Cet article prend appui sur le chapitre 8, « Musées : le musée du Palmach », dans « Israël. La fabrique de l’identité nationale » d’Avner Ben-Amos, professeur de l’histoire de l’éducation à l’université de Tel Aviv, un livre passionnant et dont il existe, à ma connaissance, peu d’équivalent.
Le musée du Palmach est situé dans le faubourg nord de Tel Aviv, un faubourg où de beaux espaces ont été aménagés le long des berges du Yarkon. Ce musée est dédié aux unités paramilitaires qui constituèrent les principales forces armées de la communauté juive du Yishouv entre 1941 et 1948 (année de la création de l’État d’Israël) et l’épine dorsale des forces israéliennes au cours de la Guerre d’Indépendance (1948-1949).
Le musée du Palmach a été inauguré en mai 2000, à l’issue d’une gestation longue et compliquée. Ce musée d’histoire se veut narratif, comme d’autres musées d’histoires qui proposent une présentation du passé que facilitent les technologies de pointe. Ce musée a donc mis au placard les objets historiques pour mieux impliquer le visiteur par d’autres moyens.
Palmach, un acronyme de l’hébreu. Il désigne les unités de choc (créées en mai 1941) de la Haganah, l’organisation dirigée par l’Agence juive, contrôlée par le mouvement travailliste. La Haganah (défense en hébreu), responsable de la défense du Yishouv, veut amplifier ses capacités et organiser une force armée nationale régulière capable de mener des opérations spéciales et de déploiement d’urgence. L’occasion se présente au printemps 1941, alors que les troupes germano-italiennes foncent vers l’Égypte. La Palestine est menacée et les Britanniques qui subissent la pression de Rommel ont à leur dos un Irak pro-nazi ainsi qu’une Syrie et un Liban vichystes. Ils acceptent de financer et de conseiller des unités de volontaires juifs nouvellement créées. Le Palmach épaule les Britanniques dans ces pays tenus par Vichy et s’entraîne au renseignement et à la guérilla au cas où la Palestine serait envahie par les troupes de Rommel.
Novembre 1942, El-Alamein. Le danger s’est éloigné et les Britanniques retirent sans tarder leur soutien au Palmach qui accuse alors une forte baisse de son recrutement. La Haganah pare à ce manque en enrôlant les membres des mouvements de jeunesse sionistes socialistes qui, après avoir terminé leurs études secondaires, désirent vivre au kibboutz. Ainsi travaillaient-ils quinze jours au kibboutz et reçoivent-ils une formation militaire durant les quinze autres jours, un système qui permet de maintenir la cohésion des groupes qui, considérant leur travail, payent leur entraînement, leur logement et leur nourriture. Ce système permet aussi de resserrer les liens entre le Palmach et le mouvement travailliste (plus particulièrement son aile gauche), tout en promouvant la figure du citoyen-soldat hébreu.
Jusqu’au début de la Guerre d’Indépendance, les unités du Palmach (soit près de trois mille combattants) agissent comme une force armée nationale semi-clandestine qui combat dans quatre directions : le front arabe (collecte de renseignements et opérations spéciales de riposte) ; l’appui aux forces clandestines dans l’Est de l’Europe occupée ; le front interne (freiner les organisations clandestines juives qui ne reconnaissent pas l’Agence juive) ; le front anglais (essentiellement organiser l’immigration juive illégale vers la Palestine).
Entre décembre 1947 et mai 1948, soit dans les premiers temps de la Guerre d’Indépendance, le Palmach (environ six mille combattants) est la principale force combattante juive, avant la mise en place d’une armée officielle, Tsahal. Le Palmach est officiellement démantelé en novembre 1948, sur l’initiative de David Ben Gourion, un coup rude – terrible même – pour ses combattants. Toutefois, ces derniers se constituent en un puissant réseau social et leur influence sur la société israélienne après la création de l’État d’Israël, et dans tous les domaines, tant civils que militaires, restera considérable.
Le projet de fonder un Musée du Palmach répond dans un premier temps à la volonté des anciens de cette unité de choc de créer (trente ans après son démantèlement et son intégration à Tsahal) un centre de mémoire. Il y a bien quelques monuments érigés aux morts du Palmach (notamment sur la route de Jérusalem, pour la brigade Harel, en 1951, ou à Beer Sheva, pour la brigade du Néguev, en 1968) mais ces initiatives sont restées sporadiques.
