Les Nazoréens
‟Les Nazoréens se sont trouvés confrontés à une double rupture. Au cours du IIe siècle, ces descendants des premiers disciples de Jésus de Nazareth ont eu à naviguer entre deux écueils ; rester dans le judaïsme ou couper avec lui ; se couper de leurs frères juifs non chrétiens du point de vue des croyances ou se couper de leurs frères païens chrétiens du point de vue des pratiques.” Simon Claude Mimouni
Épiphane de Salamine (vers 135 – mai 405), peinture du monastère de Gračanica.
Nazoréens (du grec) ou Nazaréens (du latin), soit des Chrétiens d’origine juive dont la généalogie spirituelle remonterait aux premiers disciples de Jésus de Nazareth, plus précisément à deux groupes chrétiens antérieurs à la destruction du Temple. L’un se rattache à la figure de Jacques (voir les Jacobiens), l’autre à la figure de Pierre (voir les Pétriniens). Les Nazoréens ont été déclarés ‟conformes” par la ‟Grande Église” ; il ne faut pas pour autant oublier qu’ils ont dérangé les Chrétiens d’origine païenne à cause de la Loi juive dont ils respectaient les observances considérées comme abrogées depuis Paul de Tarse.
Les Nazoréens sont attestés sous leur nom au 1er siècle dans le Nouveau Testament (Actes des Apôtres et Épîtres de Paul de Tarse) et aux IVe et Ve siècles chez les Pères de l’Église. Les Nazoréens sont évoqués dans la littérature rabbinique mais sans trop de précision : pour les Pharisiens et les Rabbanites, ce sont des Chrétiens d’origine juive qu’il faut éviter de fréquenter, et peu importe qu’ils soient Nazoréens, Ébionites ou Elkasaïtes.
A l’origine du mouvement, on trouve la communauté chrétienne de Jérusalem dirigée par Jacques le Juste. Le nom du mouvement vient d’un substantif dont l’origine et la signification sont controversées par les spécialistes. Quoiqu’il en soit, la figure de Jacques et la figure de Pierre semblent tenir un rôle essentiel dans le mouvement nazoréen, du moins en ce qui concerne la communauté chrétienne de Jérusalem. On estime que les Nazoréens sont très liés à Pella, en Décapole, notamment pour la tradition qui rapporte l’arrivée dans cette ville de la communauté chrétienne de Jérusalem lors de la première révolte juive contre Rome. Des historiens réfutent cette tradition.
Trois événements ont marqué la communauté chrétienne de Jérusalem et l’ensemble du monde chrétien : Le conflit d’Antioche et la réunion de Jérusalem (48-49 ou 49-50) peuvent être considérés comme les premiers épisodes connus d’une longue opposition entre des disciples de Jésus, entre deux tendances : l’une mettant l’accent sur l’observance de la Torah (avec Jacques et Pierre), l’autre sur le Messie (avec Paul). Le principe de la circoncision est également posé par des Pharisiens devenus chrétiens. Pierre tranche la polémique : Dieu ayant purifié le cœur des Païens par la croyance en la messianité de Jésus, on peut pousser la Torah de côté. Jacques se range au côté de Pierre ; mais les communautés mixtes vont lui poser problème : il ne faut pas que les Chrétiens d’origine juive aient à craindre de souillure légale lorsqu’ils fréquentent les Chrétiens d’origine païenne. A cet effet, il propose que ces derniers observent un minimum de préceptes : refuser l’idolâtrie, l’immoralité, la viande étouffée et le sang. Le conflit d’Antioche et la réunion de Jérusalem ont eu une influence déterminante sur les rapports entre les Jacobiens/Pétriniens (partisans de Jacques et Pierre) d’une part et les Pauliniens (partisans de Paul) d’autre part qui donneront naissance au judéo-christianisme et au pagano-christianisme.
Lors de son dernier séjour à Jérusalem, Paul est accueilli très froidement par Jacques le Juste qui lui reproche d’inciter les Juifs de la Diaspora à en prendre à leur aise avec la Torah, notamment par le refus de la circoncision et le non respect des règles alimentaires. La révolte des Juifs d’Asie entraînera l’arrestation de Paul. Il semble que Jacques le Juste et ses disciples n’aient rien fait pour lui venir en aide.
Jacques le Juste est exécuté à Jérusalem par lapidation (comme l’avaient été les Chrétiens d’origine juive, Étienne et Jacques le Majeur), en 62, sur ordre du Grand Prêtre Ananius, un Sadducéen soucieux de plaire à Rome et pour qui Jacques le Juste était probablement sous l’influence des Zélotes.
