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La guerre en Guinée portugaise (1963-1974) – 2/4

 

Première phase du conflit, 1963-1968.

Le Portugal est confronté à une guerre subversive, soit une guerre totale où l’action psychologique tient un rôle essentiel. Cette guerre exige une réponse globale qui articule avec souplesse l’action politique, sociale, économique, psychologique et militaire, non seulement sur le théâtre des opérations mais également sur la scène internationale, soit une coordination renforcée entre les forces armées, les administrations et les populations, un système intégré et complexe mobilisant d’importants effectifs tant sur place qu’à l’extérieur.

Lorsque le conflit éclate, le Portugal ne dispose pas de structures d’action psychologique dynamiques. En 1965 est créée une Secção de Acção Psicológica qui se révèle vite insuffisante. Considérant le conflit en cours, il aurait fallu mettre sur pied, et sans tarder, un « Servicio Nacional de Acção Psicológica », ce que le Portugal ne parviendra jamais à faire d’une manière cohérente pour les trois théâtres d’opérations : Angola, Mozambique et Guinée-Bissau.

En Guinée-Bissau, les responsables militaires prennent conscience de l’importance de l’action psychologique dès 1963 ; mais ce n’est qu’en 1965 que les premières directives d’action psychologique sont élaborées et que des moyens sont mobilisés à cet effet. Ces actions restent toutefois limitées et peu coordonnées, rien qui aille dans le sens d’une révolution sociale anti-subversive avec actions concrètes destinées à améliorer la vie des populations locales.

 

L’étendard du P.A.I.G.C.

 

Le P.A.I.G.C. déclenche donc les hostilités le 23 janvier 1963, par une attaque contre la garnison portugaise de Tite, au sud du rio Geba. Les Portugais sont sur leurs gardes ; mais force est de constater que le P.A.I.G.C. se montre très supérieur au M.P.L.A. (Movimento Popular de Libertação de Angola), tant au niveau de l’organisation et de l’entraînement que de l’armement. Les guérilleros du P.A.I.G.C. venus de Guinée-Conakry ont franchi la frontière méridionale de la Guinée-Bissau sans encombre (par terre, mer et voie fluviale) pour s’enfoncer dans le pays. Au cours des six mois suivants, les guérilleros du P.A.I.G.C. prennent le contrôle de secteurs de long des rios Geba et Corubal, occupent l’île de Como et préparent l’ouverture des hostilités au Nord du pays. Par ailleurs ils s’emparent d’embarcations à moteur de l’armée portugaise, ce qui leur permet d’améliorer considérablement leur logistique en faisant la navette entre Conakry et les rios du Sud de la Guinée-Bissau, dès le deuxième semestre 1963, et de renforcer la guérilla à partir des bases avancées en Guinée-Conakry.

Le commandement fait part des difficultés considérables que les forces armées portugaises doivent affronter et demande de l’aide à Lisbonne, avec priorité donnée à la reconquête de l’île de Como. Lisbonne répond et lance la première opération d’envergure en Guinée-Bissau, Operação Tridente ou batalha da Ilha do Como. Déclenchée début janvier 1964, ladite opération dure soixante-dix jours et se solde par un échec total pour les Portugais ; et la petite île reste sous le contrôle des guérilleros.

Les leçons à tirer de cet échec sont les suivantes. Les dimensions réduites de la Guinée-Bissau (36 120 km2) facilitent l’action des guérilleros qui peuvent frapper un peu partout avant de regagner aussitôt leurs bases de l’autre côté des frontières. Ce pays, tout en longueur et très étroit est sectionné au Nord par le rio Cacheu, au Centre par le rio Geba, au Sud par le rio Corubal, ce qui rend difficile le mouvement des troupes portugaises. Par ailleurs, considérant la nature du terrain (terre ferme, zones marécageuses, zones maritimes et fluviales), chaque opération nécessite l’engagement de moyens terrestres, maritimes et aériens.

