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La religion woke. En lisant Jean-François Braunstein – 3/4

Une religion contre l’universalisme. Le mouvement woke exacerbe une autre question, celle de la race. Il ne se présente pas simplement comme anti-raciste mais comme racialiste et il développe une critical race theory (CRT) ; autrement dit, il s’agit de traiter différemment les êtres humains en fonction de leur race, soit d’établir de nouvelles discriminations en inversant les anciennes. C’est par le mouvement Black Lives Matter que le mouvement woke a pu acquérir une véritable dimension révolutionnaire aux États-Unis puis dans l’ensemble du monde occidental suite à la mort de George Floyd. L’intersectionnalité (autre mot clé du lexique woke) active un mouvement censé agréger tous les opprimés – ou qui s’éprouvent comme tels –, que ce soit par le biais de la race, du genre, de la classe sociale, etc. Ce nouvel antiracisme s’articule autour du « racisme systémique » et du « privilège blanc ». Autrement dit, le Blanc est nécessairement raciste et sa blanchitude le rend coupable (de racisme). Les Blancs sont racistes de naissance, d’où l’impossible expiation. Certains écrits anti-racistes sont comme une Bible et sont promus par le gouvernement américain ; voir Robin DiAngelo, Ibram X. Kendi, Ta-Nehisi Coates ou Layla Sayad. Il s’agit de faire prendre conscience aux Blancs, nécessairement coupables, de leurs privilèges et de les guider vers la repentance. Les néo-anti-racistes – de fait des racistes – abordent la notion de race non pas sous l’angle biologique mais exclusivement social et, selon eux, la race explique tous les aspects de notre vie, qu’elle soit économique, sociale, culturelle ou sentimentale. Ainsi, toute l’histoire occidentale a été, est et sera raciste, une idée très partagée dans le monde universitaire occidental. Ce racisme systémique n’épargne aucun Blanc. Le mouvement woke ne laisse pas d’échappatoire à la pensée libre et individuelle, et c’est l’un des aspects de son totalitarisme. L’idée même d’individu n’est pas envisagée pour le Blanc ; il n’est qu’un membre parmi d’autres d’une identité communautaire. Ces néo-anti-racistes évoquent un racisme systémique ou un « racisme d’atmosphère » ; et si nous ne l’éprouvons pas, eux l’éprouvent – les membres du mouvement woke s’estiment plus conscients que les autres ; ils jugent leur regard plus ample et plus pénétrant ; il a même accès à l’invisible.

Dans son best-seller « White Fragility », sous-titré « Why It’s So Hard for White People to Talk About Racism », Robin DiAngelo explique que le Blanc qui s’offusque d’être considéré comme raciste est raciste et refuse d’assumer son racisme, d’où sa fragilité. Il s’agit de placer l’adversaire désigné, le Blanc en l’occurrence, en situation d’infériorité, d’emblée, sans avoir à argumenter, étant entendu que le Blanc est coupable de naissance, irrémédiablement coupable. La théorie critique de la race est irréfutable ; et ainsi que le démontre Karl Popper (voir les articles que j’ai écrits à son sujet), une discipline qui ne peut être réfutée n’est pas une science. La théorie critique de la race est de ce point de vue parfaitement décomplexée et nous invite à nous lancer à la chasse aux sorcières.

