Je ne vais pas agiter ce que ne cessent d’agiter les médias de masse, à savoir l’extrême dangerosité d’un pays, l’Iran, également appelé « La République des Mollahs », ce qui est simplificateur mais de ce fait plaît. Je ne suis pas un laudateur de ce régime, je ne le suis en rien, mais je sais qu’il n’est pas aussi caricatural (aussi simple) qu’on nous le présente, qu’il est parcouru de dissensions internes qui pourraient faire l’objet de nombreux articles. J’aime l’Iran que je ne limiterai jamais à l’agitation médiatique où l’information et la désinformation sont charriées pêle-mêle comme dans un fleuve de boue. Aussi, pour ne pas être emporté à mon tour par ce fleuve toujours en crue, j’en reviens souvent à Karl Kraus. Combien de fois m’a-t-il sauvé de la noyade, de la mitrailleuse rotative – la Rotationsmaschinengewehr – et, à présent, de la presse numérique qui amplifie le phénomène presse écrite, soit la cadence de tir de la maschinengewehr ?
L’Iran est un pays fier de son passé préislamique. Il lui rend hommage et en aucun cas pour amuser les touristes. Sur le site prestigieux entre tous de Persépolis, de très nombreux groupes de petits Iraniens accompagnés de leurs professeurs visitent, attentifs, ce haut-lieu de leur histoire. Les portraits des dignitaires du régime (à commencer par celui de son fondateur, l’ayatollah Khomeini) ne sont pas si nombreux dans les lieux publics. Et il n’est pas rare de surprendre dans un commerce une représentation du tombeau de Cyrus à Pasargades ou le portrait d’un empereur achéménide.
Que Dieudonné M’Bala M’bala et Alain Bonnet dit Alain Soral soient allés faire leurs dévotions auprès des ayatollahs par antisionisme ne m’étonne en rien ; mais ils ne saliront pas ma sympathie pour l’Iran, pour le peuple iranien, une sympathie qui par ailleurs n’entame en rien mon sionisme, un sionisme que d’aucuns jugeront extrême puisqu’il admire Jabotinsky (auteur d’un texte fondamental, « Le Mur de Fer (Nous et les Arabes) », un manifeste de 1923), acclame Jérusalem capitale d’Israël et ne verrait pas d’un mauvais œil l’activation du Plan de paix Elon de Benny Elon (ministre du Tourisme du gouvernement Sharon) et du Parti Moledet.
Le passé préislamique de l’Iran est immense, c’est aussi pourquoi nombre d’Iraniens ont une discrète voire une secrète sympathie pour les Juifs et Israël. Ils se sentent leurs égaux. Je n’ignore pas qu’il y a des fanatiques chiites qui promeuvent le concept de l’impureté des non-musulmans, des Juifs en particulier, mais rien ne m’indique qu’ils soient nombreux. Par ailleurs, l’Iran n’a jamais été en guerre contre Israël, ce qui ne signifie pas qu’il faille se laisser aller et ne pas garder un doigt sur la gâchette, mais ce fait est plutôt rassurant : les Iraniens n’ont aucune idée de revanche sur Israël dont ils admirent les capacités, contrairement aux Arabes qui n’admettent pas leurs raclées successives par ceux qui il y a peu leur étaient soumis. Ce point est particulièrement important ; le ressentiment est un activateur de la violence tant entre nations qu’entre individus. En Iran, on ne goûte guère cet excrément que sont « Les Protocoles des Sages de Sion ». On préfère cet autre faux, moins nocif, « Les Mémoires de Hempher ou la Fable “wahhabite” ».
L’Iran est fier d’un passé que l’islam n’occupe qu’en partie. Et si le chiisme est à l’origine une affaire arabe, les Iraniens se sont emparés de cette tendance ultra-minoritaire au sein du monde arabe probablement avec l’idée de la retourner contre ce monde. Car en Iran, on n’oublie pas que l’envahisseur est arabe, au point qu’un homme comme le général Bahram Aryana, auteur de « Pour une éthique iranienne », proposa de nettoyer l’Iran de l’alphabet arabe. Les Iraniens sont très sensibles au fait que le golfe Persique ne soit pas nommé golfe Arabique ou même golfe Arabo-Persique. Et je pourrais multiplier les exemples dans ce genre.
Je ne vais pas soupeser dans cet article les décisions de Donald Trump au sujet de l’Iran. L’homme n’est en rien le benêt qu’on a plaisir à nous présenter dans la presse française. Il connaît fort bien le fonctionnement des médias de masse et il sait activer ses fumigènes pour mieux manœuvrer. Je considère par ailleurs Benyamin Netanyahou comme un très grand chef de gouvernement. J’insiste, car ma sympathie pour l’Iran – le peuple iranien – peut être mal comprise.
Une guerre contre l’Iran aurait un effet terrible sur le long terme. Cette guerre serait menée avec la complicité des Arabes (si je m’en tiens à la situation actuelle), à commencer par les Saoudiens et autres Arabes en plaqué or, ceux qui du Maroc aux confins du Moyen-Orient activent avec leurs capitaux la radicalisation du monde arabo-sunnite, sans oublier l’Afrique subsaharienne, le Pakistan et j’en passe, une radicalisation qui se ferait sentir plus durement encore en Europe, à commencer par la France (où la population arabo-musulmane est particulièrement nombreuse), avec multiplication des mosquées et des salles de prière complaisamment financées par le pire de ce monde qui se trouve être non seulement notre fournisseur en pétrole, un produit toujours hautement stratégique, mais aussi notre client, un client qui s’offre des produits à très haute valeur ajoutée.
