Skip to content

Joe J. Heydecker, un soldat allemand dans le ghetto de Varsovie. Février – mars 1941.

Il y a une quinzaine d’années, alors que je fouillais les étalages et les cartons de Joseph Gibert disposés sur le trottoir du boulevard Saint-Michel, un livre à couverture rigide m’arrêta : «Un soldat allemand dans le ghetto de Varsovie 1941», publié aux Éditions Denoël, en 1986 (avec préface de Heinrich Böll et postface d’Alain Finkielkraut), une édition établie à partir de l’édition allemande publiée chez Deutscher Taschenbuch (München 1983), sous le titre : «Das Warschauer Getto. Foto-Dokumente eines deutschen Soldaten». Et je découvris le nom du soldat allemand qui photographia clandestinement ce ghetto, en février et mars 1941: Joe Julius Heydecker (1916-1997).

 

 

Je ne vais pas exposer ici l’histoire du ghetto de Varsovie (16 octobre 1940 – 16 mai 1943), je vais brièvement évoquer la vie de ce soldat de la Wehrmacht, Joe J. Heydecker,  en commençant par mettre en lien une biographie succincte (en anglais) de sa vie :

Joe J. Heydecker

En complément, quelques éléments biographiques permettront de mieux saisir la valeur des documents dont il va être question. Dès le début de l’année 1933, les parents de Joe J. Heydecker quittent l’Allemagne, mus par un profond malaise. Ils ne sont pourtant  pas menacés pour des raisons raciales ou politiques. Joe J. Heydecker s’installe en Suisse et fait de nombreux voyages dans divers pays d’Europe. Il passe l’année 1937 en Pologne où il travaille essentiellement pour l’entreprise de ses parents, une activité qui l’amène à parcourir le pays, notamment la Galicie et la Volhynie, deux régions à forte population juive. Il écrit à ce sujet : «Mon père et moi, qui pouvions aisément être identifiés comme «Allemands du Reich», étions souvent invités dans des familles juives où nous rencontrâmes une cordialité pleine de tact dont je me souviens avec reconnaissance et mélancolie». De 1933 à 1938, Joe J. Heydecker circule dans un monde encore libre. Son passeport arrivant à expiration et son appel sous les drapeaux n’ayant pu être repoussé, il rentre en Allemagne. Le 27 août 1939, il reçoit son ordre d’appel pour le lendemain. Je passe sur ses affectations diverses. Début 1941, il rejoint la 689e compagnie de propagande à Varsovie, où il travaille dans un laboratoire photographique.

 

Inutile de préciser que Joe J. Heydecker prit ces photographies au risque de sa vie. Et sa femme, Marianne, conserva les négatifs au risque de sa vie. La Gestapo perquisitionna plusieurs fois chez elle. Dans ce travail, le couple bénéficia de la complicité de deux soldats, Köhler et Krause, qui travaillaient eux aussi au laboratoire photographique de la 689e compagnie. La guerre terminée, un officier de l’administration militaire américaine de Bad Liebenstein (Thüringen), où s’était réfugié le couple Heydecker, comprit aussitôt la valeur exceptionnelle de ces documents. Aussi leur délivra-t-il un laisser-passer qui leur permit de quitter la Thuringe pour la Bavière, quelques jours avant la modification de la ligne de démarcation en faveur des Soviétiques. Field Horine, Chief of Section de Radio Munich (de 1945 à 1947) prit connaissance de ces documents et demanda à leur auteur de prendre la parole sur les ondes pour y évoquer le ghetto de Varsovie, ce qu’il fit quelques jours plus tard, le 4 novembre 1945. Field Horine envoya Joe J. Heydecker à Nuremberg afin qu’il couvre pour la radio le procès auquel il assista du début (20 novembre 1945) à la fin (1er octobre 1946). Il en fera un livre : «Der Nürnberger Prozess», traduit en français aux Éditions Buchet/Chastel, 1959. Fin 1960, l’auteur s’installa au Brésil avec sa famille.