Donc, tous les Blancs sont racistes (je suis raciste parce que je suis un Blanc) et ceux qui admettent cette irréfutable donnée peuvent espérer être pardonnés par ceux qu’ils oppriment depuis toujours. Ceux qui n’acceptent pas leur racisme (donc leur blanchitude) sont bons pour les flammes de l’Enfer ; ce sont des Blanc fragiles – voir White Fragility. Le Blanc ne peut être un individu autonome et responsable. Le wokisme refuse la liberté individuelle ; nous sommes enchaînés à la race et au genre, au péché originel mais sans possibilité de pardon. Le Blanc (tous les Blancs) souffre d’une maladie chronique, le racisme. La notion de « privilège blanc » a été élaborée par Peggy McIntosh qui place en parallèle « privilège blanc » et « privilège masculin ». Le Blanc est porteur de privilèges mais il ne le sait pas car on ne lui a pas enseigné que ces privilèges font de lui un oppresseur… Peggy McIntosh étend son cas à tous les Blancs ; or, cette Blanche est issue de la haute bourgeoisie et elle est passée par les meilleures universités, ce qui n’est pas le cas de l’immense majorité des Blancs. Des Noirs peuvent être accusés de bénéficier de « privilèges blancs », une dénonciation qui inclut à l’occasion des bi-raciaux, des multiraciaux et des personnes de couleur éventuellement considérées comme des Blancs et qui bénéficient des privilèges venus de la suprématie blanche. Les Blancs se trouvent ainsi encagés et le jugement final appartient aux Noirs et aux personnes de couleur qui se livrent aux whiteness studies. La notion de blanchitude permet par ailleurs aux racialistes de placer les Blancs dans une catégorie sociale et de leur interdire de se considérer comme la norme universelle. Les Blancs sont ainsi racisés comme tous les autres et ils vont devoir vivre l’expérience que vivent les racisés. Pour les racialistes, le silence des Blancs est une violence ; le Blanc ne doit pas se taire sous peine de tomber dans la White Fragility, il doit parler et participer activement au mouvement antiraciste. Il n’y a pas de neutralité possible. Les militants racialistes refusent la position de l’antiracisme classique qui envisage un monde color-blind. Nous ne sommes plus au temps de Martin Luther King. A présent, un bon antiraciste est quelqu’un qui juge les autres en fonction de la couleur de leur peau. Pour ce bon antiraciste, cette attitude visant à nier la couleur de la peau – à ne pas lui accorder la moindre importance – pourrait être louable si elle n’était prétexte à charger d’un poids les personnes qui bénéficient du « privilège » d’être blanc. Il s’agit de tenir compte de la couleur de la peau pour rétablir l’équité en défavorisant les Blancs. Autrement dit, le seul remède contre la discrimination raciste est la discrimination antiraciste. Les néo-antiracistes déclarent que la race est une construction sociale tout en mettant sans cesse en avant la couleur de la peau. Des universitaires noirs se sont élevés contre ces doctrines contradictoires des néo-antiracistes car jugées préjudiciables aux Noirs. Voir le livre de John McWhorter, « Woke Racism: How a New Religion Has Betrayed Black America ». L’auteur signale à juste titre que le mouvement woke réduit les Noirs à des victimes du racisme sans jamais tenir compte de leurs individualités et leurs réalisations. Il s’indigne de l’immense condescendance de ces néo-antiracistes blancs envers les Noirs.

L’intersectionnalité comme arme destinée à déstabiliser les sociétés occidentales. Avec elle commence le véritable wokisme politique. Cette notion a été introduite par la juriste noire Kimberlé Crenshaw qui s’est fait mondialement connaître par deux articles : « Demarginalizing the Intersection of Race and Sex: A Black Feminist Theory and Antidiscrimination Doctrine, Feminist Theory and Antiracist Politics » (1989) et « Mapping the Margins : Intersectionality Identity Politics, and Violence Against Women of Color » (1991). Dans ce premier article, elle dénonce la discrimination plurielle qui doit être comprise comme un tout et non comme la simple somme de discriminations. La race et le genre doivent être traités dans une intersectionnalité, les analyses féministes et antiracistes doivent fusionner et envisager les femmes noires comme base à toute analyse. La dimension intersectionnelle s’attache surtout à la femme noire placée devant au moins deux groupes subordonnés : les hommes de couleur et les femmes blanches. Kimberlé Cernshaw ne prétend pas proposer une nouvelle théorie globalisante de l’identité mais un outil afin de mieux distinguer les interactions de la race et du genre dans un contexte de violence envers les femmes de couleur. L’intersectionnalité offre un passage de la théorie à l’action politique en commençant par réunir sous un même mot des analyses féministes hétérogènes, un mot dont le caractère ouvert et indéterminé contribue à sa dynamique. Cette notion est une version modernisée de la « convergence des luttes ». Il est vrai que l’amplification de l’intersectionnalité peut conduire à des frictions au sein même de ce mouvement, avec concurrence victimaire. Kimberlé Crenshaw appuie son combat sur l’affirmation de l’identité noire. L’universalisme (voir l’idéal républicain) rejette cette affirmation qu’elle neutralise. Pour cette militante, les identités doivent s’affirmer, et durement, pour éventuellement s’unir dans la lutte sans jamais se départir de leur force identitaire.

Olivier Ypsilantis

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