Une religion contre la réalité. La théorie du genre est au cœur de la religion woke. Elle est aussi la plus mystérieuse. Elle tend par ailleurs vers l’universalisme. Elle est la plus radicale des théories de ce mouvement car elle s’attaque à la réalité elle-même. La théorie des genres conduit à la « fluidité des genres » envisagée comme un idéal d’émancipation universelle, soit une libération de nos corps, cette prison. Ainsi le transsexuel peut-il être présenté comme le héros de notre temps, des temps nouveaux. A présent, on enseigne dès l’enfance qu’il est possible de choisir son identité sexuelle ; et en s’opposant à cet endoctrinement woke, on prend le risque de se faire traiter de transphobe.
Le premier auteur à utiliser le mot « genre » (gender) est le psychologue John Money, en 1955, de formation behaviouriste et qui construit sa vision sur la distinction nature/culture, la culture étant considérée comme plus influente que la nature. Jean Money sera félicité pour avoir dissocié le sexe et le genre, le genre étant selon lui déterminé par l’éducation et non par la biologie, la biologie n’étant pas neutre, toujours selon ce mouvement, et dépendant des conditions sociales et culturelles dans lesquelles elle est exercée. Judith Butler va plus loin. Considérant la dissociation totale entre sexe (biologie) / genre (éducation), elle opte pour une fluidité totale, avec passage à volonté d’un genre à un autre sur simple déclaration personnelle. Il s’agit pour elle d’ébranler et de faire s’effondrer les identités. Cette radicalité de la fluidité des genres dont Judith Butler est la principale théoricienne est devenue très populaire, et c’est surtout par elle que le mouvement woke s’impose le plus sûrement dans nos sociétés liquides si bien décrites par Zygmunt Bauman.
Négation de la différence des sexes, passage de l’un à l’autre selon la volonté de chacun, c’est la matérialité même de notre corps que nous tentons de nier tant elle nous encombre. Le mouvement transgenre renoue sans le savoir avec l’utopie gnostique. Il draine par ailleurs et comme nous l’avons dit un certain puritanisme. Il a déclaré la guerre à la réalité anatomique, à la sexualité. Théorie du genre et transhumanisme vont main dans la main. En attendant de vaincre la mort (?), nous sommes invités à nous émanciper de notre corps et de notre genre si nous le voulons. Le mouvement transgenre est à la portée de tous et ne nécessite aucun effort particulier. Nous pouvons par ailleurs en tirer bien des avantages car le transgenre est devenu hautement estimable puisqu’il met en pratique un idéal d’émancipation jamais vu depuis les Lumières (!?). La personne qui choisit son genre poursuit à sa manière l’idéal du self-made-man tel que l’a décrit John B. Watson, le maître à penser de John Money. Certes, nos corps sont également façonnés par la culture à laquelle nous nous rattachons, ainsi que l’a montré Marcel Mauss (« Les techniques du corps »), mais nous ne pouvons pour autant nier la réalité physique, ce que ne se prive pas de faire la théorie du genre, une théorie qui dans sa forme extrême conduit dans un monde imaginaire. Kathleen Stock a été amenée à quitter son poste universitaire après avoir été accusée de transphobie suite à sa critique de la théorie du genre. La plongée dans le monde de la fiction peut avoir un effet libérateur, comme la lecture d’un roman ou la projection d’un film. Mais pour la théorie du genre, cette plongée lui permet avant tout (pour l’heure, car rien n’est définitif) de gagner une forte popularité, notamment sur les réseaux sociaux. Par ailleurs, après avoir déclaré « Je suis trans », on peut accéder automatiquement au statut très recherché de victime. Entrer dans un monde imaginaire peut être fort agréable mais n’est pas sans conséquence, à commencer par se retrouver lost in immersion, pour reprendre l’expression de Kathleen Stock, car on ne peut se contenter d’être des spectateurs de ce monde qui exige que nous en soyons aussi des acteurs. Par ailleurs, un certain nombre de transgenres sont militants et prosélytes et parfois frénétiquement. Il n’y a pas que le genre qui soit attaqué, le langage l’est aussi car il est accusé de ne pas rendre compte de la réalité. Ainsi, selon le mouvement woke, convient-il de le retravailler en commençant par gommer tout ce qui évoque la différence entre les sexes, et d’abord pour ne pas heurter les transsexuels, et peu importe la sensibilité de celles et ceux qui ne le sont pas.
