A Horst Faas (1933-2012) qui couvrit la guerre du Vietnam, de 1962 à 1974, et qui plus que tout autre photographe de guerre sut montrer la souffrance des enfants.
Je me souviens de l’enfant du ghetto, l’une des plus célèbres photographies de l’Histoire avec la mort du milicien saisie par le Leica de Robert Capa, au cours de la Guerre Civile d’Espagne, en 1936. Je me souviens que ces deux photographies recèlent chacune un mystère, qu’elles ont suscité et suscitent encore une polémique, ce qui n’ôte rien à leur pertinence, à leur qualité de photographies emblématiques. Je me souviens que la première photographie porte en légende : ‟Ghetto de Varsovie, 1943”. A-t-elle bien été prise dans le ghetto de Varsovie ? Le chercheur à Yad Vashem Israël Gutman en doute. Je me souviens que parmi ceux qui affirment être cet enfant figure un certain Tsvi C. Nussbaum.
Je me souviens d’une autre photographie non moins emblématique, le ‟Fusillé souriant”. Elle m’a longtemps semblé irréelle, impossible, jusqu’au jour où, au hasard de la presse, je pris connaissance de l’enquête menée par un certain Christophe Grudler. J’appris que cette scène avait été un simulacre destiné à faire craquer le résistant, Georges Blind, qui mourra en déportation :
Dans les fossés du château de Belfort, le 24 octobre 1944. Lire l’enquête de Christophe Grudler : ‟Le fusillé souriant, histoire d’une photo.”
Je me souviens de Francesc Boix Campo, le photographe du KZ Mauthausen, le camp des Spanischen.
Je me souviens de l’Allemand Horst Faas, le photographe de guerre pour lequel j’ai le plus grand respect et la plus grande tendresse. Pourquoi cette tendresse et ce respect particulier ? Pourquoi lui plus que les autres ? Parce qu’aucun photographe de guerre n’a autant montré la souffrance des enfants, aucun ! Je ne sais où j’ai vu cette image pour la première fois, mais elle ne m’a jamais quitté, comme tant d’autres images prises par cet homme décédé le 10 mai 2012, à Munich, à l’âge de soixante-dix-neuf ans. Et je pense en particulier à ces enfants en pleurs (dont une petite fille nue) fuyant sur une route asphaltée un bombardement au napalm mené par des Sud-Vietnamiens qui s’étaient trompés d’objectif ! Mais j’en reviens à la photographie par laquelle j’ai découvert l’œuvre de Horst Faas :
Je me souviens d’Eddie Adams, en particulier de cette photographie qui montre le chef de la police nationale, le brigadier général Nguyễn Ngọc Loan, exécutant le Viêt-Cong Nguyễn Văn Lém, à Saigon, le 1er février 1968, au cours de l’offensive du Têt. Je ne savais pas que cette exécution s’était faite devant tant de journalistes. Il me semble, une fois encore, que j’ai découvert ce document dans Paris-Match dont le slogan était ni plus ni moins : Le poids des mots, le choc des photos. Cette photographie m’a épouvanté plus que tout autre photographie non moins angoissante de cette guerre. Pourquoi ? J’étais enfant et je portais alors une chemise à carreaux identique à celle du supplicié, je me vis à sa place ; mais surtout, je n’avais jamais vu un homme abattu ainsi, d’une balle dans la tempe. Je pensais alors qu’on ne pouvait que tuer de face, noblement. Cette mort infligée de côté, d’un coup dans la tempe, me sembla particulièrement humiliante. L’enfant que j’étais ne tarda pas à apprendre qu’on pouvait aussi tuer d’une balle dans la nuque. Mon père me parla de Katyń et des méthodes du NKVD. Ci-dessous, la mort en direct de Nguyễn Văn Lém :
Cette image qui recouvre une réalité fort complexe devint une icône du mouvement pacifiste. Eddie Adams s’en excusa auprès de Nguyễn Ngọc Loan, alors très gravement blessé et auquel il rendit visite à l’hôpital. En dépit de l’horreur de cette image, il n’y avait pas d’un côté le parfait bourreau et de l’autre la victime parfaitement innocente. Mais écoutez Eddie Adams :
http://www.youtube.com/watch?v=Bv11KilBpHQ
Je me souviens de cette photographie prise par je ne sais qui. Elle figure souvent dans les recueils iconographiques dédiés à la 2eDivision Blindée, la Division Leclerc. Mon père me l’a commentée au moins une fois. Elle montre un homme qui va être tué le jour même, par un éclat d’obus ; cet homme (de face), le lieutenant-colonel de La Horie. Nous sommes le 18 novembre 1944, à Badonviller. Le lendemain, son frère, mon oncle donc, engagé dans le secteur, s’effondrait dans son char, très gravement blessé. Cette image me dit mon père que je revois lisant, calé dans un fauteuil, ‟L’Escadron, carnets d’un cavalier” du capitaine Branet. Le capitaine Branet figure au centre de l’image, de profil. Il fut blessé par le tir allemand qui tua son supérieur. Et c’est cette photographie qui figure sur le livre en question, publié chez Flammarion, en 1968 :
Je me souviens de Manel Armengol. Il me semble que la plus reproduite de ses photographies (dans la presse espagnole, tout au moins) montre la policía armada (surnommée los grises, à cause de la couleur des uniformes) réprimant une manifestation sur le Paseo de Sant Joan, à Barcelona, en 1976, peu après la mort de Franco donc. Je me souviens que le vieux manifestant, au milieu du paquet de manifestants accumulés sur la chaussée et cernés par les matraques, me fit penser à Sigmund Freud.
Je me souviens d’Agustí Centelles. Il se réfugia en France en 1939 avec une valise contenant des milliers de négatifs de l’Espagne années 1930, en particulier de la Guerre Civile, une valise qu’il récupéra peu après la mort de Franco. Je me souviens plus particulièrement de cette photographie qui montre George Orwell à Barcelone, dans la Caserne Lénine, alors que l’écrivain vient de s’engager dans les rangs du Partido Obrero de Unificación Marxista (P.O.U.M.). Je me souviens d’une autre photographie avec des cadavres de chevaux encore harnachés qui servent de barricade, des Républicains en uniforme qui ajustent leurs fusils et, sur le côté, d’un civil en costume qui pointe timidement un petit pistolet semblable à celui que m’offrirent mes parents dans une panoplie de cowboy :
Plus je détaille cette image plus je me dis que son équilibre tient en partie à cette caisse en bois (probablement une caisse de munitions) placée à la verticale comme élément de la barricade.
Je me souviens de l’Américain James Nachtwey, une œuvre immense que je découvre au gré de consultations de la presse, des images de souffrance qui me conduisent aussi vers l’Anglais Don McCullin et le Brésilien Sebastão Salgado.
Je me souviens de Hermes Pato, en particulier de cette photographie prise le 16 décembre 1939, à Paracuellos del Jarama, dans les environs de Madrid. Paracuellos del Jarama, une série de massacres perpétrés par les Républicains, fin 1936, au cours de la bataille de Madrid. Ci-dessus, les restes de victimes sont exhumées par des Nationalistes, peu après la fin de la Guerre Civile (juillet 1936 – avril 1939). On reconnaît des cercueils numérotés de 182 à 189 :
Une fois encore, je me souviens de la maleta mexicana et des trois amis : Gerda Taro, Robert Capa et Chim.
Je me souviens…