Operação Tridente est complétée par une série d’autres opérations de moindre envergure mais non moins importantes pour mieux connaître le dispositif ennemi au Sud du pays.

Mars 1964, Operação Rio Camexibó. Elle permet notamment de prendre la mesure de l’infiltration ennemie et de la liberté de mouvement que lui offre la région desservie par les rios Caraxe, Nhafuane, Camexibó et Inxanche qui permettent aux guérilleros d’assurer la logistique de leurs bases sans qu’ils aient à emprunter le rio Cacine, mieux contrôlé par les Portugais. A partir des informations rassemblées au cours de ces opérations, Operação Hitler est lancée en avril 1964, une opération destinée à tendre des embuscades à la confluence des rios. Pour des raisons techniques et politiques, l’opération est modifiée. Les forces portugaises pénètrent même en Guinée-Conakry, ce qui suscite des incidents. Les opérations dans la région seront reprises par le général António de Spínola. Entre-temps, le P.A.I.G.C. va s’y renforcer.

 

L’hélicoptère, un élément clé de la guerre en Guinée-Bissau.

 

Hormis quelques agglomérations, à commencer par Bissau, le pays ne dispose d’aucune infrastructure. Les Portugais doivent tout construire à partir de rien, des points fortifiés aux voies d’accès et aux pistes d’aviation. Les sols étant pauvres, le soldat portugais ne peut les cultiver pour enrichir et varier son alimentation. Il doit être approvisionné de Bissau et s’alimente presqu’exclusivement de conserves. Dans la jeunesse portugaise en âge de servir et dans leurs familles l’inquiétude est grande. Dès le début du conflit, c’est en Guinée-Bissau que les pertes sont les plus élevées. On évoque un « Vietname português » et la comparaison n’est pas forcée. La proportion des pertes est la suivante et elle restera plus ou moins la même du début à la fin de l’engagement portugais sur les trois théâtres d’opérations : pour mille soldats portugais engagés en Afrique on a : en 1963, 6,16 tués en Guinée-Bissau, 2,1 en Angola ; en 1964, 4,16 tués en Guinée-Bissau, 1,41 en Angola et 2,79 au Mozambique.

Le commandement militaire et le Gouvernement portugais sont inquiets. Les hésitations se multiplient. Le Gouvernement décide de remplacer le gouverneur et le commandant du Comando Territorial Independente da Guiné (C.T.I.G.) et de faire fusionner ces deux postes. En 1964, Arnaldo Schultz est nommé governador et comandante-chefe.

Depuis le début de ses opérations, le P.A.I.G.C. s’emploie à diviser le territoire de la Guinée-Bissau verticalement : l’Ouest (avec Bissau) et l’Est, un plan destiné à isoler Bissau et à rendre les mouvements des troupes portugaises sur l’ensemble du territoire plus difficiles encore, à détacher l’Est de l’Ouest puis, après avoir pris le contrôle de l’intérieur du pays, lancer l’offensive finale sur la capitale, Bissau. Cette stratégie est risquée, la partie Est du pays étant le territoire (chão) des fulas, le deuxième groupe ethnique du pays, un groupe traditionnellement fidèle aux Portugais. Le P.A.I.G.C. agit avec le soutien des mandingas, la principale ethnie du pays dont sont issus la plupart des guérilleros.

Lorsque le général Arnaldo Schultz prend le commandement, le P.A.I.G.C. ouvre un autre front, à l’Est de la Guinée-Bissau, et consolide ses positions à l’intérieur du pays, soit des bases stratégiques avancées destinées à appuyer ses opérations. Elles sont installées dans des zones à la végétation quasiment impénétrable ; ce sont les célèbres matas, comme la Mata de Cantanhez ou la Mata do Óio-Morés. Ces bases disposent de moyens logistiques avec importants stocks de nourriture, d’armes et de munitions, avec infrastructures éducatives et sanitaires pour les militants, combattants et non-combattants, mais aussi pour les populations des zones sous le contrôle du P.A.I.G.C., des bases en contact permanent avec leurs arrières, au Sénégal et en Guinée-Conakry. Ces bases sont par ailleurs bien défendues et bien reliées entre elles par les « itinerários de abastecimento », dans le pays même mais aussi dans les deux pays limitrophes. Ces bases désignées par les Portugais comme des « santuários » donnent aux guérilleros des avantages stratégiques, tactiques et psychologiques.

