Le Vieux Château (XIVe siècle), sur la Côte Sauvage, l’un des emblèmes de l’île d’Yeu.
7 juillet. Marche matinale par des sentiers qui s’égouttent. L’océan paraît bien loin dans cette épaisse végétation ; il n’est pourtant qu’à deux cents mètres. A Port-Joinville, au Café du Centre. J’observe les quais et les darses qui peu à peu s’animent. Je détaille un billet de dix euros. EURO s’y décline aussi en EYPΩ. La Grèce va-t-elle sortir de la zone euro (je ne sais qui a concocté ce stupide néologisme, grexit) et, en conséquence, faudra-t-il réimprimer tous ces billets ?
En compagnie du colonel Benjamin Kagan. Chapitre XI, « Des quatre coins du monde ». Dans cet embryon de l’armée de l’air, et contrairement aux autres armes, les volontaires non-juifs sont nombreux. L’histoire des quatre forteresses volantes B-17, les premiers vrais bombardiers d’Israël. Trois d’entre elles parviennent à destination et auront un rôle déterminant au cours des opérations de juillet 1948. L’histoire des « Beaufighter » détournés lors du supposé tournage d’un film. L’histoire du « Halifax ». Bref, l’histoire de chacun de ces avions, de leur transfert en Palestine puis en Israël, pourrait inspirer autant de romans d’aventures, comme celle des « Spitfire » transférés de Kunovice (en Tchécoslovaquie) vers Israël (via Podgorica en Yougoslavie). De l’urgence d’acquérir des avions à réaction, notamment face à l’Égypte qui, peu après la Guerre d’Indépendance, avait reçu cent dix avions à réaction « Vampire » et « Meteor ».
« Les États arabes voisins d’Israël ne songeaient nullement à assimiler ces réfugiés (les Arabes d’Israël), en leur faisant place dans leur vie sociale, mais bien à les utiliser comme une force politique et militaire dans un prochain conflit contre Israël. Ils les parquèrent donc dans des camps et l’effet attendu fut bientôt acquis : excités par leur misère, les réfugiés rejetèrent la responsabilité de leur sort sur Israël contre lequel leur soif de vengeance était d’ailleurs savamment entretenue. »
Où il est question du « Triton SO-6000 » (au chapitre XXI, « Paris »), un prototype. Le « Mosquito » stocké à l’aérodrome de Châteaudun et réparé sur place par des techniciens israéliens avec l’aide de l’armée de l’air française. La figure de John Harvey, volontaire non-juif qui se tue en essayant un « Mosquito » destiné à l’armée de l’air d’Israël. Il repose au cimetière de Châteaudun. « Aux Mosquito acquis en France vinrent s’ajouter d’autres appareils : des Spitfire et des Mustang achetés en Italie, en Suède et en Grande-Bretagne » ; mais il s’agit d’avions à hélice et il faut impérativement qu’Israël s’équipe d’avions à réaction. La France fabrique alors deux avions : l’« Ouragan » (de Dassault), purement français, et le « Mistral » (de Sud-Aviation), une variante du « Vampire » construite sous licence britannique. L’« Ouragan » se révélera particulièrement efficace au cours de la campagne du Sinaï. Les premiers avions à réaction arrivés en Israël (le 17 juin 1953) : des « Gloster Meteor », des appareils démodés, transition entre l’avion à hélice et l’avion à réaction. C’est avec le « Mystère II » qu’Israël entre pleinement dans l’ère de l’avion à réaction, grâce à l’énergie de Shimon Peres, alors ministre de la Défense. Il a compris qu’il n’y a rien à attendre de la Grande-Bretagne et des États-Unis et qu’il est préférable de se tourner vers la France, seul pays d’Europe dont les intérêts sont alors susceptibles de s’accorder avec ceux d’Israël.
Les trois hommes qui sauvent Israël de la menace que représente Nasser : David Ben Gourion, Moshe Dayan et Shimon Peres. Ce dernier est chargé d’une mission extraordinaire en France, avec l’achat d’autres « Ouragan », un appareil solide, facile à piloter et à entretenir, et l’échange des « Mystère II » (des appareils décevants) contre des « Mystère IV » qui, dit-on, valent le « F-86 Sabre ». En France, le 31 janvier 1956, un nouveau gouvernement est formé, le vingt-deuxième depuis la fin de la Deuxième Guerre mondiale, avec Guy Mollet comme président du Conseil et Maurice Bourgès-Maunoury comme ministre de la Défense.
