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La bataille de Salamine (480 av. J.-C.) – 2/3

La flotte grecque aligne environ trois cent quatre-vingt unités de combat (plus de la moitié est fournie par Athènes). La flotte perse en aligne environ mille deux cents. Toutes les unités perses ne se trouvent pas dans le golfe Saronique, à proximité de Salamine. Xerxès 1er bénéficie de la supériorité de la masse ; mais la qualité, sur terre comme sur mer, est du côté des Grecs, et il le sait. Il compte donc sur le nombre et rien que sur le nombre.

L’Acropole est en feu. Les Grecs délibèrent. Le ton monte. On accepte enfin d’écouter Thémistocle, et son argumentation est simple : il ne faut en aucun cas offrir aux forces navales perses un large plan d’eau où elles pourraient se déployer et, ainsi, exploiter leur énorme supériorité numérique, notamment par des manœuvres d’enveloppement. Considérant le rapport des forces, le meilleur emplacement pour les Athéniens et leurs alliés est le détroit de Salamine. De son côté, Xerxès 1er délibère. La seule menace que présente l’ennemi grec est navale, soit les quelque trois cent quatre-vingt vaisseaux de l’alliance hellénique. Xerxès 1er se rend à Phalère où mouille sa flotte pour s’entretenir avec son état-major. Les Phéniciens, les premiers consultés, des spécialistes respectés en la matière, opinent pour l’engagement naval. Tous suivent leur avis hormis une femme, Artémise 1ère, reine d’Halicarnasse et qui a participé à la bataille de l’Artémision et de l’Eubée ; elle tient à Xerxès 1er un discours prémonitoire (selon Hérodote) que le Grand Roi apprécie, ce qui ne va pas l’empêcher de s’en tenir à l’avis de la majorité, ce qui est plus flatteur. Dans son propos à Xerxès 1er, Artémise 1ère déclare qu’il lui faut éviter tout engagement naval car sur mer les Grecs lui sont supérieurs, qu’il lui faut tenir la terre (une fois le Péloponnèse conquis) pour les décourager et les faire rentrer chez eux car ils manqueront sans tarder d’approvisionnement, l’île de Salamine ne pouvant suffire à les nourrir tous ; alors qu’un engagement naval pourrait être fatal non seulement à la flotte perse mais à ses forces terrestres dépendantes de l’approvisionnement fourni par cette flotte.

Chez les Grecs, on ne cesse de délibérer et la décision tarde. Ainsi les Péloponnésiens demandent à leurs compatriotes qu’ils oublient cette aventure et s’en reviennent chez eux afin de participer aux travaux défensifs dans le Péloponnèse. Mais Thémistocle poursuit son idée dans des tête-à-tête et il s’efforce de convaincre. La partie est serrée, d’autant plus que les Grecs ne restent jamais durablement unis. Les chefs se disputent entre eux. La majorité des Grecs regarde vers les détroits qui lui permettraient de s’échapper et de rejoindre leur pays. Thémistocle va alors ruser et jouer son va-tout. Il fait appel à l’un de ses serviteurs, un certain Sicinnos, probablement un Grec d’Asie, un homme instruit et habile qui connaît les usages des Perses. Il rapporte à Xerxès 1er que la majorité des chefs grecs est prête à opter pour la fuite et que s’il veut remporter la victoire il doit agir sans tarder en commençant par bloquer les issues avant d’attaquer ; et que considérant la zizanie régnant chez les Grecs, la partie devrait être facile. Le message de Thémistocle transmis oralement par Sicinnos chez les Perses est intéressant car il ne rapporte que des éléments que les Perses sont en mesure de vérifier directement. Thémistocle a probablement deviné l’impatience de Xerxès 1er et il tient à s’en servir. Sicinnos entre probablement en contact avec l’ennemi au lendemain de la prise de l’Acropole, dans la nuit du 27 au 28 septembre 480. A cet effet, il traverse à la barque les quelque quatre cents mètres qui séparent l’île de Salamine du continent. Xerxès 1er qui est impatient d’en finir veut par ailleurs empêcher la jonction des forces terrestres de Salamine et des forces maritimes assemblées dans l’isthme. Vaincre à Salamine revient pour les Perses à défaire cent mille combattants d’un coup, soit quatre-vingt à quatre-vingt-cinq mille hommes embarqués plus quelques milliers de soldats affectés à la défense de l’île de Salamine où s’entassent des réfugiés, notamment des femmes et des enfants.