L’Iran souffre d’un sentiment d’encerclement. Ce sentiment a activé au cours de l’histoire et dans nombre de pays une attitude belliciste qui a assez souvent conduit à des guerres. Dans le cas de l’Iran, ce sentiment est justifié, et il l’est d’autant plus que ce grand pays multi-ethnique (les Perses, les Azéris et les Kurdes formant l’essentiel de la population iranienne) craint toujours la fracture. On pourrait en particulier évoquer le cas du Baloutchistan. L’Iran est donc soumis simultanément à des forces centripètes et centrifuges.
L’Iran doit être surveillé, et je rejoins les préoccupations israéliennes, les Israéliens qui par ailleurs ont des antennes particulièrement fines, compte tenu de leur très longue histoire souvent diasporique. Leur inquiétude ne leur fait pas perdre de vue qu’une collaboration avec les Iraniens serait des plus fructueuses et dans tous les domaines. Beaucoup d’Iraniens d’Iran m’ont dit aimer les Juifs de la diaspora et d’Israël en insistant sur les similitudes qu’ils estiment partager avec eux. En Israël, les Juifs d’Israël m’ont tenu le même genre de propos.
La présence de la femme est en Iran très marquée dans l’espace public ; et je ne prétends pas à partir de mon constat de simple voyageur tirer des conclusions sur sa condition. Je dis simplement que la présence de la femme iranienne en impose. Les femmes sont par exemple plus nombreuses que les hommes dans les universités, toutes disciplines confondues à commencer par les sciences. Le savoir sous toutes ses formes est très prisé en Iran, comme il l’est chez les Juifs et en Israël. Il ne l’est pas tant chez les Arabes, mais rien n’est perdu…
La question du voile est très agitée, si je puis dire. En Iran, les femmes sont diversement voilées car le voile est une obligation, mais chacune travaille son style. Je n’ai jamais vu en Iran de porteuses de niqab, jamais. Peut-être en trouvera-t-on dans la minorité arabe de la province du Khuzestan, sur les bords du golfe Persique où je ne me suis pas rendu. Le visage des Iraniennes (elles font très volontiers usage du maquillage avec finesse et discrétion) est souvent aigu dans les traits et le regard ; et on pense intelligence. Il y aurait un livre à écrire sur la manière dont l’Iranienne, et pas seulement de Téhéran, place son foulard, un foulard généralement de couleurs vives et posé à l’occasion loin derrière le front, sur un lourd chignon par exemple. Un pays où la femme est si présente dans les rues et les espaces publics, et malgré toutes les ignominies qu’elle doit subir par la faute du régime mais aussi d’habitudes antérieures à ce régime, me laisse espérer un avenir pas nécessairement cauchemardesque pour le pays.
Carte religieuse du Moyen-Orient
L’Iranien est nationaliste. On lui en fait le reproche ; je ne le lui fais pas. Les raisons du nationalisme iranien sont diverses, lointaines (prestige incomparable d’une histoire multimillénaire) et plus proches. Les Iraniens n’oublient pas qu’au cours de la Seconde Guerre mondiale, ils ont été pris en tenaille par les Soviétiques au Nord et les Britanniques au Sud. Le shah Reza Palhavi fut accusé de sympathie pour les nazis. C’était un prétexte pour les uns et les autres. Le shah espérait simplement contrebalancer l’influence menaçante de deux impérialismes sur son pays grâce à un autre impérialisme qui ne le menaçait pas directement. Mais surtout, les Iraniens n’oublient toujours pas les manigances britanniques autour de leur pétrole, avec cette guerre larvée (1951-1954) contre l’Anglo-Persian Oil Company devenu un État dans l’État, et dont Muhammad Mossadegh, alors Premier ministre, proposa la nationalisation, nationalisation ratifiée par le shah Reza Palhavi le 1er mai 1951. On connaît la suite.
L’Iran doit être surveillé, comme un joueur d’échecs est surveillé par son adversaire. Nous n’avons pas affaire à des fous furieux mais à des dirigeants rationnels, très fins observateurs, diplomates millénaires. Nous ne sommes plus dans le contexte du début des années 2000 qui vit une guerre menée sous des prétextes hautement fallacieux, la guerre d’Irak ou seconde guerre du Golfe. Et, surtout, l’Iran n’est pas un quelconque pays arabe. A ce propos, et sans entrer dans les détails, c’est aussi et d’abord la guerre contre l’Irak qui a conduit l’Iran, tout naturellement pourrait-on dire, à constituer ce qui est communément nommé « le croissant chiite », une stratégie activée par le fameux sentiment d’encerclement, au cœur de bien des conflits, passés (pensons par exemple à la France au cours de la guerre de Trente Ans), présents et probablement à venir, je le redis.
Une guerre contre l’Iran ne ferait qu’augmenter l’emprise arabo-musulmane sur l’Europe, la France en particulier. Il faut aussi tenir compte de ce danger potentiel et particulièrement insidieux. Nous Européens d’origine et Juifs d’Israël sommes bien plus proches du peuple iranien que d’autres peuples voisins !
Olivier Ypsilantis