Suite 1er août. Peu de monde au Beth Oded. Le shabbat est réduit à sa plus simple expression. Le kiddush est récité par un lieutenant en tenue de combat, fusil d’assaut à l’épaule. Partage du pain et du vin (de fait, du jus de raisin, l’alcool étant strictement interdit à l’armée). Parmi les participants à ce shabbat, un Tchèque d’une carrure exceptionnelle flanqué de son ami, un Slovaque tout fluet. Je pense à Astérix et Obelix.
Avant de m’endormir, poursuivi la lecture d’Eric Newby, aussi passionnant lorsqu’il évoque un voyage dans un pays lointain que lorsqu’il évoque son expérience d’employé d’un grand magasin — question de style. Et toujours cet humour anglais, attentif à son sujet (l’humour est l’une des formes les plus achevées de l’attention) et détaché de lui-même, élégant : ‟It was not so much the idea of buying stockings that I minded, although without legs in them it was difficult to imagine anything more boring than these deflated by-products of lumps of coal. It was simply that I had never seen a man selling stockings in a department store and I did not fancy being a pioneer in this field”. La pincée d’auto-dérision si british.
2 août. Jour de shabbat. 6 h. Les sirènes me tirent de mon sommeil. Il était pourtant question d’une trêve de soixante-douze heures. J’hésite à me lever ; mais étant allongé devant une large fenêtre, je préfère gagner le fond de la chambre. Je tends l’oreille. Tout à coup, en observant ces murs peints et nus et ce ciel d’un gris léger et uni, je me revois dans le petit-jour vietnamien. Comme je les ai aimés ces petits-jours, dans le centre surtout, à Hué. Les brumes vietnamiennes, douces, féminines. Hué ! L’humidité distillée, tiède, accueillante, lunaire, sous-marine. Ne suis-je pas né sous le signe de la Lune et de l’eau ? Il m’a fallu beaucoup de temps pour aimer le Soleil. J’ai longtemps préféré les gris voilés d’Eugène Carrière au bleu pur de Giotto.
Iron Dome en action et une vidéo qui montre ce que je décris à plusieurs reprises au cours de ce voyage.
Au petit-déjeuner, dans le réfectoire. Un soldat s’est fait tatouer à chaque coude une grosse étoile à cinq branches fortement soulignées. Je remarque qu’il n’est pas rare de rencontrer de jeunes Juifs et Juives tatoués, à Tel Aviv surtout ; la Torah n’aime pourtant pas le tatouage.
Un soldat de Tsahal, le lieutenant Hadar Goldin, aurait été kidnappé par le Hamas, une heure après le cessez-le-feu. Toutefois, le Hamas déclare que l’officier a été tué au combat. Un soldat capturé (le cauchemar d’Israël) peut signifier la libération de centaines de Palestiniens, parmi lesquels nombre d’assassins ; on se souvient du soldat Gilad Shalit. L’Égypte participe activement au blocus. Le Hamas est en proie à de grandes difficultés financières ; il est aux abois, particulièrement dangereux, et il joue son va-tout.
Dans Aurora (Todo sobre Israel y judaísmo en español), une publication version papier mais aussi digitale, un titre auquel j’acquiesce : ‟El silencio de la Unión Europea sobre Hamas es ensordecedor” : ‟La representación de la Unión Europea (UE) en Israel emitió un comunicado lamentando el quiebre del alto el fuego de 72 horas; pero muy significativamente se abstuvo de mencionar el ataque de Hamas cerca de Rafah, a menos dos horas de haber entrado en vigor la tregua”. Ainsi va l’Europe…
11 h 30, dans un café à l’angle d’Allenby St. et Hamelkh George V St. La circulation espacée pour cause de shabbat. Je repense à l’impression de ce matin où je me suis vu au Vietnam. Ces fulgurances, ces fractures dans l’espace-temps sont l’une des principales richesses du voyage. La fulgurance de ce matin a été suscitée par la mise en rapport de la tonalité des murs et du ciel. Alors que je guettais les détonations, j’étais dans les brumes tièdes de Hué. Passent un sherout (taxi collectif) au nez jaune et une belle femme brunie ; son dos à la musculature fine et nerveuse ; je pense à Odile. Un air de reggae me fait dériver et je me souviens de fêtes d’étudiants, d’une amie, sa coupe blonde au carré qui lui battait les joues, des joues qui rosissaient dans la danse. A présent, le moindre air de musique m’enivre après ces jours ascétiques passés dans les ateliers de Tsahal. Sur le sac d’une passante, je lis I ♥︎ TLV. Sur une colonne Morris, huit lettres roses en police d’écriture bâton LADY GAGA. Passe un routard barbu, la soixantaine, sac à dos. Il porte à l’épaule un solide bâton auquel est accroché un drapeau israélien. Sur une immense affiche en proue, une femme en soutien-gorge et slip roses : Aerie for American Eagle Outfitters. Je détaille le Magen David Square, un carrefour à six branches — d’où son nom. On y trouve deux constructions particulièrement intéressantes : l’une conçue par Solomon Liaskovsky et Yaakov Bornstein (International Style) influencés par Erich Mendelsohn ; l’autre conçue par Josef Tischler (Eclectic Style).