De jour, les Perses peuvent déceler le moindre mouvement de la flotte grecque. Ils décident donc d’établir dans la nuit un barrage capable d’empêcher la fuite de cette flotte. Xerxès 1er peut sans peine fermer les deux passes de la baie d’Éleusis, soit la passe est, ouverte sur Le Pirée (détroit de Salamine), et la passe ouest, la plus étroite et qui touche la Mégaride. Par ailleurs, des unités surveilleront la côte de Salamine tournée vers le large, une garde moins étroite puisque l’ensemble de la flotte grecque est censé être pris au piège. Ordre est donc donné par Xerxès 1er à la flotte perse (et dans cette théocratie on ne discute pas les ordres comme on le fait dans la démocratie grecque) de gagner ses positions de combat dans la nuit et de verrouiller la baie de Salamine, le restant de la flotte devant verrouiller l’île d’Ajax (l’île de Salamine). Par ailleurs, Xerxès 1er avertit les navarques qu’ils seront décapités si les Grecs parviennent à contourner ce dispositif, un dispositif qui nous reste peu précis, et entre Eschyle, Hérodote et Plutarque, on ne peut le reconstituer avec exactitude. Je ne vais donc pas rentrer dans ce que rapportent les uns et les autres. Un détail toutefois : le dispositif perse est complété par le débarquement d’un corps de fantassins d’élite sur l’îlot de Psyttalie, en avant du détroit de Salamine, des soldats destinés à récupérer les naufragés perses et à achever les naufragés grecs.

Tandis que la flotte perse se met en place, les stratèges grecs discutent et discutent encore, sans jamais oublier de se chamailler. Dans la nuit, Aristide qui avait été banni puis réhabilité parvient à débarquer sur l’île de Salamine malgré le blocus. Il vient d’Égine. Selon Hérodote, il somme les Grecs de s’entendre et de ne faire qu’un car ils sont encerclés. Il les incite à répandre l’information afin que les hésitants n’espèrent plus s’en sortir de leur côté et qu’il leur faut rejoindre les autres forces grecques, à commencer par les Athéniens qui constituent le gros de ces forces. Thémistocle ne sait encore rien de l’effet de ruse escompté. Les Grecs n’ont pas décelé les mouvements de la flotte perse et la mise en place du verrouillage. Sur les conseils de Thémistocle, Aristide accepte de se rendre auprès du conseil des chefs afin de leur exposer la situation car si c’est lui, Thémistocle, qui s’en charge le conseil croira à de la tromperie. Aristide jouit d’une grande autorité morale ; il a toutefois du mal à convaincre les Grecs qui se remettent à discuter et à se chamailler. Les Grecs ne vont pas tarder à se rendre enfin à l’évidence, d’autant plus que dans la nuit un vaisseau de l’île de Tinos incorporé à la flotte perse a déserté, qu’il a réussi à gagner l’île de Salamine et qu’il confirme mot pour mot les dires d’Aristide. Les Grecs comprennent enfin que l’heure n’est plus à la discussion et qu’ils doivent se battre à l’endroit précis choisi par Thémistocle, un espace resserré et sinueux, soit dans le verrou oriental, côté Le Pirée. Ainsi, à aucun moment la bataille ne devra s’étendre dans des espaces ouverts, soit le vaste golfe Saronique voire la baie d’Éleusis, des espaces où la flotte perse pourra effectuer des mouvements d’enveloppement considérant son énorme supériorité numérique. Comme dans le chenal de l’Eubée, l’étroitesse du plan d’eau va donc permettre d’annuler l’écrasante supériorité numérique perse. Les Grecs peuvent ainsi étirer leur flotte d’un rivage à l’autre sans craindre d’être débordés et ils attaqueront l’ennemi rang par rang. Les Grecs sont par ailleurs plus précis dans leurs mouvements et bien meilleurs combattants comme nous l’avons dit. La première ligne grecque sait qu’à la moindre brèche la ligne placée à l’arrière la comblera. De plus, pour élaborer leurs formations de combat, les Perses (basés des plages de Phalère aux anses de Munychie) doivent parcourir une dizaine de kilomètres pour fermer le détroit de Salamine et près du triple pour fermer la passe de Mégaride (située entre les pointes ouest de l’île de Salamine et la pointe de la Mégaride), tandis que les Grecs n’ont qu’à se laisser glisser de leur position de repos pour former leur dispositif de combat. Ainsi les équipages perses sont plus fatigués que les équipages grecs avant la bataille ; par ailleurs les Perses peuvent continuer à penser qu’ils vont surprendre l’adversaire d’une manière ou d’une autre.

Le plan grec est simple : 1. Rester dans le détroit pour que la masse perse s’y accumule. 2. Ne pas trop reculer afin que les Perses ne puissent se déployer en éventail mais aussi ne puisse attaquer le camp retranché de l’île de Salamine avec ses réfugiés protégés par des hoplites. Thémistocle a pris le commandement officiel de l’ensemble de la flotte grecque et les Grecs ont à présent une claire vision de leur situation, ils sont donc décidés à se battre jusqu’au bout.

