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La bataille de Gaugamèles

Premier temps. Gaugamèles, 1er octobre 331 av. J.-C. Toute la masse attaquante macédonienne suit Alexandre, qu’elle soit à pied ou à cheval. Dans cette masse, la cavalerie des Compagnons conduite par Philotas, fils aîné de Parménion. Alexandre et ses hommes sont placés sur l’aile droite macédonienne. L’aile gauche, statique, est commandée par le vieux Parménion. A la bataille du Granique (334 av. J.-C.) et à celle d’Issos (333 av. J.-C.), Parménion avait occupé la même position, soit tenir l’aile gauche en adoptant une position dite « du flanc refusé », tandis qu’Alexandre, toujours en mouvement, décrivait un mouvement enveloppant.

A Gaugamèles, Alexandre parvient à s’enfoncer dans la brèche qui s’est formée entre le centre et la gauche de l’armée perse. Il lui faut faire vite avant que les hommes de Parménion ne cèdent ; ils se battent à un contre trois, soit cinq mille contre quinze mille, fantassins et cavaliers des deux côtés. Darius espère l’emporter par la seule force brute et la supériorité numérique, ce qui se saurait suffire comme la suite va le montrer.

Parménion fait partie du vieil entourage d’Alexandre et de son père, Philippe II de Macédoine. Il est le socle qui a grandement contribué à des victoires majeures (Le Granique, Issos et bientôt Gaugamèles), un socle sans lequel Alexandre n’aurait pas été ce qu’il a été. Parménion a déjà perdu un fils au service d’Alexandre, et ses deux autres fils ne vont pas tarder à mourir, ainsi que le père qui atteindra tout de même l’âge respectable de soixante-dix ans. Philotas qui conduit la charge au côté d’Alexandre sera mis à mort sur ordre de ce dernier et devant l’armée rassemblée, sous l’accusation fallacieuse de conspiration. Quant à Parménion, soldat exceptionnel (probablement le meilleur de ses généraux) à qui Alexandre doit tant, il sera également mis à mort sur son ordre.

Alors qu’Alexandre progresse en Asie, il devient de plus en plus suspicieux. A mesure qu’il engage des Perses dans son armée, l’arrogance des théocrates orientaux semble le gagner, ainsi que la paranoïa et la mégalomanie. Ce n’est qu’après la destruction de l’armée achéménide qu’Alexandre va s’employer à éliminer systématiquement les officiers qui lui ont assuré ses victoires.

Mais revenons à Gaugamèles. Parménion est attaqué par de puissantes unités achéménides. Ses rangs s’efforcent de tenir. Il engage sa cavalerie, dont les Thessaliens, la meilleure cavalerie légère de l’Antiquité. Il repousse les vagues d’assaut, protégeant ainsi le flanc gauche d’Alexandre et empêchant un mouvement d’enveloppement qui aurait pu être fatal à toute l’armée macédonienne. Une fois encore, Parménion est le socle, le pivot qui assure et protège le mouvement d’enveloppement conduit par Alexandre. Sans ce pivot, Gaugamèles n’aurait pas été une victoire d’Alexandre.

Au cours de cette bataille, Parménion doit faire face à deux problèmes majeurs. Darius III a soigneusement choisi le lieu de la rencontre. Il n’y a que de la plaine à Gaugamèles, ni montagne, ni rivage, pas même une rivière ou une ravine pour protéger les flancs macédoniens des lignes perses, beaucoup plus longues. Aussi, une fois la bataille engagée, les cavaliers perses ne tardent pas à largement déborder les unités de Parménion, ce qui contraint ces dernières à s’étirer et donc à s’affaiblir. Ce faisant, et afin de ne pas être prises à revers, elles adoptent une position en arc-de-cercle resserré, en fer à cheval pourrait-on dire. Les Thessaliens repoussent une vague de chariots scythes et de mercenaires grecs. Ne parvenant pas à briser la ligne macédonienne, les Perses s’efforcent de l’envelopper. Alexandre pénètre dans les lignes ennemies. Mais dans ce mouvement, le centre droit grec se voit entraîné et un corridor se forme dans lequel l’ennemi va s’engouffrer et atteindre le camp macédonien. Il y tue les gardes, libère les prisonniers et pille. Il peut à tout moment se tourner vers l’aile gauche macédonienne, soit Parménion, et achever son encerclement avant d’attaquer Alexandre sur ses arrières. Parménion doit choisir entre éviter que l’aile gauche macédonienne ne soit débordée ou bien maintenir la cohésion du centre ; il ne peut faire les deux. L’ennemi s’attarde dans le camp macédonien pour y tuer des gardiens sans armes et piller, ce qui permet à Parménion de gagner un peu de temps. Il envoie un messager à Alexandre et ordonne à ses fantassins d’attaquer l’ennemi qui s’est introduit dans le camp grec puis il prépare ses cavaliers pour une charge destinée à briser l’encerclement, se porter à la rencontre d’Alexandre et ainsi prendre en tenaille l’aile droite perse.

