On n’est plus vraiment antisémite dans la vieille Europe, en France particulièrement. Tout au moins hésite-t-on à s’affirmer comme tel. L’antisionisme quant à lui est devenu une marque de respectabilité ; il s’avère même être un passe-droit. Il positionne dans le camp de la Vérité et de la Justice ceux et celles qui le professent. Il permet aux voix d’affluer à l’heure du vote. Et l’Union Européenne a le nez sur Israël, comme s’il s’agissait de surveiller un délinquant multirécidiviste.
Je sais depuis longtemps que l’antisémitisme et l’antisionisme ont beaucoup à voir l’un avec l’autre, qu’ils couchent volontiers ensemble pour former à l’occasion des figures élaborées dignes du Kâmasûtra…
L’Europe est de plus en plus entortillée avec le monde arabe et pour diverses raisons. Historiques d’abord, avec les empires coloniaux, mais aussi pour cause de pétrole, ce maudit pétrole dans lequel nous ne cessons de patauger et qui suscite maintes violences politiques — et écologiques — et depuis trop longtemps. Nous devrions en être sortis. Par exemple, la voiture électrique devrait être partout depuis au moins vingt ans. Mais rien, ou presque ! Les États et leurs gouvernements (toutes tendances politiques confondues) ne sont guère pressés de tourner la page, considérant les sommes considérables qu’ils perçoivent par le biais de la TIPP (Taxe intérieure de consommation sur les produits pétroliers), rebaptisée TICPE, une taxe qui, en France, rapporte de vingt à vingt-cinq milliards d’euros par an. Par ailleurs, on le sait depuis longtemps, le pétrole est une arme de chantage massive qui influe sur les politiques étrangères des États européens. Israël se retrouve bien malgré lui au centre de ce chantage. Le sionisme est dénoncé avec d’autant plus de spontanéité et de virulence que le vieux fond antisémite européen est une force toujours prête à se manifester, par la parole et par l’écrit, sur un mode volontiers allusif, l’antisémitisme restant encore — et pour combien de temps ? — un délit passible de sanctions pénales.
Dans un article intitulé « L’antisémitisme d’État plane sur l’Europe », Jean-Pierre Bensimon pointe deux mythes accusatoires :
1 – Premier mythe accusatoire : Celui de l’illégalité de la présence israélienne au-delà des lignes de 1967, la fameuse Ligne verte. Jean-Pierre Bensimon écrit : « La présence israélienne est légale, l’activité d’implantations est légale, les rares ‟démolitions de maisons” sont légales, les constructions sont légales. L’Europe n’est-elle pas signataire et garante des accords d’Oslo II de 1995 qui octroient à Israël les droits de pleine administration de la zone C des anciennes Judée et Samarie ? L’Europe n’est-elle pas engagée par les stipulations du mandat de la SDN de 1922, confirmées par l’article 80 de la charte de l’ONU ? » A ce propos, c’est toute une terminologie qu’il faudrait proscrire, par exemple « Territoires occupés ». Territoires occupés ? A ce que je sache, la Cisjordanie (désignation bancale) n’est pas un État constitué mais un territoire pour lequel on accepte le principe de droits concurrents, ainsi que le rappelle Jean-Pierre Bensimon, un territoire qu’Israël s’est montré prêt à partager, et à plusieurs reprises, et dès sa création, un partage que le yishouv envisagea avant même la création de l’État d’Israël. Mais les postures morales n’ont que faire de la vérité historique qui vient tout compliquer. Restons dans le simplisme, c’est si reposant.
2 – Second mythe accusatoire : « La grave situation humanitaire » dans la Bande de Gaza. Rappelons à tout hasard que les Israéliens ont plié bagages en 2005, il y a dix ans donc, et sous l’impulsion de « l’horrible » Ariel Sharon. Dans ce territoire de 360 km2, le niveau de vie est l’un des plus élevés du monde arabe, hormis celui dont jouissent les rentiers du pétrole, dont l’Arabie saoudite et le Qatar, grands amis de l’Occident et propagateurs des tendances les plus « sympathiques » de l’islam. Par ailleurs, des crétins, fort nombreux, de plus en plus nombreux, se plaisent à faire jouer ensemble Gaza et Auschwitz.
L’antisionisme en France a une histoire vieille de plusieurs décennies. Pas de législation antisémite (le régime de Vichy n’est plus qu’une « vieille histoire ») mais un antisionisme plus ou moins aimable et traîne-partout que partagent nombre de responsables politiques et de citoyens de diverses obédiences. L’antisionisme est un liant. Il est vrai qu’entre nos populations arabo-musulmanes à forte croissance démographique, nos fournisseurs en pétrole et acheteurs de produits à très forte valeur ajoutée, on ne peut qu’adopter le profil bas. La haine d’Israël, haine qui va de l’allusion doucereuse à la dénonciation ouverte, est l’un des signes de notre abaissement, un abaissement à peine éprouvé comme tel tant l’antisionisme confère la respectabilité dans des groupes sociaux très variés, du haut en bas de l’échelle sociale, chez les De-souche et chez les Chance-pour-la-France.
L’égalité juridique est importante, elle est loin d’être suffisante. C’est une pellicule qui peut à tout moment craquer. Il faut lire et relire l’opuscule de Léon Pinsker, « Auto-émancipation. Avertissement d’un Juif russe à ses frères » auquel j’ai consacré un article sur ce blog même. Cet écrit (l’un des écrits fondateurs du sionisme) est d’une implacable lucidité. Écrit à la fin du XIXe siècle, il reste aussi pertinent en ce début de XXIe siècle.
