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Maïmonide, une lumière au Moyen Âge, un maître de notre temps.

 

Comment rester fidèle à la prophétie hébraïque tout en s’insérant dans la culture universelle ? Maïmonide s’est penché sur l’universel humain avec l’outil de la langue arabe véhicule du grec et du latin. Dans les temps modernes, la rencontre de la communauté juive avec l’universel humain s’est faite avec l’outil de la langue française. En tant qu’Israélien, je participe à la rencontre entre la spécificité radicale de l’héritage biblique en hébreu et l’universel humain avec le français, héritier de la civilisation gréco-romaine.

A présent, il convient d’aborder quatre points essentiels, et je ne m’arrêterai qu’au premier et au dernier de ces points.

Premier point. La place de Maïmonide dans les trois grands courants spirituels qui ont succédé au temps de la Bible et de la prophétie hébraïque, soit : le courant talmudiste, celui des philosophes juifs, celui de la tradition kabbalistique.

Deuxième point. La multiplicité de ses compétences qui lui ont permis d’être un pont entre la culture universelle et le très spécifique héritage juif.

Troisième point. Les difficultés considérables que cette entreprise a rencontrées alors.

Quatrième point. Quel message son expérience peut-elle nous transmettre aujourd’hui ?

Pour le premier point, je ne référerai aux travaux de Gershom Scholem dans son ouvrage dédié à l’école de la kabbale de Gérone. Après les temps bibliques (où la pensée juive est l’exégèse de la prophétie hébraïque), trois courants spirituels se partagent l’immense tradition rabbinique :

Le premier. Le courant talmudiste qui considère que la révélation prophétique n’a pas cessé, même si les Prophètes ne parlent plus. On peut considérer sans forcer la note que c’est la conscience talmudique (soit l’effort d’exégèse appliqué à la prophétie hébraïque qui lui est antérieure) qui a évité la disparition de la tradition d’Israël. Ainsi, la lecture des textes prophétiques (en particulier de la Torah) peut-elle être envisagée du point de vue de l’exégèse de la culture précédente, soit la Bible qui s’épanouit dans le Talmud, la Mishnah, la Guemara, les Midrashim et toute la littérature à laquelle cet ensemble se réfère. C’est le courant juif traditionnel et qui reste jusqu’à aujourd’hui le courant principal tant par le nombre de ses maîtres que par les sujets traités. Ce courant refuse a priori l’idée d’une culture générale étrangère à l’exégèse talmudique – mais la personne humaine en général (et juive en particulier) est le lieu d’une synthèse paradoxale constituée d’éléments parfois contradictoires. La culture non seulement profane mais universelle trouve son principe dans cette conscience philosophique qui a émergé en Grèce après les temps de la mythologie. Le talmudiste n’est pas nécessairement fermé à cette culture, il peut éprouver envers elle une forte curiosité personnelle, mais il ne la mêlera pas à son travail d’exégète tourné vers l’espérance messianique.

Le deuxième. Les philosophes juifs, une désignation qui peut avoir deux significations radicalement différentes : soit des philosophes juifs, mais qui peuvent être des philosophes grecs ; soit des héritiers de la prophétie hébraïque, mais également soucieux de la problématique philosophique et qui s’y adonnent par doctrine ou par méthode. D’un côté, nous avons Henri Bergson, un « philosophe juif » ; de l’autre, nous avons Juda Halévy, un « Juif philosophe ». C’est un courant très important, enraciné dans le flux du judaïsme traditionnel ; mais il est étranger à la structure intellectuelle et spirituelle du courant talmudiste. Les philosophes juifs (avant et après Maïmonide) ont posé que la Révélation n’a jamais eu lieu. La conscience philosophique ne peut admettre intellectuellement l’idée d’un événement aussi étrange que Dieu s’adressant aux hommes par un discours, un langage, une parole. La conscience philosophique peut éventuellement envisager le discours prophétique comme discours pré-philosophique.