Deuxième temps. Le messager envoyé par Parménion trouve Alexandre alors qu’il s’apprête à poursuivre Darius III en fuite et que tout le centre perse est en voie d’effondrement. On peut supposer qu’Alexandre enrage alors ; mais il tourne bride et se porte au secours de Parménion. Depuis quelque temps, Alexandre est irrité par le vieux Parménion et les nobles macédoniens qui l’entourent. Il les suspecte par ailleurs de faire preuve de mauvaise volonté, de vouloir contrarier ses plans. En effet, plus il avance vers l’est, plus ces Macédoniens expriment leur nostalgie du pays. Plus s’accumulent les victoires contre les Perses, plus ces Macédoniens redoutent d’être vaincus ; plus Alexandre évoque un empire et une civilisation mondiale, plus ces Macédoniens rêvent de pouvoir prendre une retraite confortable dans leur patrie. L’âge et la nostalgie du pays ont eu raison du meilleur d’eux-mêmes. Alexandre est de plus en plus irrité par les mises en garde de Parménion, des mises en garde qui ont commencé dès le franchissement de l’Hellespont. Ainsi, juste avant la bataille de Gaugamèles, effrayé par l’immensité de l’armée de Darius III, il conseille à Alexandre d’attaquer de nuit, ce qu’Alexandre refuse, Alexandre qui aurait déclaré qu’une vraie victoire se gagne en plein jour. Parménion lui aurait également conseillé de faire inspecter le futur champ de bataille afin de vérifier si des pièges n’y avaient pas été installés. Bref, cette multiplication de conseils et d’appels à la prudence irritent Alexandre. Et le pari d’Alexandre lui semble bien trop risqué car au moment où Alexandre s’enfonce dans les rangs perses, les Perses font de même dans les rangs macédoniens.

En résumé. Le plan tactique d’Alexandre est aussi simple qu’inspiré. Parménion pivote sur sa gauche, entraînant avec lui l’aile droite perse tout en assurant les arrières macédoniens ; il permet ainsi aux unités conduites par Alexandre, soit l’aile droite macédonienne, de se porter plus à droite, vers un terrain moins plat où les chariots scythes ne peuvent opérer. Ce mouvement général est destiné à forcer l’aile gauche perse à se déporter sur la gauche dans le but de bloquer l’aile droite macédonienne, l’empêcher d’opérer un débordement et passer sur les arrières perses. Mais ce mouvement dégarnit le centre perse où se tient Darius III. Et Alexandre envoie toujours plus de fantassins et de cavaliers sur sa droite afin de dégarnir toujours plus le centre perse qu’Alexandre ne quitte pas des yeux afin de s’y engouffrer le moment venu. C’est dans cet espace qu’il va commencer à porter le coup de grâce à toute l’armée perse. Il lui faut aller vite, avant que son aile droite et son aile gauche (Parménion) ne soient débordées et prises à revers par l’ennemi dont les lignes sont beaucoup longues. Les ailes macédoniennes sont tenues par des fantassins et des cavaliers équipés de manière à être extrêmement mobiles et elles s’appuient sur une ligne de réserve de six mille sept cents soldats d’infanterie lourde (hoplites). Le meilleur de la cavalerie et la Phalange sont tenus en réserve afin de porter le coup de grâce aussi promptement que possible. Alexandre doit frapper ce centre et s’y enfoncer avant que ses ailes ne soient débordées mais pas avant que ce centre ne soit assez affaibli. On connaît la suite : la garde perse impériale anéantie, Darius III et sa suite en fuite, Alexandre galopant au secours de Parménion.