Nombre d’ingrédients entrent dans la ratatouille antisémite, des ingrédients millénaires et séculaires (l’accusation de déicide en est un, et pas des moindres) avec notamment Voltaire pourtant placé au cœur des Lumières. Dans son bel article intitulé « Les Juifs et la Nation en France : le divorce », Jean-Pierre Bensimon signale que c’est en France « que sont nées toutes les variantes idéologiques de l’antisémitisme moderne. » Précisons à ce propos que « la gauche » — au moins autant que « la droite » — a généreusement contribué à cette production. L’antisémitisme n’est en aucun cas une spécificité de « la droite ». Il faut être inculte ou malhonnête pour ne pas le savoir ou ne pas vouloir l’admettre.
Les indignations européennes (et françaises plus particulièrement) sont sélectives. C’est probablement la raison pour laquelle le livre de Stéphane Hessel, « Indignez-vous ! », a connu un tel succès. Les groupies étaient chauds avant même sa parution. Les toutous remuaient la queue ; ils attendaient leur susucre.
Ainsi donc, les responsables arabes, majoritairement rentiers du pétrole, exercent leur chantage auprès des Européens, avec Israël placé au centre de ce chantage. Et tout le monde y trouve son compte. Tous se reniflent et se reconnaissent…
Et quand je pense qu’une partie de mes impôts sert à financer la corruption de l’appareil politique palestinien et favorise le terrorisme ! Car il faut le dire, ainsi que le signale Michael Theuler qui fut président de la Commission de contrôle budgétaire de l’Union européenne : « L’Autorité palestinienne consacre une part importante de son budget à payer les salaires des prisonniers palestiniens condamnés pour des infractions liées au terrorisme. » Mais, chut !
Dans l’article : « Les Juifs et la Nation en France : le divorce », Jean-Pierre Bensimon signale très justement que « Mitterrand restera comme le maître inégalé de l’art d’instrumentaliser les Juifs pour réaliser ses desseins », une remarque qu’il développe dans un autre article : « Fric-frac autour de l’antisémitisme. » Nous subissons encore les effets de ce tour de passe-passe mitterrandien qui permet aux badernes socialistes de bénéficier encore de leurs rentes morales et de s’accrocher au pouvoir comme des morpions à un pubis — on me pardonnera cet écart de langage. Pour ces badernes, le Mal se loge nécessairement à droite et à l’extrême-droite, chez les fascistes, les fachos, les fafs. Les fascistes ne sont pas mes amis, ces badernes ne le sont pas non plus. Leur prétention à donner des leçons et leur paresse mentale sont un désastre. Le rusé Mitterrand, vieux routard, véritable tout-terrain, a su flatter cette paresse en plaçant plus de coussins sur leur sofa et en leur faisant enfiler des pantoufles dont ils ne sont plus jamais sortis. C’est « la martingale gagnante de François Mitterrand », pour reprendre l’expression de Jean-Pierre Bensimon.
Ainsi que je l’ai montré dans une série de deux articles intitulés « Un climat délétère » et dans une autre série de neuf articles intitulés « L’antisémitisme à gauche – Histoire d’un paradoxe, de 1830 à nos jours » (recension d’une étude de Michel Dreyfus), l’antisémitisme ne se limite pas à un groupe néo-nazi. Il est vrai qu’il faut commencer par s’entendre sur le mot « antisémite » car il recouvre des réalités très diverses. Il va du simple préjugé silencieux à l’acte violent voire meurtrier. Ces divers degrés ne sont pourtant pas radicalement séparés les uns des autres. Les actes criminels contre les Juifs de France sont devenus exclusivement le fait de jeunes musulmans, de Français « issus de la diversité » — la belle expression ! Ces actes ont été toutefois en partie favorisés par une ambiance générale foncièrement antisioniste. Le seul nom « Israël » suffit à susciter des réactions qui vont du silence glacé à l’injure, voire aux coups, en passant par le sous-entendu. Cette ambiance est perceptible au sein de populations françaises extraordinairement diverses, des De-souche en passant par les Chance-pour-la-France, le tout chapeauté par un appareil d’État, ses gouvernements successifs, et une classe politique diversement de-gauche et de-droite. Dans cette basse-cour, quelques femmes et quelques hommes de courage s’efforcent de faire entendre leur voix ; mais elles sont à peine audibles au milieu les caquetages, piaulements, glouglous, coincoins et j’en passe.
Ce n’est plus vraiment du côté des « fachos » ou de la base sociale du FN que se trouve le combustible de l’antisémitisme. Mais la martingale de François Mitterrand destinée à entraver ses adversaires fonctionne encore plutôt bien. Il est vrai que l’inculture historique est à présent telle que l’on peut sans peine faire avaler au citoyen que l’antisémitisme est une spécificité de l’extrême-droite, voire de la droite. Les de-gauche de France peuvent encore goûter au confort de leurs pantoufles avachies et de leur sofa, bien qu’ici et là des ressorts menacent de crever la tapisserie…
Olivier Ypsilantis
Excellent resumé , tout est dit , osez aller jusqu au bout pour parler d une strategie d etat antisioniste qui transcende les partis