Contrairement à certains, je ne vois pas Obama comme un suppôt de l’islam. Une telle opinion sent la théorie de la conspiration, théorie dont je me garde autant que possible. Je le vois comme un président plutôt médiocre, un peu paumé. Il va passer, il sera oublié. On se souviendra simplement de son élégante silhouette et de sa démarche souple. Mais j’allais oublier : on se souviendra d’abord qu’il aura été le premier président noir de l’histoire de son pays, rien de bien important avec un peu de recul.
L’opinion publique s’émeut, elle fait ses petits comptes : il y a trop de Palestiniens tués et pas assez d’Israéliens tués. Elle n’a plus que ce mot à la bouche : ‟disproportionnée” (réaction disproportionnée). L’opinion publique qui pense ainsi faire preuve de décence est indécente et stupide. L’opinion publique, cette pâte si molle prétend tout étouffer sous sa mollesse. Elle a oublié dès le deuxième jour des opérations à Gaza que l’agresseur n’était pas Israël mais le Hamas. Cette chose molle, triturée à souhait et dont le regard est incapable de se porter dans la profondeur historique (un regard sans mémoire) a tôt fait de juger qu’un Juif qui tue, même en cas de légitime défense, est plus coupable qu’un Arabe qui tue, qu’un Musulman qui tue. Il est vrai que chez ces derniers tuer peut être un acte machinal et même encouragé par son idéologie — sa religion. Pour ma part, le fait que des Juifs tuent (voir l’assassinat du jeune Palestinien, Muhammad Abu Khdeir) comme viennent de le faire ces jeunes Juifs en réponse à l’assassinat de trois des leurs, m’accable particulièrement car, outre l’atrocité absolue de leur acte, ces Juifs se mettent au niveau des Musulmans et, ainsi que le signale Adin Steinsaltz, ils accentuent le danger qui pèse sur tous les autres Juifs, tant en Israël qu’en diaspora. C’est le concept halachique du Din Rodef. Je me permets d’ajouter que pour l’opinion publique, le Juif fort — l’Israélien — est insupportable car son image entre en conflit avec celle du Juif faible, soumis, une figure centrale dans l’économie mentale musulmane, et chrétienne dans une certaine mesure.
L’Égypte d’Abdel Fattah al-Sissi souhaite l’anéantissement du Hamas ; aussi, plus l’action israélienne se prolonge plus le régime égyptien a des raisons de se réjouir. Il tire les marrons du feu, et on ne saurait lui reprocher, d’autant plus que sa collaboration avec Israël est parfaite, une collaboration sans laquelle Israël ne pourrait espérer affaiblir sérieusement le Hamas.
3 août. Devant la Méditerranée, en compagnie d’Eric Newby dont je savoure chaque phrase comme : ‟Steam comes wreathing up through grilles in the road like incense from a host of subterranean temples, and from other grilles comes the rumbling of trains on the Broadway Subway which runs all night”, une phrase puissamment picturale qui pourrait inspirer un peintre de l’hyperréalisme comme Richard Estes ou du surréalisme comme Magritte. J’aime la structure du chapitre 27, ‟A Walk on Broadway”, le compte-rendu de cette journée suit des indications horaires, de 4 a.m. à 11.45 a.m.