Troisième temps. Retour en arrière. Darius III choisit personnellement l’emplacement d’une bataille qu’il espère décisive, soit une plaine parfaitement plate et sans le moindre obstacle afin que puisse manœuvrer sans encombre son immense armée, avec ses chariots scythes, ses éléphants, ses cavaliers, sa longue ligne de bataille. Darius III est confiant et il a toutes les raisons de l’être. Cette vaste plaine est idéale pour ses cavaliers nomades que la Phalange macédonienne redoute car bien moins mobile. Rien n’a arrêté Alexandre, pas même la citadelle de Tyr jugée imprenable ou les murailles de Gaza, mais le terrain choisi par Darius III devrait être fatal à Alexandre. Darius III fait préparer le terrain en le nettoyant de ses pierres afin de faciliter la course des chariots scythes considérés comme une arme décisive. Il fait installer des pièges aux endroits où Alexandre est censé passer. Il compte également sur ses éléphants, un animal inconnu des Macédoniens. Il lui manque toutefois un atout majeur, ses hoplites grecs. Alexandre les a vaincus au Granique et à Issos. Les hoplites sont les meilleurs fantassins lourds de l’Antiquité et il n’en reste à Darius III que deux mille. Hormis ces hommes, personne n’est alors prêt dans cet empire de soixante-dix millions de sujets à affronter la Phalange macédonienne. La culture guerrière grecque est alors une culture de face-à-face, frontale, sans préoccupation pour la mobilité, la supériorité numérique, l’embuscade. Dans cette bataille décisive, Darius III compte donc essentiellement sur ses chariots (un peu plus de deux cents), sur ses éléphants (une vingtaine) et surtout sur sa cavalerie. Darius III envisage donc cette bataille essentiellement comme une bataille de cavalerie. Il aligne près de cinquante mille cavaliers contre un peu moins de huit mille du côté d’Alexandre. Darius III espère déborder l’armée d’Alexandre sur ses flancs, sur sa droite avec les cataphractes bactriens et scythes, sur sa gauche avec le fidèle Mazaois, une manœuvre qui permettrait d’attaquer la Phalange par l’arrière, une proie alors facile. A Gaugamèles, et pour la première fois depuis son avancée à travers l’Empire achéménide, Alexandre va affronter des guerriers venus des provinces les plus orientales de l’empire, de redoutables cavaliers.

Quatrième temps. Le 1er octobre 331, alors que la bataille de Gaugamèles est sur le point de débuter, la disposition de l’armée d’Alexandre s’articule en trois gros rectangles. Un bloc central avec la Phalange et deux blocs latéraux infléchis afin d’éviter l’encerclement. Une heure après le début de la bataille, on assiste à une course éperdue de la cavalerie perse et de la cavalerie macédonienne afin de pénétrer les rangs ennemis. L’idée d’Alexandre est de tuer Darius III et d’anéantir les survivants. Dans un premier temps, il s’agit d’embrocher la masse de la cavalerie perse dans la forêt des sarisses de la Phalange qui est l’enclume. Alexandre et ceux qui le suivent, à commencer par la cavalerie des Compagnons, sont le marteau. Les Macédoniens n’ont qu’une idée, anéantir l’armée perse, et pour ce faire chaque seconde compte. De leur côté, les Perses et les Indiens qui se sont engouffrés dans le corridor qui s’est formé dans les rangs macédoniens s’emploient à libérer les prisonniers achéménides, à tuer des gardes désarmés et à piller tentes et chariots plutôt que d’affronter Parménion qui se trouve sur leur droite. Ils perdent ainsi un temps précieux, ce qui explique en partie la victoire d’Alexandre.

Gaugamèles est la troisième grande victoire d’Alexandre contre l’Empire achéménide. Les pertes de Darius III sont effroyables, au moins cinquante mille tués sur une armée d’un peu plus de cent mille hommes. L’armée d’Alexandre qui aligne quarante-sept mille hommes (dont sept mille cinq cents à huit mille cavaliers) déplore cinq cents tués, soit cent fois moins que l’ennemi. Alexandre se hâte de faire inhumer ses morts et de quitter ce champ de bataille où commencent à se décomposer les cinquante mille morts de l’armée de Darius III, sans compter les très nombreux chevaux.

Olivier Ypsilantis

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