Le troisième. Le courant kabbalistique. Après la destruction de la nation hébraïque, la capacité prophétique s’est intériorisée, occultée même. Elle s’est exprimée par les écoles kabbalistiques, des écoles d’initiés, des initiés à la signification métaphysique de la langue des Prophètes, la Révélation n’ayant jamais cessé pour ce courant. La pensée philosophique s’appuie sur le grec pour viser l’universel, la pensée kabbaliste s’appuie sur l’hébreu pour viser l’universel. Le kabbaliste est donc plus à même que celui qui n’est que talmudiste d’accepter en tant que juif (interprète de la tradition hébraïque) les questions que doit envisager le philosophe dans la perspective d’une pensée non révélée. A partir d’une exégèse métaphysique du discours prophétique (différente de l’exégèse exotérique des talmudistes non kabbalistes), le kabbaliste peut aborder (sereinement pourrait-on dire) l’univers de la pensée philosophique.

Mais revenons-en à Maïmonide. A – Maïmonide est l’un des maîtres incontestés du courant talmudique, en tant que principal codificateur de la Loi, de la législation et de la juridiction talmudiques. B – Maïmonide n’est pas philosophe au sens grec du terme car il est croyant ; il croit en un Dieu non pas élément d’un discours philosophique mais au Dieu du Sinaï qui s’adresse à chaque homme, tant dans l’interpellation morale que religieuse, ce que Juda Halévy avait affirmé avant lui. Mais c’est Maïmonide qui va systématiser et de manière définitive cet élan. C – Maïmonide n’est en rien un kabbaliste ; il juge que la révélation prophétique passe par l’autonomie de la raison et non par une initiation à une certaine grammaire de l’esprit du monde. « Selon Maïmonide, la différence entre la capacité de connaissance du prophète et celle du philosophe en général ne se situe pas au niveau de l’intellect mais de la moralité. Je crois que lorsqu’on a compris cela, on a saisi l’essentiel du message de Maïmonide : il y a des conditions morales qui permettent à l’intelligence l’accès à la vérité et au croyant de la Bible la compréhension de la vérité révélée par Dieu ».

Maïmonide est un maître de notre temps, un temps qui ne cesse de prendre acte du divorce irrémédiable entre la vérité et la moralité. Maïmonide nous dirait que les Prophètes sont les prophètes de vérité, et sans critère d’appartenance à un peuple ou une religion, à condition qu’il ne soit ni idolâtre ni païen. Pour Maïmonide, le peuple d’Israël est particulier car il a reçu l’obligation expresse, par décret de la sagesse divine, de chercher la pensée de vérité morale et d’en témoigner. Mais Maïmonide tend vers l’universel et il suggère que cette vérité morale est la vocation de tout homme. Voir « Le Guide des Égarés ».

Le caractère de sainteté prophétique de la pensée de vérité dépend de la sainteté morale, nous dit Maïmonide, et c’est quelque chose de nouveau dans l’univers de la pensée même de celle qui s’exprime à l’aide du vocabulaire philosophique.

Vis-à-vis des trois courants : talmudique / philosophique / kabbaliste, Maïmonide offre autant de divergences que de convergences. Talmudiste éminent, étranger au courant kabbaliste (mais avec un air de famille sur certains points), il accepte sans réserve la problématique philosophique. L’originalité de Maïmonide par rapport aux philosophes théologiens pourrait être présentée ainsi : le philosophe juif d’obédience ou de postulat grec propose à l’intelligence du croyant une lecture athée de la Bible ; à l’inverse, Maïmonide propose une lecture religieuse monothéiste de la philosophie – il est probablement le seul à y être parvenu avec une telle envergure, ce qui est stupéfiant tant les postulats du discours philosophique et ceux du discours biblique divergent sur nombre de points essentiels. La pensée de Maïmonide, soit l’universel humain (dans son visage grec à travers la langue arabe) confronté à l’universel de la pensée hébraïque.

Olivier Ypsilantis

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