 

Dans un texte qui accompagne le recueil de photographies aux Éditions Denoël, l’auteur note : «On est en droit de me demander pourquoi je faisais cela. Je dirai d’abord que je n’ai jamais pris de photographies à titre officiel en tant que membre d’une compagnie de propagande. Je travaillais au laboratoire et n’étais pas reporter. Je photographiais de ma propre initiative et à mes risques, sans en avoir reçu l’ordre. Je ne parviens malheureusement pas à décrire ce que je ressentais alors. J’étais déchiré par des sentiments de honte, de haine et d’impuissance. Je souhaitais ardemment une défaite totale et rapide de l’Allemagne, mais je savais que ce serait long. Je photographiais pour fixer l’infamie, pour conserver le cri que j’aurais voulu lancer au monde. Je ne puis en dire plus. Si je suis coupable, c’est que j’étais là et photographiais au lieu d’agir. Question lâche : qu’aurais-je pu faire ? Quelque chose. Tuer une des sentinelles d’un coup de baïonnette. Tourner ma carabine contre mes supérieurs. Déserter et combattre de l’autre côté. Refuser de servir. Faire du sabotage. Ne pas obéir aux ordres. Accepter la mort. Personne, c’est ainsi que je le vois aujourd’hui, personne ne peut nous absoudre».

 

Il écrit aussi : «Rétrospectivement, je ne comprends plus la résolution avec laquelle je me lançai dans cette aventure. Aujourd’hui je sais (ce que j’ignorais alors, en 1941) qu’il y avait en permanence dans le ghetto des agents de la Gestapo, du S.D. et de la S.S., certains en civil. Une témérité naïve dont je suis à présent dépourvu me poussa dans cette aventure. Mais il y avait aussi en moi cette crainte qu’un jour personne ne puisse croire à ce que j’avais vu. C’est ainsi que naquirent la plupart des photographies que je présente dans ce livre». Et plus loin : «La plupart des gens que j’ai vus dans les rues et les ruelles du ghetto bondé étaient déguenillés, et il faudrait multiplier par des dizaines de milliers ceux que j’ai photographiés vêtus de chiffons, accroupis, allongés ou endormis sur les trottoirs, gémissant, suppliant qu’on leur fasse l’aumône. Ils attendaient en vain, les pieds enveloppés dans de vieux sacs, le regard affamé, les joues creuses, sans abri contre le froid. L’aspect des enfants avait quelque chose de déchirant. Je m’accroupis auprès de l’un d’eux. Il me raconta qu’il avait chanté des chansons toute la journée. Je comptai les pièces de monnaie dans le bonnet qui lui servait de sébile : vingt-six groszy, au cours du change de l’époque, treize pfennig. Cinq années après, lorsque j’ai parlé à la radio, j’ai dit  : ‘’Les prix des denrées de première nécessité étaient vertigineux. Si l’on convertit en monnaie allemande, un pain se payait deux cents marks, une paire de chaussures en bon état deux mille marks, une livre de viande de bœuf six cents marks. De nombreux Juifs se suicidaient. Une dose de cyanure de potassium se vendait quatre mille marks’’».

* * *

Un autre soldat de la Wehrmacht, Max Kirnberger, prit des photographies en couleur (rares à l’époque) dans des ghettos de Pologne, principalement Lublin, au début de la Deuxième Guerre mondiale. Ci-joint, en lien, des documents d’une extraordinaire valeur, considérant que le monde juif de Pologne allait être anéanti peu après :

http://www.tnn.pl/pamiej.php?kat=2622 (parvenu sur le site, cliquer sur «Photos documenting life in the Lublin ghetto», en petit sous l’étoile de David, puis sur HERE (en rouge) dans «Click HERE to see gallery». Vous ferez alors glisser sur votre écran dix-neuf photographies d’une qualité exceptionnelle.

 

Leave a Reply

Your email address will not be published. Required fields are marked *

*