière) pour Tsahal. Je me sens mieux sous l’uniforme de Tsahal que sous l’uniforme français que j’ai dû porter lorsque le service militaire était obligatoire. Hormis quelques moments de bonheur (des marches dans des forêts d’automne ou au clair de lune par temps de neige), je garde de ce service militaire des souvenirs dignes de Courteline. Rien de tel en Israël.
L’armée d’Israël, un sujet immense et passionnant. La formation de la Haganah tient du roman d’aventure avec des séquences à la James Bond. Cette armée est aussi un puissant facteur d’intégration avec ces deux ans de service armé pour les femmes, trois ans pour les hommes. A ce propos, peu d’armées ont poussé à ce point l’intégration femmes/hommes et à tous les niveaux de la hiérarchie et dans (presque) toutes les armes. A ces années de service armé, ajoutez les périodes de réserve, les Milouims. Les Juifs forment un peuple, un peuple qui en Israël même a été terriblement menacé, surtout au moment de la déclaration d’Indépendance, en 1948. Cette période est cruciale pour la formation de cette armée et l’émergence de la question palestinienne, née du refus radical de la part des Arabes du plan de partage de l’O.N.U. Vous avez écrit à ce sujet des pages instructives, dans « Les mythes fondateurs de l’antisionisme » dont j’ai rendu compte sur ce blog dans une suite de quatre articles.
Avraham Stern (1907-1942)
L’armée d’Israël a servi de puissant intégrateur aux Juifs eux-mêmes, car si les Juifs forment un peuple (je ne reviendrai pas sur ce point et Shlomo Sand n’est qu’un schmock doublé d’un alte kaker qui traficote l’histoire en idéologue), c’est un peuple constitué d’individus et de communautés ayant vécu des expériences tellement différentes que la notion de peuple demande parfois à être réactivée, ce qui se fait sans trop de peine – et c’est l’un des « miracles » d’Israël. Les frottements entre Séfarades et Ashkénazes en Israël ont été forts, les Séfarades considérant qu’ils étaient regardés comme des citoyens de seconde zone par les Ashkénazes. Je n’ai pas à entrer dans cette affaire qui a probablement été assez sérieuse à une époque. Il me semble qu’aujourd’hui, avec le temps qui passe, la question s’est estompée jusqu’à disparaître. C’est tout au moins l’impression que je retire de mes observations et conversations sur le terrain. La question est à présent plus sérieuse entre Juifs religieux et Juifs laïcs, notamment sur la question du service armée. Il y a aussi la question des Beta Israel (les Juifs éthiopiens) qui semblent éprouver des problèmes d’intégration, une question que je n’ai pas suffisamment étudiée. Mais j’ai confiance en Israël et je sais que ces questions s’estomperont… et que d’autres se préciseront. La vie est ainsi faite.
J’ai confiance en ce pays. Lorsque je lis ou écoute l’information mainstream, je sens que les schmocks de diverses obédiences guettent ce qui pourrait affaiblir Israël : il y a peu c’était une guerre civile ou presque entre Juifs religieux et Juifs laïcs, deux désignations arbitraires qui recouvrent mille nuances, entre Juifs d’Israël et Arabes d’Israël, citoyens arabes d’Israël, et ainsi de suite. Les schmocks battent le tambour de leur ignorance et de leur haine d’Israël. Israël est aussi un formidable melting pot au sein du monde juif. La question des inégalités sociales à laquelle vous m’avez sensibilisé est sérieuse, mais Israël qui a affronté des questions en tout genre et souvent extrêmement graves saura l’affronter, je n’en doute pas.
Pour répondre à la deuxième partie de votre question, je ne sais si Tsahal aide au rapprochement entre Juifs et non-Juifs. Il y a des unités et des éléments non-juifs dans Tsahal, à commencer par des Druzes, des Arabes chrétiens (pas si nombreux), des Bédouins (plus problématiques que les Druzes), des Tcherkesses (ou Circassiens) et j’en passe. Et il y a ces Russes et Ukrainiens pas toujours vraiment juifs au sens disons halachique, voire pas juifs (ils seraient environ 30 %), arrivés massivement depuis l’effondrement de l’Empire soviétique, depuis le début des années 1990 donc, mais qui s’intègrent magnifiquement dans ce pays auquel ils apportent leur énergie et leurs compétences et qui n’hésitent pas à s’engager dans les unités combattantes de Tsahal. Tsahal est aussi un pont entre le militaire et le civil, avec transfert de high tech dont la cybersécurité, domaine où Israël est leader mondial. Mais une fois encore, je m’égare.
