On pensera que par ce titre, je force la note. Il n’en est rien. J’exprime un sentiment que m’ont transmis mes antennes ; et je crois en elles. La France m’inquiète, je le redis. La France m’inquiète car les mots y sont à présent chargés d’une terrible ambiguité ; ils sont de plus en plus imprécis. Or, cette imprécision et cette ambiguité brouillent la communication. Des mots essentiels sont devenus des fourre-tout ; ils contribuent à une incompréhension grandissante et une violence latente.
Un livre dont j’ai fait une présentation en neuf parties sur ce blog même.
La gauche est en partie responsable de cet état de chose. Et loin de moi l’idée de régler des comptes à tout-va. La gauche a commencé par faire un usage massif du mot « raciste » afin de rallier à elle toutes les bonnes âmes. La gauche — il ne sera question dans cet article que de la gauche française — a subrepticement dérobé à l’Église ses pouvoirs, l’air de rien. Je ne dis pas qu’il s’agit d’un calcul. Je ne suis pas un adepte de la Théorie du Complot que je combats autant que je le peux : elle est destinée aux esprits paresseux, aux adeptes de la sieste éternelle. La chose s’est probablement faite à son insu. La gauche française telle que je l’ai connue s’est présentée comme gardienne de la morale, détentrice du Vrai et de la Justice, la question de la Vérité étant inséparable de celle de la Justice. La gauche française s’est vue dotée de rentes morales considérables.
Cette gauche si diverse a vu passer dans ses rangs des femmes et des hommes de courage, il serait injuste de le nier. Mais ces femmes et ces hommes sont morts avant ma naissance car j’ai plutôt connu des opportunistes, des paresseux ou des profiteurs. Il suffisait — et il suffit encore — de se dire de gauche pour se voir placé sur le trône du Beau-Bien-Vrai d’où pérorer et distribuer bons et mauvais points. La France subit ces gommeux depuis des décennies. Mais quand vont-ils enfin prendre leur retraite ?
Ces forces molles étouffent toute expression dans le pays. Ces prébendés refusent de nommer car ils ne veulent en aucun cas que leur tranquillité soit troublée. Il s’agit d’émousser tout tranchant ou toute pointe et d’engluer tout mouvement. Ces forces sévissent depuis trop longtemps dans un pays que j’ai quitté, en partie pour échapper à leur emprise, à l’ambiance résolument déprimante qu’elles y ont instaurée.
Ne pas vouloir nommer par manque de courage — par crainte de voir son confort entamé — prépare la catastrophe de demain. Il faut relire ce que dit Georges Bensoussan, auteur des « Territoires perdus de la République » dans un récent interview (postérieur aux attentats du 11 janvier 2015) avec le journaliste Régis Soubrouillard. A la question : « De nombreux témoignages rapportent que des chefs d’établissements préfèrent composer pour ne pas avoir d’ennui. Est-ce un constat que vous faisiez déjà en 2002 ? », Georges Bensoussan répond : « Le constat était déjà frappant à l’époque entre ce qui remontait au ministère de l’Éducation nationale, rue de Grenelle, et ce que les professeurs racontaient du terrain. Nous avions le sentiment en les écoutant que les incidents étaient plus nombreux qu’on ne le disait et pas limités au seul département de la Seine-Saint-Denis. Le ministère, lui, continuait à parler d’incidents isolés. Les concordances étaient trop nombreuses pour que cela ne soit que le fait du hasard. Faire remonter les incidents jusqu’à la rue de Grenelle, c’est pour un chef d’établissement prendre le risque d’être mal noté et mal perçu. Bref, c’est mettre dans la balance son plan de carrière (…). Ce système encourage le silence et le mensonge (…). On compose donc avec la nourriture Halal par exemple (le porc à la cantine), les horaires de piscine, les tenues pour l’éducation physique etc. Mais plus on compose, plus la laïcité recule et plus on donne l’impression d’une République molle. L’offensive islamiste se nourrit de notre faiblesse, c’est-à-dire de cette lâcheté, en dehors même du mensonge de quelques intellectuels qui furent de véritables « chiens de garde » (au sens de Paul Nizan en 1926), des spécialistes du déni et de l’anathème. » A bon entendeur, salut ! Donc, entre les prébendés dispensateurs de leçons de morale et le carriérisme petit-bourgeois, on s’achemine lentement vers un horizon d’une atterrante médiocrité.
Ces petits-bourgeois savent-ils que selon le rapport Obin de 2004 (il y a plus de dix ans !), il n’y avait plus un seul enfant juif dans certaines écoles publiques du 93 ? Mais suivant la logique des prébendés de la gauche, ce rapport ne peut qu’émaner de « racistes » (l’un de ces mots fourre-tout) ou d’« islamophobes » (un néologisme copieusement servi), puisqu’il dérange leurs mécanismes mentaux et porte préjudice à leur tranquillité. Georges Bensoussan termine son interview en demandant à ce qu’on invite plus souvent sur les plateaux de télévision le géographe Christophe Guilluy ou la démographe Michèle Tribalat, pour ne citer qu’eux. Il invite à réfléchir sur les analyses politiques de Malika Sorel-Sutter ou de Pierre-André Taguieff plutôt que d’inviter ceux et celles qui nous servent le ronron du camp du Bien.
Les partisans du Beau-Bien-Vrai et les petits-bourgeois fonctionnarisés ne veulent rien comprendre, ils éludent tout ce qui risque de perturber leur confort tant physique que mental. Le constat est affreux. Ils ne pensent qu’à prendre la pose. Ils jugent que la vérité est dangereuse, c’est pourquoi ils sont si néfastes. Ils passeront certes mais ils occupent le devant de la scène médiatique en France depuis une quarantaine d’années. On les croit à l’agonie, on guette leur dernier souffle ; mais ces vieilles carnes sont résistantes et bavardes, si bavardes…
Le courage et la lucidité ne sont pas à rechercher du côté de cette gauche si contente d’elle-même, si « tolérante », mais ailleurs, notamment du côté de ces intellectuels du Maghreb qui, eux, risquent leur confort voire leur vie. Parmi eux : Kamel Daoud, Boualem Sansal, Mohamed Kacimi, Fethi Benslama, Abdelwahab Meddeb, Abdennour Bidar.
Olivier Ypsilantis
Très lucide et très triste article Olivier. La France vit une grave crise d’identité et s’enfonce dans une lâcheté effrayante. Mais quand vous parlez des hommes héroïques de gauche (ou de droite!) que la France a connu, il faut se souvenir que pour la majorité des gens de cette époque, la vie n’était que lâcheté et compromission. Ce qui renforce beaucoup l’admiration que nous pouvons porter aux véritables héros. Nous vivons dans une époque similaire et seule une poignée d’hommes est lucide et décidée comme ces intellectuels maghrébins et d’autres anonymes qui doivent se sentir bien seuls.