8 h 30 – 10 h, Museum of the Etzel, quelques notes. Un panneau fort complexe, un organigramme : Etzel Command Structure. Une carte : Partition Border according to General Assembly of the United Nations Resolution. Nov. 29,1947. Au lendemain de cette résolution, les Arabes se révoltent ; s’en suivent grèves et violences. Les combats menés par les unités d’Etzel dans le ‟Triangle” (Mont Ephraim) et les cinq villages arabes conquis sans une perte côté juif et de lourdes pertes côté arabe. Les combats à Rosh Ha’Ayin (à la source de la rivière Yarkon). L’attaque des villages arabes de Yahudiya et Wilhelma. Deir Yassin (9 avril 1948), un tournant dans la Guerre d’Indépendance. La détermination et l’excellence des combattants du Etzel et du Lehi répandent la panique parmi les populations arabes qui, dans bien des cas, préfèrent fuir. Afin de sécuriser Tel Aviv, la conquête de Jaffa (alors la plus importante ville de Palestine avec ses 80 000 habitants) commence le 25 avril 1948 et se termine trois jours plus tard. L’appui décisif de la garnison britannique (soit 4 500 hommes). Une carte de la conquête de Jaffa. La conquête du village de Malha (14-15 juillet 1948). Les accords passés entre la Hagana et le Etzel juste avant le départ des Britanniques, le 14 mai 1948. The Diaspora Headquarters of the Etzel (situé à Paris), chargé du recrutement dans la diaspora. Sa reconnaissance de-facto par le gouvernement français, en mai 1948. Le 22 septembre 1948, le Etzel est dissout à Jérusalem et ses troupes sont incorporées à l’I.D.F. Dans ce petit musée situé en bord de mer, à quelques pas de Jaffa, un espace est consacré à l’Altalena avec notamment quelques reliques : deux rames d’un canot de sauvetage, une bouée de sauvetage sur laquelle on peut lire Altalena Panama et surtout le drapeau de l’Altalena récupéré in extremis par un membre de l’équipage, Iphtah Stein (1922-1992). Un autre espace est consacré à l’histoire du shofar avec cette interdiction faite aux Juifs (suite aux émeutes de 1929) de sonner le shofar devant le Kotel. De nombreux Juifs furent outrés par la décision de la puissance mandataire. Des membres du Betar suivis par des membres du Etzel violèrent l’interdit et continuèrent à le faire les années suivantes. Ci-joint, une video intitulée ‟Echoes of a Shofar 1948” (durée env. 10 mn) :
http://lubavitch.com/video/2029688/Echoes-of-a-Shofar-1948.html
Le lieutenant Hadar Goldin de la Givati Brigade a été tué au combat. Il n’était donc pas otage du Hamas. Cette guerre commencée le 8 juillet devrait se poursuivre. A ce jour, plus de trente tunnels et des douzaines de puits d’accès (shafts) ont été ou sont sur le point d’être détruits. Israël sait qu’il ne peut accorder une once de confiance au Hamas qui met à profit chaque trêve pour multiplier ses traîtrises. Il faut saigner la chose à mort.
Des soldats de Tsahal. J’ai également travaillé à la restauration du type de casque porté par le deuxième soldat en partant de la gauche, un casque de tankiste qui permet de loger des écouteurs.
The Jerusalem Post du jour, ce titre en première page : ‟IDF to redeploy as Gaza Operation continues”, sous-titre : ‟Netanyahu: We’ll pursue our objectives with full force — restoring quiet and destroying the terrorist infrastructure”. Autres titres : ‟Hamas confirms, then denies abduction of soldier”, sous-titre : ‟Fate of Sec.-Lt. Hadar Goldin, 23, from Kfar Saba, is unclear” ; ‟Army begins withdrawing ground forces from Gaza”, sous-titre : ‟Tunnels nearly all destroyed. 63 soldiers, 800 terrorists killed since start of operation” ; ‟Military eradicates Hamas’s crown jewel”, sous-titre : ‟Terrorists spent 5 years building cross-border tunnel network, army destroyed in 2 weeks”. Le Hamas se lamente, le soutien arabe lui fait défaut. Trop occupé à creuser ses tunnels et galeries, il n’a pas senti le vent tourner… Il n’y a guère que dans nos bonnes villes d’Europe que l’Arabo-musulman braille, appuyé par une gauche petite-bourgeoise orpheline du prolétariat, des braillements généreusement retransmis par les mass-medias. Le monde arabo-musulman est en phase d’effondrement. Il faut s’en séparer à tous les niveaux tout en protégeant et en accueillant les minorités qu’il menace, parmi lesquelles les Chrétiens, les Yazidis, les Kurdes et autres Musulmans. Cessons de lui acheter notre pétrole, cessons de l’accueillir, n’hésitons pas à lui assener des représailles en tous genres sitôt qu’il nous cherche des noises. Il ne connaît que la force et se courbe devant elle. Soyons des maîtres ! Et si à l’occasion nous lui tendons la main, que ce soit sans naïveté, avec une arme dans l’autre.
Les alertes se sont espacées à Tel Aviv. Passent des hélicoptères de l’armée, parallèlement à la côte, vers Gaza ou de retour de Gaza. Marche dans les quartiers sud de Tel Aviv, proches de Jaffa donc, Montefiore et Florentine. J’y surprends des odeurs et des postures qui m’évoquent l’Athènes de ma jeunesse, avec ces entrepôts désordonnés où certains s’affairent et d’autres somnolent, avec ses petits restaurants bon marché… Une fois encore, je me dis qu’il me faudrait réécrire l’histoire de Franz Biberkopf (voir ‟Berlin Alexanderplatz” d’Alfred Döblin) mais ici, à Tel Aviv.
Olivier Ypsilantis