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« La descendance d’Abraham : Isaac/Ismaël » – En lisant Léon Askénazi

Les articles présentés dans cette suite comme tous les articles concernant Léon Ashkénazi sur ce blog reprennent ses textes rassemblés dans « La parole et l’écrit », en deux tomes, respectivement sous-titrés : « Penser la tradition juive aujourd’hui » et « Penser la vie juive aujourd’hui », publiés chez Albin Michel dans la collection « Présences du judaïsme ». Il s’agit à ma connaissance des écrits parmi les plus denses et les plus imposants sur le judaïsme rédigés par un francophone. Leur caractère ouvertement didactique et leur structuration par petites touches les rendent intelligibles pour le non-spécialiste de bonne volonté. Que ceux qui veulent l’ignorer et érigent leur ignorance en vérité et en arme de combat passent donc leur chemin. Et j’en viens à « La descendance d’Abraham : Isaac/Ismaël » :

La Révélation de la Parole de Dieu n’est pas celle d’un code religieux strictement relatif à une conduite de vie. Par la prophétie (biblique), Dieu révèle essentiellement Sa volonté quant à la marche de l’histoire du monde et plus particulièrement celle des hommes.

La Torah est comme une préface (qui précède la formulation du code) qui explique pourquoi l’accent va être mis sans tarder sur l’origine, la racine, soit Israël, matrice de l’engendrement de l’histoire du salut et lieu de la Révélation prophétique.

Un écueil à éviter. La Parole prophétique ne doit pas être réduite à une théologie, à une philosophie religieuse (pensée humaine), très postérieure à la prophétie biblique, toujours agissante mais qui objectivement s’éloigne dans le temps puisqu’inscrite dans l’histoire.

La philosophie religieuse (ou théologie), cette science relativement récente, est une tentative de communication de l’Homme à Dieu, alors que l’inspiration individuelle qui rejoint la Parole prophétique est un mouvement de Dieu à l’Homme, mouvement qui constitue l’essentiel de la tradition juive – qui n’ignore pas pour autant le mouvement de l’Homme à Dieu.

En dépit des grands bouleversements de l’histoire mondiale, ne pas oublier que le Livre de la Genèse et la première partie du Livre de l’Exode révèlent la conception que Dieu se fait de l’histoire humaine (avec Israël en gros plan) avant de révéler Sa volonté pour la conduite religieuse.

Commencer par étudier et comprendre les règles de conduite du peuple juif que pose la Torah dans la suite des grands événements qui le concernent. Parmi ces derniers, aujourd’hui, la question de la terre d’Israël, Eretz Israel,  ארץ ישראל  Car il ne s’agit pas seulement d’un conflit à caractère politique ainsi que les médias de masse veulent nous le faire accroire – comme s’il s’agissait d’un problème cadastral et rien de plus. Cette histoire a commencé avec la famille d’Abraham. Donc, le croyant, Juif, Chrétien ou Musulman, doit se reporter à la Bible afin de repenser la question, autrement dit d’en reconsidérer les bases avant de poursuivre.

Eretz Israel. Dans le récit de la Genèse (XL,15) il est appelé « pays des Hébreux », une désignation utilisée par Joseph dans sa prison en Égypte. Au cours des deux millénaires d’exil, tout le monde savait que leur pays était la « Palestine », nom donné par les Romains à la Judée. L’exil des Hébreux et la Babylonie d’où est sorti Abraham. Lorsque cette civilisation est devenue totalitaire, une famille des Hébreux (rescapée des fours d’Our Kasdim), la famille d’Avram (Avram qui n’est pas encore Abraham), quitte la Babylonie et revient au pays des ancêtres. Avram (nom araméen) devient Abraham lorsqu’il est de retour au « pays des Hébreux ».

