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Les Juifs de Chine (Kaifeng) 3/3

 

III.  La communauté juive de Kaifeng

D’où venaient les Juifs de Kaifeng ? Une seule information précise nous est donnée, par les stèles que nous avons mentionnées, des stèles érigées sur l’emplacement de la synagogue. D’après leurs inscriptions, on peut supposer que les Juifs de Kaifeng seraient venus d’Inde, ce que semble corroborer la mention qui y est faite de toiles de coton apportées en tribu à l’empereur de Chine. Le coton n’était alors pas cultivé dans ce pays. Il devait donc s’agir de coton indien, très apprécié des Chinois. La tradition orale renforce par ailleurs une hypothétique origine indienne des Juifs de Kaifeng. Des jésuites penchent, quant à eux, pour une origine persane, notamment en s’appuyant sur l’argument linguistique. Jean Domenge note ‟qu’ils baragouinent un peu le persan, qu’eux et les Mahométans appellent Farsi”, un argument qui ne peut être tenu pour décisif dans la mesure où le persan était la lingua franca de la plupart des commerçants de l’Inde et des côtes de Chine. L’origine indienne est donc sujette à caution. Les manuscrits apportés par ces immigrants ont été en grande partie détruits par des intempéries et ceux qui ont survécu sont des dons d’autres communautés ou des copies postérieures aux désastres. Précisons par ailleurs que l’hypothèse de l’origine indienne n’exclut pas l’origine persane : l’Inde aurait pu n’être qu’une étape entre la Perse et Kaifeng. Mais il y a plus. L’étude des livres de prières en usage à Kaifeng révèle des ressemblances notables avec les rituels yéménites. Nadine Perront remarque : ‟Nous sommes aujourd’hui incapables de savoir s’ils (les Juifs de Kaifeng) sont arrivés de Perse par l’Inde ou du Yemen par l’Afghanistan, s’ils ont emprunté la voie maritime ou la route des caravanes, si l’immigration a été massive ou bien s’est faite en plusieurs vagues et, dans ce cas, sur combien d’années ou de siècles. Une seule certitude : ils ne sont ni des exilés de l’époque pré-talmudique ni des caraïtes. Rabbanites, ils se conforment aux préceptes de Maïmonide. Leurs prières et leur liturgie sont en parfait accord avec les principes talmudiques.”

 

Il existe deux hypothèses sur la date de l’arrivée des Juifs à Kaifeng. Et aucun indice ne permet encore de trancher en faveur de l’une ou de l’autre. Pour certains sinologues, les Juifs sont arrivés entre 960 et 1126, sous la dynastie des Song ; pour d’autres, la date de construction de leur première synagogue (1163) pourrait plus ou moins correspondre à leur arrivée.

 

Quelle fut l’importance numérique de cette communauté juive des lointains ? La stèle de 1489 rapporte que les familles juives de Kaifeng regroupent alors dix-sept patronymes, tous gravés dans la pierre. Ces patronymes sont à coup sûr ceux qu’ils portaient au moment où fut gravée ladite stèle, et non à l’époque de leur arrivée, des patronymes dont ils ont probablement hérité sous les Ming. La stèle de 1663 n’en mentionne plus que sept, autant de patronymes qui seront confirmés au XIXe siècle tant par les voyageurs que par un manuscrit acquis en 1851 et conservé à la Hebrew Union College of Cincinnati, un registre généalogique des sept familles compilé aux alentours de 1670. Ce document laisse entendre qu’au XVIIe siècle la communauté juive de Kaifeng comptait entre 750 et 850 membres répartis sur trois générations.

 

 

La synagogue de Kaifeng a été détruite à trois reprises au cours des siècles. Seule la dernière version nous est connue, grâce aux travaux scrupuleux des jésuites. Ce que nous savons des deux premières versions nous est fourni par les textes en chinois des trois stèles commémoratives, érigées à l’occasion des travaux de construction et de restauration de la synagogue. Elles indiquent 1163 comme année de l’inauguration de la première synagogue qui sera restaurée en 1279, 1421 et 1445. En 1461, elle est emportée par une crue et reconstruite en 1489. En 1512, une autre stèle est érigée afin de célébrer la construction de bâtiments annexes et la restauration du pavillon qui abrite la stèle de 1489. En 1642, une crue emporte la synagogue. Une stèle nous apprend que sa reconstruction débute en 1653. Cette synagogue a été scrupuleusement décrite, notamment par les jésuites Paul Gozani et Jean Domenge. Il s’agit de la synagogue au temps de sa splendeur, au XVIIe et XVIIIe siècles. Au milieu du XIXe siècle, les voyageurs noteront son délabrement. En 1866, William Alexander Parsons Martin n’en retrouvera rien.

