Le premier livre imprimé au Portugal, le Pentateuque, l’a été en hébreu le 30 juin 1487, par Samuel Gacon, à Faro, dans l’Algarve. L’unique exemplaire connu de cette édition est déposé à la British Library, Londres.
L’imprimerie au sens moderne du mot (caractères mobiles) est due à Johannes Gutenberg ; elle a vu le jour entre 1440 et 1450. Cette invention va servir les intérêts de l’Église mais aussi les intérêts de ceux qu’elle considère comme des hérétiques ; c’est pourquoi elle se montre d’emblée particulièrement vigilante vis-à-vis de l’imprimerie. La censure se met en place au Portugal bien avant l’Inquisition, au moins dès le début du XIVème siècle (1324). Nous sommes alors dans la Pre-Inquisition Censorship qui annonce la Inquisitional Censorship. Cette première censure est réorganisée, et ce n’est pas un hasard, suite à l’invention de Johannes Gutenberg.
Cette invention donne vers 1450-1460 une formidable impulsion au monde de l’imprimerie et dans toute l’Europe. Compte tenu des faibles voire des très faibles tirages alors, il est malaisé de dresser un catalogue exhaustif des ouvrages publiés au Portugal au cours de cette période. On peut néanmoins affirmer que les premiers livres imprimés selon un procédé typographique dans ce pays sont associés à des familles juives, avec caractères mobiles en hébreu (Hebrew movable types), au moins à partir de 1487, soit l’édition du Pentateuque de Faro. Une telle production supposait : 1. Des ouvriers possédant une maîtrise technique tant pour la composition (la mise en page) que pour l’impression. 2. L’existence de caractères hébreux – plusieurs jeux de ces caractères ont été importés de pays où leur fabrication était plus avancée. 3. Des stocks suffisants de papier à une époque où le papier était plutôt rare et donc coûteux.
Les familles juives dans le Portugal du XVème siècle se dédient pour la plupart au commerce dont l’aire dépasse largement les frontières du pays. Elles commercent activement avec des villes telles que Tolède, Gibraltar, Paris, Livourne, Gênes, Naples, Anvers Bruges, Amsterdam, Rotterdam et Hambourg, des villes où vivent d’importantes et prospères communautés juives à l’identité culturelle marquée. Il est fort possible, si l’on reprend la theory of importation, que des Juifs portugais et espagnols aient apporté avec eux des Hebrew mobile types ainsi que les connaissances permettant leur bonne utilisation. L’introduction de ces caractères mobiles se serait d’abord faite en Espagne, plus ou moins une décennie avant leur introduction au Portugal. Le premier livre imprimé au Portugal selon un procédé typographique l’a très probablement été le 30 juin 1487 (soit le livre imprimé par Samuel Gacon, à Faro), le premier livre imprimé en Espagne selon ce procédé l’a été vers 1476, à Guadalajara, par Solomon ibn Alkabez.
Les noms de Moses ben Shem Tov ibn Habib et de Samuel Gacon sont indissociables des débuts de la typographie et pas seulement au Portugal. Moses ben Shem Tov ibn Habib, poète, philosophe, traducteur et grammairien est né à Lisbonne au XVème siècle (la date exacte de sa naissance reste inconnue). En 1484, sa grammaire, Perah Shoshan, circule à Naples où elle a été imprimée. Il aurait séjourné dans cette ville et serait mort au début du XVIème siècle. La date de naissance de Samuel Gacon nous est également inconnue. En 1487, il réside à Faro où il publie l’édition du Pentateuque qui constitue le sujet du présent article.
Selon une hypothèse, au cours du dernier quart du XVème siècle, des relations s’étaient établies entre les ateliers typographiques d’Espagne et du Portugal. Ces ateliers étaient particulièrement présents à Faro, Lisbonne, Leiria (une ville au nord de Lisbonne et proche de la côte) ainsi qu’en Afrique du Nord où à partir du XVème siècle arrivent en nombre des Juifs expulsés d’Espagne et du Portugal.
Le Pentateuque de Samuel Gacon se présente suivant cent dix folios (avec typographie en caractères hébreux, rappelons-le) de trente à trente-deux lignes chacun. Au Portugal, l’activité des imprimeries juives est soutenue entre 1487 et 1497. C’est à Leiria qu’est imprimé l’Almanach Perpetuum Celestium Motuum de l’astrologue Abraão Zacuto, une figure majeure de la cour de D. Manuel.
Au cours des dernières décennies du XVème siècle, alors que Samuel Gacon s’affirme à Faro, Elieser Toledano et Samuel d’Ortas s’affirment respectivement à Lisbonne et Leiria. Samuel d’Ortas aurait communiqué son savoir à ses fils, chose habituelle alors. Nous ne sommes toutefois pas certains du lien de parenté (si lien de parenté il y a) entre ce dernier et Abraham d’Ortas, autre typographe juif. Les principales publications juives d’alors (nous sommes à la fin du XVème siècle) ont trait à des commentaires du Pentateuque.
On peut admettre que dans un premier temps seules trois imprimeries juives aient été en activité et dans les villes dont il vient d’être question. Considérant la position géographique de ces trois villes, on peut en conclure que l’introduction des techniques typographiques au Portugal est venue de la mer avant de gagner l’intérieur des terres, entre 1488 et 1495.
Trois types d’individus ont eu un rôle de première importance dans l’introduction de la typographie au Portugal : 1. Les riches commerçants juifs. 2. Les muletiers. 3. Les aristocrates voyageurs. 1. Ce serait un riche commerçant juif qui aurait importé la première presse typographique, alors fort rudimentaire. 2. Les muletiers auraient fait le lien entre les communautés juives rurales et urbaines. Les muletiers vendent alors des objets et des produits à usage domestique ; et en tant que voyageurs ils apportent des nouvelles. Bien qu’étant le plus souvent illettrés, les muletiers proposent aussi à la vente des imprimés, jusque dans les communautés les plus reculées et les micro-communautés. La culture de l’écrit commence à s’ajouter, bien que très marginalement, à la culture de l’oral, du bouche-à-oreille. L’imprimé ne s’imposera vraiment que des siècles plus tard, au XIXème siècle et bien imparfaitement considérant le grand nombre d’illettrés, et chez les non-Juifs plus que chez les Juifs. 3. L’aristocrate voyageur. Lui aussi, comme le muletier, bien que différemment, apporte des nouvelles du monde extérieur à une aristocratie rurale qui ne quitte guère ou jamais sa région.
Au cours du règne de D. Manuel, dans les années qui précèdent le décret d’expulsion de 1496, les Juifs sont toujours plus persécutés, à Lisbonne et dans les villes du Sud du pays, comme Évora, Beja et Faro. Il est fort probable que les fils de Samuel Gacon aient alors quitté le Portugal pour l’Italie et Constantinople.
L’introduction de la typographie au Portugal a eu un impact considérable sur la culture de ce pays à la fin du Moyen Âge et au cours de la Renaissance. Les Juifs y ont été pionniers et leur présence restera marquée dans les débuts de son développement.
Olivier Ypsilantis