Seule une partie des exilés y revient. On se souvient que le père d’Abraham, Térah, eut trois fils. Outre Abraham, Haran (mort en Babylonie et dont le fils fondera les peuplades d’Amon et de Moab) et Nahor qui a quitté la Babylonie et s’est installé dans la région du Liban et de la Syrie pour devenir l’un des pires ennemis d’Israël – et l’une des causes de son hostilité est Ismaël. Pourquoi ?

On se souvient que Sarah pousse Agar dans les bras d’Abraham afin qu’elle ait un enfant de lui. Ce sera Ismaël. Or, nous rapporte la Genèse, Sarah voit Ismaël rire et demande à ce qu’il soit renvoyé avec Agar, sa mère, afin qu’Isaac soit séparé d’eux, Isaac qui signifie il rira. Isaac et Ismaël rient parce que leur père Abraham leur a enseigné qu’il y a un Créateur. Mais l’un (Ismaël) rit au présent parce qu’il est satisfait du monde tel qu’il est, tandis que l’autre (Isaac) rira quand le monde aura trouvé sa Rédemption.

Autrement dit, le Musulman et le Juif partagent une même croyance en un Créateur mais leur morale diffère. Le Musulman se satisfait du monde tel qu’il est, contrairement au Juif.

Non, Juifs et Musulmans n’ont pas le même père, car Avram n’est pas Abraham. Le Dieu du Musulman, c’est le Créateur au présent ; le Dieu du Juif, c’est le Créateur avec un projet d’avenir. Le problème entre l’islam et le judaïsme n’est pas d’ordre théologique mais d’ordre moral. Le Musulman s’en remet à Dieu qui décide de tout. L’homme n’est pas libre et ainsi ne peut envisager la responsabilité morale – ou bien avec difficulté, et s’il a subi des influences étrangères à la culture musulmane. Pour un Musulman, dire que l’homme est libre revient à porter préjudice à la souveraineté de Dieu.

Dans le Talmud, il est question de trois grands maîtres qui veulent expliquer l’attitude de Sarah. Ils en reviennent au rire d’Ismaël. Le premier dit : c’est l’idolâtrie ; le second dit : c’est le meurtre ; le troisième dit : c’est la débauche. Car celui qui se satisfait du monde tel qu’il est tombe dans ces trois fautes – et souvenons-nous des trois axes de commandement de la Torah : dans les rapports avec Dieu, la faute c’est l’idolâtrie ; dans les rapports avec l’autre, la faute c’est le meurtre ; dans les rapports avec soi-même, la faute c’est la débauche.

Et celui qui se satisfait du monde tel qu’il est (qui rit au présent) tombe dans ces trois fautes. Rabi Shimon ben Yohai qui cite ces trois maîtres explique le rire d’Ismaël comme une moquerie envers son frère Isaac. Ismaël se croit l’aîné et s’autorise à réclamer deux parts d’héritage : l’Arabie et la Palestine – le « pays des Hébreux ». Pourtant, à la mort d’Abraham, son père, Ismaël reconnaît qu’Isaac est chez lui, à Hébron – car il a reconnu la religion de son père (avant Mahomet, les Ismaélites étaient des païens). L’islam reconnaîtra-t-il que ce pays, Israël, a été donné par Dieu à Israël ?

Pourquoi l’exil n’a-t-il commencé qu’avec Jacob alors qu’il avait été annoncé à Abraham ? Le Maharal nous dit que s’il avait commencé avec Abraham, Ismaël aurait été concerné ; et que s’il avait commencé avec Isaac, Ésaü aurait été concerné. L’exil commence avec Jacob car la promesse de la terre ne concerne que la descendance d’Abraham qui a accepté l’éventualité de l’exil.

La Chrétienté (Ésaü) ne cherche plus tant à être universelle, contrairement à l’Islam. A la mort d’Abraham, Ismaël a le privilège d’être désigné comme « fils d’Abraham » ; mais Isaac est nommé le premier, il a la préséance. L’histoire juive telle que la rapporte la Bible est cohérente et cette histoire ne se réduit pas, loin s’en faut, au brouhaha médiatique.

 Olivier Ypsilantis

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