Au cours des années 1964, 1965 et 1966, les guérilleros prennent le contrôle d’une part considérable de la zone Sud du pays et toutes les tentatives portugaises pour en reprendre au moins partiellement le contrôle se soldent par des échecs qui à l’occasion tournent à la déroute.

L’ouverture du front Est contraint Arnaldo Schultz à éparpiller ses forces et à fragiliser son dispositif. Contrairement à la Guinée-Conakry, le Sénégal ne partage pas pleinement les objectifs stratégiques du P.A.I.G.C. Les autorités sénégalaises maintiennent une attitude ambivalente : elles ferment les yeux sur les activités du P.A.I.G.C. en territoire sénégalais tout en s’efforçant de ménager les autorités portugaises et des possibilités de dialogue.

 

Léopold Senghor (1906-2001)

 

Jusqu’en 1968, le Comando Militar em Bissau ne fait que réagir aux attaques du P.A.I.G.C. sans jamais les anticiper. Ainsi les guérilleros peuvent-ils multiplier l’installation de bases avancées et permanentes. Les Portugais se contentent de répartir les unités venues de la métropole, des unités engagées dans des missions de patrouille et de reconnaissance qui se retrouvent dans une position défensive voire passive. Entre l’échec contre l’île de Como et le départ d’Arnaldo Schultz, une seule opération militaire d’envergure est lancée, Operação Grifo, en avril 1966, avec pour objectif la désarticulation du dispositif opérationnel et logistique du P.A.I.G.C. dans la région de Guilege. Les résultats sont nuls.

A partir de cet échec, les Portugais tombent dans une totale passivité et les bases ennemies à l’intérieur de la Guinée-Bissau se multiplient. Les Portugais savent qu’il leur faut gagner la sympathie des populations ; aussi placent-ils leurs unités toujours à côté d’agglomérations. L’organisation même du « Destacamento » s’efforce d’englober dans un même concept opérationnel les agglomérations les plus isolées et l’agglomération-base, un concept qui permet aux Portugais de se présenter comme les protecteurs de ces populations tout en les contrôlant et en les empêchant de collaborer avec le P.A.I.G.C. Les Portugais s’emploient à mailler l’ensemble du territoire, à couper tout lien entre les populations et les guérilleros et, ainsi, à priver ces derniers de l’appui logistique qu’elles pourraient leur apporter. Ce maillage est connu sous le nom de « quadrícula », avec son système d’« operações e missões de quidrículas ». L’efficacité de ce système repose sur ses qualités offensives, tout au moins au niveau local, un système de renseignements capable d’orienter l’action psychologique ainsi que les opérations d’interception et de neutralisation rapides. Ce système a priori efficace ne le sera jamais vraiment en Guinée-Bissau. Avec l’intensification de la guérilla, les unités portugaises au niveau de la compagnie se retirent peu à peu à l’intérieur de bases mieux défendues, laissant ainsi plus de liberté de mouvement au P.A.I.G.C., des bases dont elles sortent de moins en moins. Le P.A.I.G.C. qui prend note des faiblesses des Portugais ne cesse d’étendre les zones qu’il administre. En 1967, il fait savoir au monde qu’il contrôle près de la moitié de la Guinée-Bissau, une déclaration quelque peu exagérée mais qui augmente considérablement à l’international son prestige et celui de son chef, Amílcar Cabral.

Ci-joint, un document ina.fr (en français) intitulé : « Guerra do Ultramar Guiné-Bissau, du côté portugais » :

https://www.youtube.com/watch?v=Kbu5ZuMoK2c

Olivier Ypsilantis

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