 

La crue de 1642 a emporté la ville de Kaifeng, la synagogue et ses manuscrits. Le rabbin parvient à reconstituer un rouleau complet à partir de fragments sauvés des eaux. Deux autres rouleaux sont pareillement recomposés. Enfin, dix copies sont faites à partir de ces trois manuscrits reconstitués. En 1851, deux délégués protestants chinois ne dénombrent que douze rouleaux et en achètent la moitié, dont un sauvé des eaux et tout rapetassé ; en 1866, William Alexander Parsons Martin en achète deux ; en 1870, le diplomate autrichien Karl von Scherzer en achète un ; et en 1899, Mgr. Volonteri en achète un autre. Nul ne sait ce qu’il est advenu des autres rouleaux. Ces acquisitions sont actuellement la possession de musées et de bibliothèques, à Jérusalem, Londres, Cambridge, Oxford, Philadelphie, New York, Vienne et Paris. En 1850, les deux délégués chinois avaient également fait l’acquisition de six volumes des sections du Pentateuque et de deux rituels de prières ; puis, l’année suivante, de vingt-neuf volumes de parachiot et de vingt-huit rituels de prières incluant une généalogie des principales figures juives de Kaifeng, du XVe siècle au XVIIe siècle. L’étude de l’ensemble des manuscrits conservés révèle qu’ils sont conformes aux principes liturgiques édictés par Maïmonide et que les Juifs de Kaifeng observent les fêtes prescrites par le rite orthodoxe.

 

Les Juifs doivent composer avec le pouvoir, l’empereur et la religion dominante (le confucianisme), dans la mesure toutefois où ils ne la jugent pas contraire à leur foi. A en croire les stèles et les inscriptions qui ornent la synagogue, judaïsme et confucianisme vivent alors en harmonie à Kaifeng.

 

Les fêtes, les rituels et les prescriptions religieuses vont s’étioler au fil du temps. En 1867, Jacob Liebermann remarque par exemple que le Shabbat n’est plus observé. Tous les voyageurs ont noté une certaine perméabilité aux solennités chinoises, perméabilité qui s’accentuera jusqu’à la complète disparition des solennités juives. L’étiolement du judaïsme à Kaifeng s’explique essentiellement par l’appauvrissement des relations avec les Juifs de l’étranger et de Chine. Vers 1800, la mort du dernier rabbin accélère la négligence des pratiques qui se teintent toujours plus d’apports chinois. Elles disparaissent dans la seconde moitié du XIXe siècle.

 

Dans la Chine impériale, les Juifs ne sont exclus d’aucune charge, fonction ou profession. Ils peuvent se présenter aux examens mandarinaux, pratiquer le commerce, l’agriculture, l’artisanat et même faire carrière dans l’armée et y atteindre le grade d’officier. La stèle de 1663 fait état de vingt lettrés, quatorze officiers et quatre médecins, à une époque où la communauté est constituée de deux cent quarante-et-une familles. Que s’est-il donc passé pour que cette communauté se retrouve dans un état qui ne va cesser d’empirer au cours du XIXe siècle, pour qu’elle en vienne à démonter sa synagogue afin de subvenir à ses besoins ? Il faudrait bien sûr évoquer la politique xénophobe de l’empereur mandchou Yongcheng (1723-1735) puis de son fils Qianlong (1735-1796). Précisons toutefois que cette politique touche tout le monde, notamment les missionnaires chrétiens, et qu’il ne peut en aucun cas être question d’antisémitisme. Les Juifs sont regardés comme suspects non en tant que tels mais parce qu’ils ont entretenu d’étroites relations avec les jésuites. Précisons également que c’est uniquement sous les dynasties étrangères que les minorités de l’Empire ont eu à souffrir de discriminations, sous les Yuan mongols et les Qing mandchous, jamais sous les dynasties chinoises.

 

Il est remarquable qu’une aussi petite communauté ait pu préserver aussi longtemps son identité, malgré les nombreux mariages mixtes, malgré son intégration dans la société chinoise, malgré son isolement dans un immense empire et l’oubli progressif de l’hébreu. Il est probable que les Juifs arrivés à Kaifeng n’aient pas été pas accompagnés de leurs femmes et qu’ils aient contracté des mariages avec des non-Juives. Le registre généalogique acquis par les délégués chinois signale que sous la dynastie des Ming, près d’un tiers de leurs épouses n’étaient pas juives — ce qu’elles devinrent par le mariage. Les coutumes juives (notamment la circoncision et les règles du cacherout) n’étaient pas faciles à accepter pour ces femmes et leurs familles d’origine. Au XIXe siècle, les unions mixtes sans conversion de l’épouse allaient devenir la règle, une situation qui allait de pair avec l’abandon des activités communautaires.

Un très riche lien intitulé ‟Les communautés juives de Chine” avec photographies du voyageur Rémi Huppert conduit par ailleurs à de nombreux liens qui permettront aux curieux d’en savoir plus :

http://www.modia.org/communaut/chine-juifs-1.html

 

Un lien YouTube intitulé ‟Kaifeng, ses Juifs chinois et la ville” (durée 13 mn 34) :

http://www.youtube.com/watch?v=x1Nop7yZ5t4

 

Un lien YouTube intitulé ‟Chinese Jews from Kaifeng arrive in Israel 2009” (durée 4 mn 34), un documentaire produit par Shavei Israel :

http://www.youtube.com/watch?v=edhtdoPukk0

 

Juifs de Kaifeng célébrant le Nouvel An

2 thoughts on “Les Juifs de Chine (Kaifeng) 3/3”

  1. Thanks for posting this article. It is very good.
    Just recently the Sephardic Horizons published an article that provides interesting details that were not mentioned before about the CHinese/Kaifeng Jews.
    If you can and would like to translate the article from the Sephardic Horizons into French and publish it in Zakhor Online, please let me know. I can get you the copyright permissions.
    Tiberiu Weisz
    [email protected]
    http://www.sephardichorizons.org/Volume4/Issue3/weiszeast.html

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