La question des pronoms est importante car il peut se sentir elle et elle peut se sentir il. Se fier à l’apparence physique est hautement répréhensible ; et il faut prendre garde à ne pas attribuer un genre à un non-binaire en le considérant comme un homme ou comme une femme. Ces transgenres et ces non-binaires savent se montrer vindicatifs. Elles/ils peuvent exiger que nous annulions ce que nous éprouvons spontanément (ce que voient nos yeux) et que nous le reconsidérions suivant les préceptes de la religion woke qui nous invitent à n’accepter que son monde illusoire. Certes, nous pouvons faire des efforts et éprouver de l’empathie, écouter attentivement sans tomber dans l’obséquiosité ou/et la condescendance. Il est toutefois hautement condamnable d’imposer à des petits enfants le catéchisme woke et sa théorie trans. Le mouvement woke est une entreprise totalitaire qui n’ose se présenter comme telle, une entreprise totalitaire qui comme toute entreprise totalitaire écrase le plus grand nombre afin de satisfaire une minorité, avec une attaque directe contre la réalité qui commence par une attaque contre le langage. Le nazisme et le stalinisme n’ont pas agi autrement. Il y a dans le nazisme, le stalinisme et le mouvement woke une même volonté de détruire la réalité, de faire table rase de la réalité, et par le langage. Il y a dans ce mouvement une attitude qui ne peut qu’évoquer le lyssenkisme, cette approche « scientifique » si ardemment défendue par Staline – le mouvement woke nous demande de renoncer à la connaissance scientifique. La destruction du socle d’un langage commun ne serait-il pas l’un des objectifs, et non des moindres, du mouvement woke ?
Mantras trans : « Les femmes trans sont des femmes » et « Les hommes trans sont des hommes », autrement dit il suffit qu’une femme se déclare homme pour être homme et qu’un homme se déclare femme pour être femme. On est dans un monde magique. Le mouvement woke refuse le sexe attribué à la naissance et il affirme que cette attribution est arbitraire aussi longtemps que le nouveau-né ayant grandi n’a pas choisi son sexe. Les acronymes AMAB (assigned male at birth) et AFAB (assigned female at birth) tendent à s’imposer sous la pression des lobbies du mouvement woke pour lequel évoquer un sexe masculin et un sexe féminin (y compris pour un nouveau-né voire une échographie) est une discrimination insupportable, car il est entendu que c’est à l’enfant de choisir son sexe dès qu’il le pourra, féminin, masculin, ou encore non-binaire ou neutre (intersexuation), en espérant entretemps guider l’enfant en commençant par le déconstruire.
Le corps médical subi une forte pression afin qu’il adopte un langage neutre et ne fasse pas usage d’un lexique genré. Par exemple, on est invité à dire « personne enceinte » de préférence à « femme enceinte ». L’usage des périphrases se multiplie afin d’éviter de genrer. Il y aurait un copieux article à écrire à ce sujet. Cette tendance est particulièrement marquée aux États-Unis (sous la présidence du démocrate Joe Biden) et au Royaume-Uni (avec le Parti travailliste). Ainsi que le disent des professeurs et des chercheurs, cette volonté d’ignorer ou de minimiser la réalité des genres peut porter préjudice à la recherche – comme le lyssenkisme a porté très gravement préjudice à l’agriculture soviétique. Quelle confiance accorder à un médecin recruté sur son adhésion à la théorie du genre (ou à la théorie critique de la race) et non sur ses compétences scientifiques et son intégrité éthique ?
