Le sourire de la milicienne, Marina Ginestà
Marina Ginestà sur les toits de l’Hôtel Colón, un jour d’été 1936. Ci-joint, une vidéo de RTVE dans laquelle Marina Ginestà commente la célèbre image :
http://www.rtve.es/alacarta/videos/programa/marina-ginesta-foto-para-recuerdo/488389/
C’est une image emblématique, l’une des images les plus emblématiques de la Guerre Civile d’Espagne. En feuilletant Obituarios (le Carnet du Jour) de ‟El País” et ‟El Mundo” du 7 janvier 2014, je découvre le nom de cette gamine qui pose sur la terrasse de l’Hôtel Colón, sur la Plaza de Catalunya, dans le centre de Barcelone : Marina Ginestà, née le 29 janvier 1919 à Toulouse, décédée le 6 janvier 2014 à Paris. La photographie en question a été prise par l’Allemand Hans Gutmann (1911-1982), plus connu sous le nom de Juan Guzmán. Au cours de cette Guerre Civile, l’Hôtel Colón sert de siège central au Partit Socialista Unificat de Catalunya (PSUC). Marina Ginestà a dix-sept ans. Elle est membre des Juventudes Socialistas Unificadas. Nous sommes le 21 juillet 1936. Cette image longtemps oubliée a été exhumée des archives de l’Agencia EFE en 2002. Ce n’est qu’en 2006, grâce à la ténacité d’un documentaliste, Julio García Bilbao, que le modèle a été identifié.
Ricard Terré, une mémoire galicienne
Ricard Terré (1928-2009). Faut-il sourire ou bien afficher un air grave ?
Ricard Terré (1928-2009) ne vécut jamais de la photographie mais, sitôt qu’il le pouvait, il partait avec son matériel sur les routes de Galice, cette province du Nord de l’Espagne. Il a produit l’essentiel de son œuvre entre 1955 et les années 1960. Il a beaucoup photographié les enfants. En 1965, à la mort de sa fille âgée de quatre ans, il se détourne de ce thème et finit même par abandonner la photographie qu’il reprendra en 1982. Parmi ses thèmes de prédilection, outre les enfants, les fêtes religieuses d’Espagne qu’il observe, fasciné et amusé. J’ai devant moi la photographie d’une fête, à Santa Marta de Ribarteme (Pontevedra), au cours de laquelle des fidèles défilent portés dans un cercueil ouvert, une fête dont les enfants ne sont pas absents. On ne peut que penser aux fêtes religieuses du Mexique où la mort se fait volontiers kitsch, bariolée et sucrée. Ricard Terré a été membre du Grupo fotográfico AFAL (Agrupación Fotográfica de Almería) qui de 1956 à 1963 représenta la création photographique espagnole au niveau international. La fille de Ricard Terré, Laura, a édité la plus riche étude sur le sujet, ‟AFAL 1956/1963. Historia del grupo fotógrafico” (Photovision, mars 2006). C’est un livre abondemment illustré qu’accompagne un DVD qui répertorie l’ensemble des revues publiées par l’AFAL.
Joan Colom fait le trottoir à Barcelone
Dans le Barrio Chino de Barcelone.
Joan Colom né en 1921 est un marcheur dans la ville, une ville qui a pour nom Barcelone. Son quartier de prédilection, el Raval dans les années 1950-1960, dans une Espagne franquiste, puis dans les années 1990, alors que les Jeux Olympiques (été 1992) transforment la ville. Il dit volontiers : ‟Yo hago la calle” (‟Je fais le trottoir”).
Joan Colom était comptable. Équipé d’un Leica, il mettait à profit ses fins de semaines pour déambuler discrètement dans le Barrio Chino afin d’y fixer l’ambiance. Il portait son appareil au niveau de la taille, plus bas même, et en actionnait le déclencheur à l’insu du modèle. Il travaillait le cadrage dans son laboratoire, opérant une sélection impitoyable. Cette discrétion ne l’empêcha pas d’être pris à parti par une prostituée, Eloísa Sánchez, qui se reconnut sur l’une des photographies. Suite à cet incident, Joan Colom, si soucieux de discrétion, s’éloigna de la photographie et ne la reprit qu’à sa retraite, en 1986.