Sur terre, l’armée perse se dispose le long du rivage, en face de l’île de Salamine ; et cette fois Xerxès 1er assistera à la bataille avec toute sa suite, probablement sur les pentes de l’Ægalée. Le responsable de l’ensemble de l’opération côté perse, Achéménès, fils de Darius et demi-frère de Xerxès 1er. Quelque chose semble mal fonctionner dans la marine perse entre le renseignement et la signalisation ; et elle commet une première erreur de manœuvre : les navires perses gardent leur rang tout en s’engageant dans le détroit de Salamine, ce qui les oblige à faire sortir de la ligne un certain nombre de leurs unités. D’après les calculs et compte tenu de l’espace à maintenir entre chaque unité, on ne pouvait faire entrer dans ce détroit cent navires de front et à la moindre erreur de manœuvre le désordre se propageait sur une partie de l’ensemble. Les Perses qui pensent bénéficier de l’effet de surprise ou avoir affaire à des fuyards se heurtent à des Grecs qui entonnent le péan. Les Grecs s’élancent mais à en croire Hérodote, très explicite sur ce point, une partie de leur ligne d’attaque se trouve soudainement coupée et une partie de leurs vaisseaux recule, la proue en direction de l’ennemi, la poupe appuyée au rivage. Le mouvement n’étant pas exécuté par l’ensemble de la flotte, on ne peut penser à une manœuvre tactique délibérée destinée à attirer plus avant l’adversaire dans le détroit. En faisant une synthèse des indications et compte tenu que ce mouvement n’entraîne pas le moindre désordre chez les Grecs, on peut penser qu’il s’opère à l’extrémité de l’aile droite, soit le pivot du mouvement d’ensemble amorcé pour faire à l’ennemi. L’aile gauche, très homogène, car entièrement constituée d’unités athéniennes, va affronter le meilleur de la flotte perse, soit les Phéniciens, de grands marins traditionnellement maîtres de la Méditerranée et irrités par la jeune puissance maritime athénienne. Deux hypothèses s’affrontent alors : 1. La flotte grecque est adossée le long du rivage de l’île de Salamine, tandis que la flotte perse s’aligne plus ou moins parallèlement au rivage continental. 2. Thémistocle fait pivoter dès le début toute la ligne grecque afin de barrer le détroit de Salamine. Cette hypothèse fait valoir et, à juste titre, qu’il eut été particulièrement périlleux pour les Grecs de permettre que les Perses puissent occuper le proche plan d’eau de la baie d’Éleusis et ainsi envelopper plus encore la flotte grecque. Dans tous les cas, l’action principale de cette bataille a bien lieu dans l’étranglement du détroit avec, plus tard, dans la journée, un glissement vers les deux chenaux ménagés par l’île de Psyttalie.

Les marins d’Égine, le meilleur contingent de l’aile droite grecque, contiennent l’offensive acharnée que conduit Ariabignès. L’aile gauche grecque combat près du rivage continental ; elle a fort à faire contre les Phéniciens et leurs navires, probablement les meilleurs de la Méditerranée.

La faute commise par les Perses au tout début de l’engagement a des conséquences durables. Les Grecs combattent en ordre et leurs lignes sont continues tandis que les Perses manœuvrent dans un relatif désordre, ce qui fait que leurs vaisseaux présentent assez volontiers aux Grecs leurs flancs et non leurs proues. Par ailleurs, la diversité des langues parlées dans l’immense Empire achéménide rend malaisée la transmission des ordres. Toujours bien alignés, les Grecs multiplient les coups de boutoir puis se désengagent avant de reprendre de l’élan. Les Perses se retrouvent refoulés dans le détroit de Salamine et bloqués par leurs lignes arrière qui poussent pour s’engager. Leurs rames s’entrechoquent volontiers et blessent ou tuent les rameurs. Isolément ou en groupes, les vaisseaux grecs éperonnent mais passent aussi à pleine vitesse en levant d’un coup leurs rames au long du bordage pour fracasser toute une rangée de rames adverses, même manœuvre en laissant tomber les rames sur l’équipage adverse, accroche au grappin et abordage, etc. Au corps à corps, les Grecs sont traditionnellement très supérieurs aux Perses et aux Mèdes. Ces derniers constituent la force armée à bord des vaisseaux de Xerxès 1er. De plus, il n’y a pas entre ces soldats et les rameurs la fraternité qui unit tout le personnel embarqué chez les Grecs – et rappelons que les rameurs grecs sont des hommes libres, conscients de leur valeur et respectés ; rappelons également que la variété des langues parlées dans l’immense armada perse ne facilite pas des manœuvres qui doivent être extrêmement rapides. Et une fois encore, la météorologie va se montrer défavorable aux Perses dont les vaisseaux ont un tillac sensiblement plus élevé que celui des Grecs et qui de ce fait sont plus sensibles au roulis qui découvre leurs flancs aux coups des Grecs.

Olivier Ypsilantis

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