Les funérailles (nationales) de Johnny se déroulent aujourd’hui, 9 décembre 2017, à Paris, alors que je rédige le présent article. Je les ai suivies ce matin, à Lisbonne, et l’envie d’écrire un petit texte à sa mémoire m’est venue, en m’adressant directement à lui.
Cher Johnny,
Tes funérailles ont lieu alors que je travaille à un article consacré à un Allemand antinazi, Friedrich-Percyval Reck-Malleczewen, auteur d’un journal de feu et de colère. Mais une force me pousse vers le poste de télévision alors que je te connais à peine.
Je connais à peine ton œuvre, aussi ne puis-je être l’un de tes fans. Certes, j’admire depuis longtemps ton énergie « bête de scène », et d’abord parce que la scène m’effraye et que, pour tout dire, j’admire le premier venu qui a le culot – ou plutôt le courage, dirais-je – d’y monter. La scène m’effraye et la foule m’épouvante, même la foule sympathique que constituent probablement tes fans.
Je te connais à peine. J’ai quitté trop tôt la France, la France que j’aime par la langue et la culture mais que j’ai quittée car je me sens tout simplement mieux ailleurs. J’ai donc du mal à me sentir « orphelin » comme l’un de tes si nombreux fans, comme celles et ceux que j’ai pu observer ce matin, à la télévision. Et pourtant…
Il y a peu, j’ai publié une photographie de toi, début 2017, dans un article intitulé « Des artistes qui aiment Israël ». Tu n’y es pas en sueur, dans l’habituel déchaînement de son et de lumière, devant un parterre de fans, non ! Tu te tiens de dos, une kippa sur la tête, appuyé contre le Mur des Lamentations, le Kotel. L’une de tes mains est grande ouverte contre l’une des pierres de ce mur plusieurs fois millénaire. Tu cherchais probablement à capter quelque chose de l’immense énergie que recèlent ces pierres. Je le sais car j’y ai moi aussi posé les mains, à la recherche de cette énergie.
Je n’ai pas été surpris de te voir ainsi, à Jérusalem. J’ai vu là comme une confirmation de l’énergie lumineuse que tu portais – que tu portes encore – et que je pressentais lorsque je surprenais ici et là ta voix, par hasard puisque je n’ai jamais acheté l’un de tes disques ou écouté de bout en bout l’une de tes chansons.
Ces quelques airs surpris ici et là m’ont d’emblée fait comprendre que tu étais du côté de la lumière, que tu refusais tout faux-fuyant, plus exactement que le faux-fuyant te fuyait sachant qu’il n’avait pas sa place chez toi. Ainsi n’ai-je pas été surpris de te retrouver à Jérusalem, simplement, discrètement, loin aussi du sionisme tapageur d’un certain christianisme évangélique auquel tu n’as jamais appartenu.
Ce soir, j’ai écouté quelques-unes de tes chansons, dans le silence d’une nuit de brumes douces et humides, au bord de l’Atlantique, à Lisbonne. Puis j’ai voulu en savoir plus sur tes relations avec Israël ; et j’ai appris que lors de ta première visite dans ce pays, en 2012, tu avais confié (à la Dixième chaîne, à la veille de ton premier et unique concert en Israël) avoir pensé t’y rendre lors de la guerre des Six Jours, mais tu avais précisé : « c’était fini avant que j’arrive ! » Ci-joint, une vidéo où tu confirmes au micro d’Arié Elmaleh, en 2011, ton intention de t’engager dans les rangs de Tsahal :
Johnny et son épouse Laeticia, à Jérusalem, en 2012.
J’ai donc écouté quelques-unes de tes chansons et lu quelques articles qui contiennent des éléments de ta biographie. Et j’ai compris que ton énergie était un exemple, que le découragement prépare de nouvelles énergies, une réorganisation des énergies, que les formes de l’énergie sont multiples, infinies peut-être, mais que la fidélité à soi-même est unique et qu’on ne marchande pas avec elle.
Le chanteur populaire que tu étais – que tu restes – et qui n’était vraiment pas populaire dans le milieu où j’ai grandi me devient proche, et pour diverses raisons parmi lesquelles ta sympathie pour Israël – une sympathie qui, elle, n’attire pas les foules et ne facilite pas les relations. Je n’aurais certes pu éprouver de la sympathie pour toi si tu avais dénoncé Israël car l’hostilité envers ce pays découvre le côté grimaçant de l’homme, son angle minable dans lequel tout finit par s’engouffrer et se dissoudre. Mais, bien sûr, tu ne pouvais éprouver une telle hostilité car tout en toi s’oppose au grimaçant et au minable. Il y a chez les ennemis d’Israël quelque chose de crispé, une oblicité du regard. Je suis presque né avec cette impression et tout m’indique qu’elle sera mienne jusqu’à mon dernier jour.
Voilà, je ne sais ce qui m’a poussé à t’écrire cette lettre : l’émotion devant le petit écran, à l’occasion de tes funérailles, le regret de ne pas avoir assez prêté attention à tes chansons, tant d’autres choses. Je tenais donc à te saluer face à cet océan Atlantique que tu survoles pour Saint-Barthélémy, pour Saint-Barth, à bord d’un Boing 757.
Ton premier succès est « Souvenirs, souvenirs », ce que je viens d’apprendre. Je l’écoute, et ce soir je me souviens de toi et de choses que rapporte cette chanson. Dans cette nuit portugaise de brumes douces et humides, je me souviens… Je te salue Johnny et te souhaite bon voyage.
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Lors de son passage en Israël, Johnny Hallyday confia regretter de venir si tard dans ce pays, un pays où il aurait pu venir en 1967, lorsqu’il vivait dans la famille de Jean-Pierre Bloch (1905-1999), alors membre du comité directeur de la Ligue internationale contre le racisme et l’antisémitisme (LICRA) et qui en deviendra président, un an plus tard, en 1968.
Johnny Hallyday traînait des tristesses d’enfance et d’adolescence, parmi lesquelles celle d’avoir eu un père plus ou moins collaborateur, avec ce poste que Léon Smet avait obtenu en 1943 grâce à l’appui de son beau-frère d’origine allemande, Jacob Mar, qui travaillait à Radio-Paris, une station contrôlée par l’Occupant. Il faut lire l’interview intitulée « L’Homme en noir » que le chanteur donna à Libération, le 5 mars 2011.
Olivier Ypsilantis