L’histoire du mouvement nazoréen se confond avec celle de la communauté chrétienne de Jérusalem jusqu’en 135, un mouvement de plus en plus marginalisé dans la ‟Grande Église”. Par ailleurs, les Nazoréens subissent les imprécations des autres Juifs par la Birkat ha-minim.
Eusèbe de Césarée rapporte que les premiers évêques de Jérusalem furent tous des Chrétiens d’origine juive. Précisons que le terme ‟évêque” ne doit pas être entendu comme il l’est aujourd’hui ; rapporté à cette époque, il désigne simplement un intendant de la communauté. Eusèbe de Césarée mentionne quinze évêques de Jérusalem dont les deux premiers : Jacques (frère de Jésus) et Siméon (oncle de Jésus). Cette liste prouve que les Chrétiens d’origine juive ont quitté Pella après 70, avec à leur tête Siméon, pour s’établir à Jérusalem. Précisons qu’il n’y a aucune raison de confiner les Nazoréens à la seule communauté de Jérusalem et rien n’empêche d’envisager leur présence en Asie mineure.
Les Nazoréens ont utilisé un Évangile particulier, l’‟Évangile des Hébreux” ou ‟Évangile des Nazoréens”. Les rapports entre l’Évangile selon Jean et les Nazoréens mérite qu’on s’y arrête. J. L. Martyn juge que cet Évangile est le produit de Chrétiens d’origine juive. M. C. de Boer quant à lui s’est efforcé d’identifier plus précisément ces Chrétiens en proposant notamment la thèse nazorénenne, une démonstration qui mériterait un article à part. Notons qu’après leur expulsion de la Synagogue, au cours du IIe siècle, des Nazoréens ont fait entrer leur Évangile dans des communautés chrétiennes d’origine païenne et parfois même dans des communautés gnostiques, tandis que d’autres Nazoréens sont restés fidèles à leurs origines juives tout prenant leurs distances vis-à-vis des communautés pharisiennes/tannaïtes.
Rien n’empêche de considérer l’Évangile selon Matthieu et l’Évangile selon Marc comme se rattachant au mouvement nazoréen. Selon les informations rapportées par Épiphane de Salamine, les pratiques des Nazoréens ne diffèrent en rien de celles des Juifs ; ils diffèrent des Juifs par leur foi dans le Christ et des Chrétiens par leur respect de la Loi juive. Les croyances des Nazoréens sur le plan christologique ne diffèrent pas de celles des autres Chrétiens. Par ailleurs, ils croient en la résurrection des morts, une croyance générale tant chez les Chrétiens que chez les Juifs pharisiens au 1er siècle et chez les Juifs rabbanites aux siècles suivants.
L’‟Évangile des Hébreux” (ou ‟Évangile des Nazoréens”) est une dénomination utilisée par les Pères de l’Église, ‟Hébreux” désignant sans doute pour eux les Chrétiens d’origine juive. L’‟Évangile des Hébreux” a été écrit en hébreu ou en araméen et traduit peu après en grec (avant la fin du IIe siècle), probablement à Alexandrie. Il est habituellement daté de la première moitié du IIe siècle. Il aurait été en circulation chez les Nazoréens vivant dans des régions de Syrie, de Palestine mais aussi d’Égypte.
La doctrine de l’‟Évangile des Hébreux” ne présente pas de différences majeures avec celle des Évangiles synoptiques. Les relations entre l’‟Évangile des Hébreux” et les Évangiles canoniques sont floues, même s’il existe selon toute vraisemblance des liens étroits avec l’Évangile selon Matthieu. A partir du IVe siècle, l’‟Évangile des Hébreux” se retrouve parmi les textes proscrits, les Chrétiens d’origine juive étant peu à peu marginalisés au cours du IIe siècle par les Chrétiens d’origine païenne qui les suspectent d’hérésie et renvoient leurs écrits dans la catégorie des apocryphes.
Ci-joint, un lien Akadem, ‟Les Nazaréens, disciples de Jésus”, présenté par François Blanchetière (durée 36 mn) :
Ci-joint, un article, ‟Reconstruire les origines chrétiennes : le courant « nazoréen »” par François Blanchetière :
Olivier Ypsilantis
J’ai lu il y a quelques années un article intéressant dont malheureusement je ne retrouve pas la référence: selon l’auteur, le village de Nazareth n’existait pas, ou en tout cas pas sous ce nom, à l’époque de Jésus. Le mot Nazareth (נצרת Natzrath en hébreu) serait une transformation de mot Notzer (נוצר) qui veut dire gardien, un synonyme de shomer (שומר). Jésus aurait été un Notzer haThora (נוצר התורה), groupe connu de Juifs proches des zélotes. Il serait donc issu du groupe Notzer et non de la ville de Natzrat.
Amicalement