18 octobre 1978, des vétérans du Palmach et leurs familles se rassemblent près du kibboutz Ein Harod, à l’occasion du trentième anniversaire de la création de l’État d’Israël, une grande fête avec pique-nique et spectacle retraçant l’histoire du Palmach. Six mois plus tard, et fort du succès de ce rassemblement, Yigal Alon, ancien commandant du Palmach, envoie un courrier à quelques vétérans afin de discuter du projet de fonder une « Maison du Palmach ». Ci-joint, un lien retrace le parcours militaire et politique de cet homme :
http://www.jewishvirtuallibrary.org/yigal-allon
Pourquoi avoir choisi cette date pour relancer le projet d’une « Maison du Palmach » ? Les élections du 17 mai 1977 y sont probablement pour quelque chose. En effet, pour la première fois dans l’histoire du pays, le Parti travailliste perd le pouvoir au profit d’une coalition de droite conduite par le Likoud dont les dirigeants avaient été membres d’organisations clandestines de droite dissoutes par David ben Gourion le travailliste. La droite n’ayant pas la même appréciation des faits antérieurs à 1948, sa version risquait de remettre en question un certain narratif et le rôle central tenu par le Palmach, un rôle inséparable du mouvement travailliste dans la mémoire nationale. Par ailleurs, cette mémoire se voyait sérieusement chahutée par les « nouveaux historiens », Benny Morris en tête, qui accusaient les travaillistes, le Palmach et la Haganah d’avoir tenu un rôle actif dans l’expulsion de populations palestiniennes au cours de la Guerre d’Indépendance. Ainsi les vétérans de cette unité virent-ils leur mémoire menacée sur leur droite mais aussi sur leur gauche. Il leur fallait donc réagir et vite.
Considérant cette double menace, et fort du succès du rassemblement du 18 octobre 1978, Yigal Alon avance son projet. Le 26 juin 1979, il est décidé d’établir une association formelle afin de « transmettre l’héritage du Palmach à notre génération et aux générations à venir », un projet ambitieux que doit abriter et promouvoir une « Maison du Palmach ». Ce projet est porté par des membres de cette association qui occupent les postes les plus élevés dans de nombreux secteurs de la société israélienne, parmi lesquels Yitshak Rabin. L’association est enregistrée en février 1981 sous l’appellation « La Génération du Palmach ». Ce projet de Yigal Alon traduit une autre inquiétude : celle de la vieille élite ashkénaze (à laquelle appartiennent les vétérans du Palmach) face à la profonde transformation démographique de la société israélienne, suite aux vagues d’immigration des Juifs en provenance des pays arabes à partir des années 1950.
L’enregistrement officiel permet à l’association de recevoir des dons pour financer son projet. Mais ce n’est qu’en septembre 1989, et après bien des déconvenues (je passe sur les détails), que ce projet peut avancer. En effet, le ministre de la Défense accepte officieusement d’allouer un terrain qu’il possède pour y construire un musée, étant entendu qu’il serait considéré comme un des musées militaires acquis et dirigés par le ministère de la Défense. L’accord définitif est signé le 29 décembre 1990 par Moshe Arens, du Likoud, ministre de la Défense. Mais où trouver plus de financement, les donations privées se révélant insuffisantes ?
Le retour du Parti travailliste au pouvoir, à l’issue des élections de juillet 1992, va permettre au projet d’avancer, avec notamment l’appui de Yitshak Rabin, à la fois Premier ministre et ministre de la Défense. Les gouvernements suivants, qu’ils soient dirigés par le Likoud (1996-1999) ou le Parti travailliste (1999-2001), appuient le projet jusqu’à son achèvement en 2000. L’animosité entre le Parti travailliste et le Likoud s’est estompée, probablement et en grande partie grâce au gouvernement de cohabitation, de 1984 à 1990.
Deux cérémonies officielles : 10 juin 1993, pose de la première pierre ; 31 mai 2000, inauguration. L’architecte de ce musée, Zvi Hecker (né en 1931), architecte israélien, lauréat du concours lancé en 1992. Esther Zandberg écrit au sujet de cette construction : « Il y a beaucoup de symbolisme dans le musée du Palmach. Le plan du bâtiment évoque une étoile de David brisée, établie sur une colline de grès, comme un avant-poste frontalier. Les murs du bâtiment sont des terrasses diagonales qui reproduisent artificiellement la colline arasée pour implanter le musée et qui protègent un reste de bosquet de pins. Le fait que Zvi Hecker ait pris ce bosquet d’arbres en considération et en ait conservé une partie l’aida à gagner le concours. Les murs du musée sont en ciment rugueux et gris, plein de trous, comme s’ils avaient subi un bombardement. Le symbole le plus fort de ce musée, outre le symbole même du Palmach, bien visible au-dessus des murs, est la couverture en grès de la façade. Elle a été placée contre le mur en ciment. Ce grès a été extrait de la colline. Il marque le lien avec ce lieu et, peut-être, faut-il y voir une demande de pardon pour les dommages causés à la nature par cette construction. »
(à suivre)
Olivier Ypsilantis
Merci pour l’info, ce sera notre prochaine visite.