L’Espagne a normalisé ses relations avec Israël en 1986. La royauté espagnole, en la personne de Juan Carlos I, a tenu un rôle essentiel dans ce processus.
Pedro Sánchez, l’actuel chef du Gouvernement espagnol, ce démagogue de première qui surfe sur tout ce qui peut le favoriser, un homme dénué de tout principe moral, s’agite au sujet de l’hypermédiatisée question palestinienne à laquelle il ne connaît par ailleurs presque rien voire rien. Il sait tout simplement que défendre la création d’un État palestinien ne peut que le faire passer pour un gentil garçon et le placer dans le camp du Bien. Cet individu opportuniste et narcissique est prêt à tout pour se saisir du pouvoir et s’y maintenir – il faut étudier ses manœuvres vis-à-vis de Carles Puigdemont et Junts per Catalunya, JuntsxCat. Sa politique marocaine avec notamment la question du Sahara occidental va dans le même sens : plaire au plus grand nombre et qu’importent les concessions auxquelles doit se soumettre son pays pourvu que lui, Pedro Sánchez, soit porté par elles. Il est venu faire le joli-cœur à la porte égyptienne de Gaza, la porte de Rafah. Israël a éprouvé une grande irritation envers cet individu que j’ai pris l’habitude de surnommer « le gandin de La Moncloa », un baratineur et un bonimenteur.
Je trouve une certaine consolation face à ce personnage falot en effectuant un retour dans un passé pas si lointain, avec la reconnaissance de l’État d’Israël par l’Espagne en janvier 1986. Le 17 janvier, Felipe González, chef du Gouvernement espagnol, annonce l’établissement de relations diplomatiques entre l’Espagne et Israël (Shimon Pérès est alors chef du Gouvernement israélien), Israël que l’Espagne est le seul État d’Europe occidentale à ne pas avoir reconnu. L’entrée de cette dernière dans la C.E.E., le 1er janvier, rend indispensable une mesure qui figure dans le programme du P.S.O.E., au pouvoir depuis 1982. Rappelons que l’Espagne avait signé le traité d’adhésion le 12 juin 1985, un traité d’adhésion qui sera suivi de l’intégration effective dans la Communauté économique européenne le 1er janvier 1986.
Juan Carlos I a tenu un rôle central dans la reconnaissance d’Israël par l’Espagne. Cette reconnaissance le préoccupait avant même son accession au trône, le 22 novembre 1975, ainsi que le rapporteront certains de ses plus proches collaborateurs.
Rappelons que le régime franquiste (1939-1975) a gardé ses distances envers Israël au nom de la (supposée) « tradicional amistad hispano-árabe », une relation bien ambiguë. En effet, la Reconquista se trouve au cœur du narratif de ce régime, soit la reconquête conduite par les chrétiens contre les musulmans, reconquête achevée en 1492 avec prise du royaume de Grenade par les Rois catholiques. Franco se présente comme le successeur de ces souverains, en particulier d’Isabel la Católica. La guerre qu’il mène au cours de la guerre civile (193-1939) est présentée par ses partisans comme une Cruzada (une Croisade), mais cette fois non pas contre l’islam mais contre le marxisme et l’athéisme. Et dans cette lutte contre l’athéisme, il prétend s’adjoindre des musulmans, soit des croyants. Les croyants, chrétiens et musulmans au coude-à-coude contre les forces de l’athéisme… Il faut étudier la propagande franquiste de l’époque visant notamment à recruter au Maroc pour cette Cruzada. Parmi les troupes de choc nationalistes, les Fuerzas Regulares Indigenas, plus simplement les Regulares également connus sous le nom de « los moros de Franco », des troupes particulièrement redoutées.
Il est difficile de définir l’attitude de Franco envers les Juifs. Il me semble qu’il était plutôt indifférent et, à l’occasion, plutôt méfiant. Présenter Franco comme un homme qui a sauvé des Juifs de son plein gré, par sympathie pour eux, me semble relever d’une propagande élaborée et confortée par le régime après la guerre pour séduire les Alliés. Franco ne s’est pas précipité pour leur offrir un refuge et, de ce point de vue, il peut être comparé à Salazar. L’un et l’autre étaient des calculateurs qui se sont employés à ne pas provoquer l’Allemagne nazie (voire à lui faire les yeux doux), notamment sur la question juive, aussi longtemps que cette Allemagne semblait devoir l’emporter ; ils se sont montrés un peu plus conciliants en entrouvrant la porte aux Juifs lorsque le rapport de force commença à s’inverser. Lorsque les Juifs passaient par l’Espagne, Franco se hâtait de les faire passer au Portugal ou de les interner dans des camps d’internement pour éviter qu’ils ne se mêlent à la population. En effet, les Juifs étaient considérés comme de potentiels fauteurs de troubles, des marxistes. Après la fin de la guerre civile (1936-1939), et comme le général de Gaulle, Franco jugea qu’il était plus rentable de s’entendre avec le monde arabe qu’avec Israël, considérant le nombre d’habitants et la superficie de ce monde, sans oublier ses ressources en pétrole, une matière première stratégique. Par ailleurs, la question marocaine avait été centrale dans la politique étrangère de l’Espagne au cours du XXème siècle. A la mort de Franco, la « tradicional amistad hispano-árabe » va souffrir et durement. En effet, alors que Franco est à l’agonie (il mourra le 20 novembre 1975), Hassan II lance la Marche verte le 6 novembre de la même année dans le but de chasser toute présence espagnole dans ce qui est encore le Sahara espagnol.