A l’Assemblé nationale, Paul Reynaud établit un lien direct entre les tensions en Algérie et la politique du colonel Nasser. Le Caire est devenu le centre des activités du F.L.N. La lucidité de Pierre Gilbert, ambassadeur de France en Israël et grand ami d’Israël. Chercher de plus amples informations sur cet homme. Le mémorandum français adressé à Londres et Washington dans lequel la France précise qu’elle n’est pas disposée à sacrifier Israël pour acheter la paix dans la région. Les députés qui constituent le « Groupe Suez » rappellent à Anthony Eden le danger de toute volonté d’apaisement envers un régime agressif. Sans éprouver une sympathie particulière pour Israël, ces députés ont compris que la seule force capable de s’opposer à Nasser est Israël, Nasser qui par ailleurs appelle le peuple jordanien à se révolter contre son roi qui pour se maintenir au pouvoir finit par prendre de spectaculaires mesures anti-britanniques dont le limogeage de la plupart des officiers britanniques de la Légion arabe et de son chef, le général John Bagot Glubb. « Si la Jordanie tombait sous la coupe de Nasser, elle entraînerait vraisemblablement l’Irak dans son sillage et le pétrole irakien du golfe Persique échapperait à la Grande-Bretagne ». Les assassinats d’Israéliens au cours de l’année 1956 par des bandes de fedayins que soutient Nasser. L’appui de l’ancien déporté Christian Pineau à Guy Mollet et Maurice Bourgès-Maunoury pour la livraison immédiate et massive d’armes à Israël. L’hésitant Anthony Eden se montre enfin convaincu de la nécessité d’une action armée contre l’Égypte de Nasser. Il faut lire « La Philosophie de la Révolution », ce « Mein Kampf » égyptien, pour comprendre qui était vraiment Nasser.
10 juillet. A la citadelle de Pierre-Levée, connue pour l’internement du Maréchal Pétain, moins connue pour celui des quelque cinq cents ressortissants de pays ennemis de la France qui se trouvaient sur le territoire national à la déclaration de guerre, en août 1914. Parmi eux, Aladár Kuncz, auteur du « Monastère noir » (Fekete Kolostor). Un « Ecce Homo » sculpté par un interné, Rudolf Willersdorfer, sur la tombe d’Emile Taübel.
Dans le cimetière de Port-Joinville, une surprise. Dans ce cimetière très chrétien, une étoile de David sur une large dalle de marbre. Elle accompagne ce nom, Mardoché Saadoun. Au-dessus, celui de son épouse, Liliane Saadoun née Bernard, qu’accompagne une croix latine. Devant eux, des cailloux blancs polis par l’océan.
Cet air chargé de parfums océans m’enivre. Les croquis préparatoires pour une prochaine exposition de gravures se succèdent à un rythme soutenu et naissent comme d’eux-mêmes. La pointe du crayon danse sur le papier. Je songe au dynamisme que suscitent les séries — variations sur des thèmes. Pour l’heure, le poisson et l’oiseau, avec recherche franche de l’effet décoratif. Décoratif, un mot qu’un professeur à l’E.N.S.B.A. prononçait avec mépris, ce que je lui reprochai.
11 juillet. Sept heures du matin. Des masses nuageuses poussées par un vent continu qui tire de chaque arbre un son différent. Les esquisses se succèdent et, une fois encore, naissent comme d’elles-mêmes.
Le livre du colonel Benjamin Kagan est remarquable et pour plus d’une raison ; tout d’abord parce qu’il permet de prendre de la distance vis-à-vis du pilonnage médiatique, de ce monstre toujours en transes qui prétend être maître de tout ce qui nous anime. Ce livre nous aide à comprendre que les dangers qui ont pesé sur Israël ont été à certains moments de son histoire autrement plus angoissants qu’ils ne le sont aujourd’hui. La profondeur historique nous invite à ne pas céder à la panique, à amplifier notre regard, ajuster notre souffle et nos coups.
(à suivre)
Olivier Ypsilantis
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