Deux souvenirs du Sar-El destinés à montrer la particularité de cette armée. Dans la base du Néguev, je me souviens que des femmes d’un certain âge, probablement des retraitées et des grands-mères, donnaient de leur temps et faisaient ce que nous faisions mais entre elles. Elles triaient, nettoyaient, certaines recousaient tout en papotant et en prenant le thé. Bref, de menus travaux mais essentiels à l’heure du combat. Tout en les observant, je me disais que ce n’est pas dans une base militaire de France que j’aurais pu voir des civiles donner ainsi de leur temps. J’imagine par ailleurs les relations entre ces femmes hors de la base, parties de bridge ou d’échecs, échanges de recettes de cuisine, bref, une densité apportée à la vie israélienne par l’armée.
Dans la base de Galilée, c’étaient des hommes, de vieux Russes qui travaillaient dans une pièce accolée au local technique où j’avais mon poste. Je leur apportais parfois un élément de Merkava II dont j’avais du mal à me dépêtrer. Ils devaient avoir environ soixante-dix ans et même plus. J’observais leurs visages et pressentais des histoires particulièrement denses. Ils n’étaient pas vraiment aimables au début, ils étaient même renfrognés et silencieux. Il est vrai que j’étais entouré de Français séfarades, sympathiques mais aussi volubiles que des Espagnols ou des Italiens (l’une des filles avait un débit digne d’Anna Magnani, vous imaginez !), ce qui semblait les agacer. Mais au bout d’une dizaine de jours des sourires sont venus. Nous avons partagé des thés même s’il manquait le samovar. C’est ainsi. L’armée d’Israël est unique, elle brasse femmes et hommes, jeunes et moins jeunes, Juifs et non-Juifs, et ainsi de suite.
Le Sar-El est une extraordinaire organisation. Dans les groupes de volontaires que j’ai intégrés, la proportion de Juifs (de France) était élevée, presque tous des Séfarades, environ les trois-quarts. Donner de son temps (et de sa sueur) pour Tsahal n’est pas une démarche courante. Nous sommes minoritaires, ultra-minoritaires. Israël et son armée inspirent presque toujours le dégoût et provoquent l’opprobre et plus encore la haine, je ne vous apprends rien. On fond, pour la masse et l’information mainstream, je suis le complice d’une politique d’apartheid voire d’un génocide. On préférerait que je travaille pour une O.N.G. palestinienne, ce serait vachement plus cool et je me ferais plein de potes… Mais n’oubliez pas : Etiam si omnes, ego non. Le seul nom Israël provoque des réflexes pavloviens. Ma femme partage mon engagement et nous avons le projet de faire un séjour au Sar-El sitôt que la situation sanitaire le permettra.
J’allais oublier un point très important. Israël est un pays épique ; et aujourd’hui, dans le monde, je ne vois guère de pays épiques, hormis les Kurdes qui luttent pour un Kurdistan libre. Il y en a probablement d’autres, qu’il ne faudrait pas oublier, mais je les connais moins. Les Kurdes, soit le peuple le plus nombreux sans État. L’histoire d’Israël est épique, des Hébreux de la Bible à l’État d’Israël. Et je ne suis pas un judéolâtre comme on m’a accusé de l’être. Il y a autant de schmocks parmi les Juifs que parmi les Goyim ; mais, je le redis, l’histoire du peuple juif est épique, singulière et universelle – universelle parce que singulière. L’histoire du peuple juif est épique, comme l’histoire de l’État d’Israël et de son armée, Israël qui n’est pas né de la Shoah comme on se plaît à le répéter (par ignorance ou parti-pris idéologique), gommant ainsi le proto-État, le Yichouv et la formation d’une armée de défense qui s’est constituée avec des moyens de fortune, dans la clandestinité, sous le mandat britannique, et qui parviendra à repousser une puissante coalition arabe quelques heures après la proclamation de David Ben Gourion le 14 mai 1948. Oui, l’histoire du peuple juif et celle de l’État d’Israël s’étudient – se lisent – comme un grand roman d’aventure, mais ce roman est bien plus qu’un roman… Je ne suis pas juif mais je suis pris dans le grand sillage de cette histoire ; car l’histoire d’Israël n’est pas l’histoire d’un clan, d’une tribu ou d’une ethnie, elle parle à tous ceux qui n’ont pas les oreilles bouchées par le cérumen ou les yeux chassieux. Je ne plaisante qu’à moitié.
Olivier Ypsilantis
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