Mais j’en reviens à Juan Carlos I. Alors qu’il n’est encore que prince des Asturies, il se montre préoccupé par les relations entre son pays et Israël. Peu après son intronisation, Juan Carlos I charge son ministre des Affaires étrangères, José María de Areilza, de prendre secrètement contact avec de hauts responsables du Gouvernement israélien afin de préparer la voie pour la reconnaissance d’Israël par l’Espagne. Cet homme qui milite depuis des années pour un rapprochement entre ces deux pays organise des rencontres au cours du premier trimestre de l’année 1976, à Paris. Les réactions des pays arabes ne se font pas attendre et Anouar el-Sadate informe Juan Carlos I que l’établissement de relations diplomatiques entre l’Espagne et Israël aura des effets très négatifs pour l’Espagne qui importe alors 93 % de son pétrole de pays musulmans, essentiellement arabes. Au printemps 1977, Marcelino Oreja Aguirre, ministre des Affaires étrangères d’Adolfo Suárez, se rend dans les pays arabes pour les informer que l’idée de normaliser les relations entre l’Espagne et Israël est abandonnée pour un temps indéfini et que son pays réaffirme son soutien à la cause palestinienne. Le prince héritier d’Arabie saoudite, Fahd ben Abdelaziz Al Saoud effectue de nombreux voyages non officiels pour Madrid car il a établi de solides liens avec Juan Carlos I. Parmi les sujets qu’abordent en privé ces deux hommes dans le palais de la Zarzuela, la question des relations Israël/Espagne. La situation est de plus en plus inconfortable pour l’Espagne à l’heure où, entre autres pays, les États-Unis, la France sans oublier le président de la Commission économique européenne (à laquelle l’Espagne aimerait adhérer) font pression pour que l’Espagne normalise ses relations avec Israël. Le cas espagnol devient d’autant plus singulier que le Portugal a établi des relations diplomatiques avec Israël depuis 1977. La signature des accords de Camp David (septembre 1978) est jugée comme une belle opportunité par le Gouvernement espagnol. Mais les efforts diplomatiques échouent et les pays arabes s’efforcent d’intimider l’Espagne. Ce n’est qu’en janvier 1984 que le chef du Gouvernement espagnol, Felipe González, profite d’un discours devant l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe à Strasbourg pour annoncer l’établissement de relations diplomatiques entre son pays et Israël. Les ambassadeurs arabes à Madrid jugent qu’il est inacceptable de prendre une telle décision sans avoir préalablement fondé un État palestinien. Rappelons que l’Égypte a reconnu Israël en 1979.
Au cours de ces années, la Zarzuela (soit le Palais royal) est au centre de cette question, plus que La Moncloa (l’équivalent de Matignon) ou le ministère des Affaires étrangères. La Zarzuela subit en première ligne la pression arabe et s’efforce de dépêtrer cet imbroglio. Les voyages de Juan Carlos I dans les capitales arabes et ceux des dirigeants arabes dans la capitale espagnole sont nombreux. Le roi est le principal intermédiaire entre les responsables arabes et le chef de son Gouvernement, Felipe González. Dans le livre de José Luis de Vilallonga, « El rey », Juan Carlos I rend compte de son activité diplomatique sur cette question. Les pays arabes finissent, à contre-cœur, par accepter cette normalisation diplomatique qui est signée à La Haye, le 19 janvier 1986, entre Felipe González et Shimon Pérès.
Extrait d’un article du quotidien Le Monde en date du 30 juin 1967 :
Si l’Espagne désire vraiment être utile dans la crise du Moyen-Orient, il lui faut avant tout reconnaître Israël, déclare en substance José María de Areilza, ancien ambassadeur d’Espagne à Paris et l’un des membres les plus connus du conseil privé de Juan Carlos I, dans un article publié mercredi dans le quotidien monarchiste ABC.
L’Espagne est le seul pays catholique et le seul pays de langue castillane qui ne reconnaît pas l’État d’Israël. Son attitude repose sur le fait qu’en 1948 Israël émit un vote défavorable à l’admission de l’Espagne à l’O.N.U., mais, comme le signale José María de Areilza, ” son suprême argument ” c’est que si elle reconnaît Israël ” tout le monde arabe se retournera contre elle “. Aux Nations Unies, le bloc arabe vote toujours en faveur des thèses de Madrid.
L’ancien ambassadeur réfute ce raisonnement en assurant que, d’une part, s’il fallait tenir compte de tous ceux qui, en 1948, votèrent contre l’Espagne, celle-ci ne pourrait pas reconnaître la ” moitié du monde libre ” ; et, d’autre part, que la non-reconnaissance d’Israël fondée sur la crainte de perdre la traditionnelle amitié des pays arabes est un signe de servilité.
Olivier Ypsilantis