Le Premier Testament offre la particularité d’être le récit historique des événements vécus par les Hébreux et l’expression de la volonté divine qui se dit dans ce récit. Avec la tradition hébraïque, l’Histoire se fait mythologie religieuse, expression de la volonté de Dieu. La religion d’Israël ne prend pas appui sur quelques mythes fondateurs inscrits sur le plan divin mais sur l’histoire même du peuple d’Israël.
La Genèse ouvre l’histoire d’Israël, Abraham obéit à l’injonction divine à la tête de son peuple ; il commence un périple qui s’inscrit dans la mémoire de ce peuple mais aussi dans la mémoire de l’Humanité. Ce périple scelle l’Alliance entre Yahvé et Israël. Cette épopée a pour espace l’Ancien Orient du IIème et Ier millénaires av. J.-C., dont la Mésopotamie (édifiée sur la civilisation sumérienne), la Mésopotamie dont la partie sud est un pays de haute civilisation aux nombreuses villes prestigieuses en constante rivalité. Abraham est parti de l’une d’elles : Ur, en Chaldée. Dans la partie nord se constitue un empire, l’Assyrie, l’un des plus agressifs de l’Histoire. C’est l’Assyrie qui au VIIIème siècle av. J.-C. écrasera l’un des deux royaumes juifs, le royaume d’Israël. Autre civilisation prestigieuse, l’Égypte, bien moins agressive que les civilisations de la Mésopotamie, en particulier de l’Assyrie. Entre l’Égypte et la Mésopotamie, une région aride que parcourent nomades et semi-nomades. La côte de cette région diffère de l’intérieur et ses antiques et prestigieuses villes marchandes : Byblos, Tyr, Sidon, Ugarit, des villes aux cultes exubérants comme ceux des villes du sud de la Mésopotamie, des cultes contre lesquels les prophètes d’Israël ne cesseront de s’élever.
Le périple d’Israël s’inscrit dans cet immense espace, avec foisonnement de dieux auquel participent les nombreuses villes entourées de déserts, un monde de guerres et de conquêtes, de royaumes qui s’édifient avant d’être rasés, de villes en guerre les unes contre les autres, un monde soumis aux raids de nomades et de pirates.
Abraham et son peuple auraient-ils quitté la Basse-Mésopotamie vers le début du IIème millénaire av. J.-C. pour Canaan qui deviendra la Terre Promise ? Ils partent pour l’Égypte et pour plusieurs générations où leur condition finit par se dégrader. Moïse échappe au massacre des premiers-nés hébreux. Il recevra la mission de conduire son peuple hors d’Égypte. La Bible rapporte les temps forts de ces quarante années d’errance jusqu’au retour à Canaan et la mort de Moïse alors qu’il est sur le point d’arriver en Terre Promise. Les événements qui font suite à ce retour sont un peu mieux connus et se laissent deviner sous un halo de légende. L’installation des tribus des Hébreux s’est probablement faite en partie pacifiquement, certaines d’entre elles n’ont d’ailleurs jamais quitté Canaan. Cette installation s’est également accompagnée de luttes armées, ce que rapporte l’historiographie juive sur un ton épique – nous sommes vers la fin du IIème millénaire.
Les douze tribus d’Israël qui devaient former une sorte de fédération se constituent en monarchie sous la pression d’ennemis, notamment les Philistins. Cette monarchie culmine avec David et Salomon, au début du Ier millénaire. A la mort de ce dernier, le royaume se scinde : Israël et Juda. Israël et Juda tombent respectivement en 721 et 598 av. J.-C. sous la poussée assyrienne et babylonienne. Les Hébreux se scindent en plusieurs groupes ; l’un d’eux est conduit en captivité à Babylone. Israël sera restauré par les Perses. Le Temple de Jérusalem sera reconstruit (Second Temple) et la plupart des textes du Premier Testament recevront leur forme définitive.
Malgré le décalage entre la rédaction des textes et les événements qu’il rapportent, l’évolution religieuse de la foi hébraïque peut être envisagée suivant les étapes suivantes : religion patriarcale d’Abraham / réforme de Moïse / retour en Canaan et syncrétisme avec la religion locale / montée en puissance des prophètes.
Abraham, l’Alliance scellée entre Yahvé et le peuple d’Israël. De la centralité du sacrifice d’Isaac comme fondement du monothéisme. Moïse, deuxième personnage de l’épopée hébraïque et l’Alliance définitive entre Yahvé et le peuple d’Israël. La conscience morale inculquée à ce peuple. Après Moïse et la sédentarisation des Hébreux, on note une période de syncrétisme entre la religion d’Abraham et de Moïse et la religion cananéenne. La dynastie de David va devenir le symbole de l’Alliance avec Yahvé et elle pose les bases de l’espérance messianique. La lignée des prophètes apparaît dès le début de cette période royale et s’affirme au cours de la période de décadence alors que le royaume s’est fracturé en deux et que les menaces extérieures ne cessent de s’affirmer. Les prophètes dénoncent la dégénérescence de leur religion et incitent à une transformation de l’homme. Le prophète Amos proscrit les offrandes matérielles. Les prophètes invitent à la pureté, au droit, à la justice et la bonté.