En 2012, il céda son œuvre au Museo Nacional de Arte de Catalunya (MNAC) qui lui rend à présent hommage avec l’exposition ‟Yo hago la calle. Joan Colom, fotografías 1957-2010”, une exposition où le visiteur trouvera des centaines de photographies inédites du Barrio Chino, du Born et de Somorrostro.
Margaret Bourke-White, photo-correspondante de guerre
Avril 1945, le Dr. Kurt Lisso, trésorier de la ville de Leipzig, sa femme et sa fille se suicident.
C’est par la photographie ci-dessus que j’ai découvert Margaret Bourke-White (1904-1971), plus connue sous le nom de ‟Maggie”. Cette composition prise en plongée montre les membres d’une même famille qui ont choisi de se suicider au cyanure afin d’échapper aux troupes américaines qui viennent d’entrer dans Leipzig. Margaret Bourke-White, une Américaine de père Juif polonais, Joseph White, et de mère catholique irlandaise, Minnie Bourke, a été la première femme photo-reporter de l’histoire. Parmi ses très nombreux reportages, un voyage en URSS au début des années 1930 où elle a photographié avec enthousiasme l’industrialisation du pays. Première femme à travailler pour Life et Fortune, elle est aussi la première femme à voler dans un bombardier en mission. Le 11 avril 1945, elle entre dans Buchenwald avec les troupes américaines du général Patton. Après la Deuxième Guerre mondiale, elle séjourne en Inde et au Pakistan afin de témoigner des violences qui font suite à l’indépendance de l’Inde et à la partition du pays. Margaret Bourke-White a photographié Gandhi quelques heures avant son assassinat. Atteinte de la maladie de Parkinson, elle passera les dernières années de sa vie à rédiger son autobiographie, ‟Portrait of Myself”.
Terry O’Neill, photographe des stars
L’une des plus charmantes photographies d’Audrey Hepburn.
Madrid expose Terry O’Neill (né en 1938) à la Fundación Telefónica. Parmi les nombreuses célébrités représentées, Richard Burton, Groucho Marx, Paul Newman, Ava Gardner, Frank Sinatra, les Rolling Stones, David Bowie, Elton John, Margaret Thatcher, Nelson Mandela, etc. La petite histoire rapporte qu’après être entré au service photographique de British Airways, à London’s Heathrow Airport, Terry O’Neill photographia un homme somnolent dans une salle d’embarquement, un homme qui n’était autre que le Home Secretary Rab Butler (Richard Austen Butler), ce qui l’amena à signer un contrat avec le Daily Sketch, l’un des plus gros tirages de l’époque. La galerie de ses célébrités est impressionnante. C’est une galerie intime où la sympathie entre le modèle et le photographe est profonde. Et c’est d’abord de cette sympathie dont nous parle ces images, une sympathie qui leur évite d’apparaître comme des portraits de commande — impression pénible entre toutes.
Jesús de Echebarria et la mémoire stéréoscopique de Bilbao
Jesús de Echebarria (1882-1962) est un pionnier de la photographie stéréoscopique en Espagne. Son œuvre constituée de plusieurs milliers de plaques stéréoscopiques a été exhumée d’un recoin de la maison familiale par Konrado Mugertza, alors fiancé à la petite-fille de Jesús de Echebarria, Izaskun. C’est un témoignage essentiel sur le Pays Basque au début du XXe siècle, principalement sur Bilbao. Ses œuvres nous parlent de ses deux passions avouées, le football et la tauromachie, mais aussi d’une industrie de plus en plus imposante, hauts-fourneaux et chantiers navals. L’une de ses photographies les plus reproduites le montre en costume sombre et chapeau devant la ría de Bilbao (appelée aussi ría del Nervión ou del Ibaizábal) encombrée de bateaux à vapeur et bordée d’industries ; elle s’intitule : ‟Yo, de pie, a las seis de la tarde del 15 de julio de 1930”. Jesús de Echebarria qui a constitué l’essentiel de son œuvre dans les années 1910 nous parle d’une métropole qui s’industrialise, d’un mélange de rural et d’urbain jusque dans le centre-ville. Et la stéréoscopie agit comme une machine à remonter le temps.
Olivier Ypsilantis