Rejet de la réalité du corps et grandes manœuvres contre le langage. Le mot « femme » lui-même doit être évité voire proscrit. En attaquant le langage, tout suivra. Le mouvement woke reprend le schéma des propagandes totalitaires, à commencer par le stalinisme. Tout un trafic en vient à menacer les femmes et les féministes. Un homme qui se déclare femme aura le droit d’utiliser des espaces réservés aux femmes : toilettes, douches, dortoirs, etc. On devine tous les abus qui peuvent s’en suivre. Si certains trans sont sincères, d’autres (probablement plus nombreux) sauront profiter d’occasions pour se rincer l’œil, voire plus. On comprend que des femmes deviennent transphobes, pour reprendre un mot à la mode. Un homme qui se déclare femme peut intégrer une prison pour femmes, concourir à des compétitions en tant que femme, etc. Les espaces des femmes se trouvent ainsi niés, et en toute légalité. C’est pourquoi les féministes historiques et les lesbiennes qui refusent tout contact physique avec les trans sont déclarées « fascistes », on y revient ; cette dénonciation a été assenée à souhait par le régime de Staline et a été reprise par les gauches et frénétiquement. Bref, les lesbiennes qui refusent toute relation sexuelle avec les trans sont déclarées « fascistes » et ces derniers s’offusquent d’autant plus qu’ils désignent leur pénis comme un ladydick – le langage fait des merveilles et transmute d’un coup de baguette magique la réalité, biologique en l’occurrence. Ces lesbiennes sont qualifiées de TERF, trans-exclusionary radical feminist. La question du genre telle qu’elle se pose aujourd’hui au sein des LGBTQI n’a que peu à voir avec la lutte des homosexuels et homosexuelles ; dans LGBTQI domine de T de trans. Les féministes historiques et les lesbiennes les ont à l’œil ; mais pour l’heure, la société préfère déranger une majorité afin de satisfaire une infime minorité, soit le noyau dur des militants (et prosélytes) trans qui jouent à n’en plus finir la comédie de la victimisation. Ainsi, des hommes qui ont violé des femmes peuvent se retrouver dans une prison de femmes car ils se sont déclarés « femme ». Les compétitions féminines sont perturbées par ce phénomène que les fédérations sportives soutiennent, et ainsi le sport féminin est implicitement nié. Sous la poussée des lobbies trans, la misogynie s’institutionnalise et la biologie est niée au nom d’une idéologie. Rendons hommage au combat de Maya Forstater, cette militante féministe qui lutte pour les droits des femmes menacées dans leur vie quotidienne par des intrusions trans, une militante qui estime que le mot « femme » est devenu un fourre-tout et qu’il conviendrait d’en resserrer le sens, ce qui aurait entre autres effets de protéger les femmes. Précisons à ce propos que la majorité des trans conservent leur pénis.
La théorie du genre s’adonne au solipsisme radical ; il s’agit de balayer les consciences et de favoriser l’illusion dans les masses, une illusion que favorise le formidable développement du monde digital. Je suis biologiquement un homme mais si je déclare que je suis femme, je deviens femme. Tout le système juridique (à commencer par l’état civil) doit s’adapter à cette volonté et l’aider. Le langage commun doit être déconstruit et reconstruit selon les préceptes de cette idéologie, de cette religion. Ainsi la réalité est déclarée illusoire étant entendu que la fluidité des genres nous précipite en tous sens et nous interdit toute prise. Nous sommes invités à prendre congé de la réalité au nom de la sainte fluidité, étant entendu que nos corps ne sont que des points de passage d’un genre à un autre. Cette fluidité est encouragée par Internet, un support qui permet de se récréer et se mettre en scène à volonté.
Olivier Ypsilantis