Par leurs dénonciations et leurs invitations, les prophètes d’Israël vont bouleverser l’histoire du monde en initiant un monothéisme universel. Ils débarrassent définitivement l’Alliance initiée par Abraham et confortée par Moïse des restes d’anciens cultes orientaux, dont ceux de la religion cananéenne. Ce mouvement prophétique ne cesse d’annoncer le châtiment d’Israël par des guerres et des catastrophes naturelles. Mais sa dynamique peut s’inverser et se faire consolatrice. Ainsi Ézéchiel prend le chemin de l’exil en Babylonie après avoir proclamé la chute de Jérusalem ; mais une fois en exil, il prédit le salut pour Israël ; Israël est tombé mais sera restauré. L’histoire d’Israël, une formidable dynamique qui ouvre une perspective eschatologique.
Les débuts d’une doctrine particulière de la guerre semblent remonter à la période immédiatement postérieure à la réforme mosaïque, soit celle de la sédentarisation des tribus d’Israël en Israël. L’instauration d’une royauté et l’organisation d’une armée de métier modifient le comportement religieux du peuple. Les prophètes vont réagir, dénoncer cette situation et glorifier l’époque pré-monarchique. Les guerres d’Israël vont être sanctifiées et ses défaites interprétées comme un châtiment divin contre le relâchement des mœurs et des manquements envers Yahvé au profit de dieux étrangers. Mais cette dynamique sait aussi trouver dans la défaite un espoir, notamment après la chute du dernier royaume hébreu. Un horizon eschatologique s’ouvre alors, horizon dont chaque membre de ce peuple devient potentiellement le vecteur.
Comment envisager les guerres menées par les Hébreux à l’époque pré-monarchique ? Nombre de textes du Premier Testament sont très postérieurs aux événements et la réinterprétation prophétique s’en mêle. Cette réinterprétation idéalise cette époque qui est ainsi montrée en exemple.
On peut supposer que les guerres conduites par les Hébreux dans le pays de Canaan pour le conquérir et le conserver ne devaient guère différer dans leur pratique des autres guerres d’alors. Ainsi les rites préparatoires au combat, comme le rite imprécatoire tel qu’il est rapporté dans le livre de Samuel, une pratique attestée dans l’Empire néo-assyrien et dans la ville de Mari. Les passages qui attestent de similitudes entre les guerres menées par Israël et les autres peuples orientaux sont nombreux dans les livres de Josué et des Juges. Cet aspect rituel remonte-t-il vraiment à la période pré-monarchique ? On ne peut l’affirmer avec certitude. Ce qui est certain : la foi monothéiste à ses débuts met en œuvre des rites religieux relatifs à la pratique militaire qui ne diffère pas de celle des autres cultures d’alors.
Mais qu’en est-il du concept de guerre sainte ? Pour certains, ce concept est antérieur à la constitution de la monarchie davidique, antérieur aux prophètes donc. Pour d’autres, ce concept est postérieur à la constitution de cette monarchie. Quoi qu’il en soit le concept de guerre sainte (ou, plutôt, de “Guerre de Yahvé”) s’est définitivement structuré avec les prophètes qui d’autre part dénoncent la décadence des royaumes juifs en magnifiant les combats qui ont vu la victoire d’Israël – conduit par Yahvé – et d’autre part expliquent les défaites présentes de ces royaumes par leur infidélité envers Yahvé.
Les marques de cette attitude ne manquent pas dans le Premier Testament, notamment dans le Deutéronome (voir le chap. 20). Aspect essentiel de la “Guerre de Yahvé”, Sa présence aux côtés de Son peuple, une présence qui exige certaines règles rituelles et une ascèse. Les interventions de Yahvé peuvent être multiples : dix plaies d’Égypte ; passage de la mer Rouge ; par la suite : pluie de pierres ; murailles d’une cité ennemie qui s’effondre ; le jour qui se prolonge ou, au contraire, la venue inattendue de la nuit ; les ennemis qui se retournent contre eux-mêmes dans la plus grande confusion.
Une pratique rapportée dans le Premier Testament intrigue, le herem, soit la destruction radicale de l’ennemi et de ses biens en cas de victoire. On se souvient notamment du royaume de Jéricho dans le livre de Josué. Cette pratique porte sa propre logique. Yahvé participant au combat, une part du butin lui revient, soit celle qui sera détruite. Par cette pratique, on espère s’assurer l’appui de la puissance céleste, une pratique attestée chez d’autres peuples. Soulignons en passant qu’une telle pratique n’est guère favorable au vainqueur qui, ainsi, se prive d’une bonne part du butin. A ses débuts, le herem peut être envisagé comme une malédiction lancée contre l’ennemi. Précisons que les mentions du herem ont été pour la plupart formulées alors qu’Israël ne pouvait l’accomplir. Le herem pourrait avoir été une pratique (magique) datant des débuts d’Israël. Par ailleurs, il traduit une exaspération alors qu’Israël est menacé de destruction ou qu’il a disparu en tant qu’État. Il lui faut alors affirmer sa spécificité de peuple de Yahvé face aux peuples qui honorent les dieux païens. Par ailleurs, le herem est contrebalancé par des mesures destinées à l’adoucir. Ainsi, le Deutéronome invite à des pourparlers avant d’attaquer. La vassalité est acceptée lorsque l’ennemi se soumet spontanément. Le Deutéronome interdit de dévaster le pays qui dépend de la ville vaincue, une pratique alors courante ; il interdit notamment de couper les arbres fruitiers.
(à suivre)
Olivier Ypsilantis