Écrit dans un village d’Espagne, le 23 mai 2021.
Portugal
Je me souviens du pavé de Lisbonne, bien sûr. Je me souviens qu’au cours de la pandémie l’herbe se mit à pousser entre les pavés ; et j’ai pensé à « Wood’stown » d’Alphonse Daudet.
Je me souviens quand dans l’estuaire du Tejo la brume ne laissait que les parties hautes du pont du 25 de Abril et le Cristo Rei.
Je me souviens des tramways de Lisbonne, bien sûr, généralement jaunes. Je me souviens plus particulièrement de l’Eléctrico 28, Martim Muniz – Prazeres.
Je me souviens que dans le Cemitério dos Prazeres – le Cimetière des Plaisirs ! – le mot Saudade était très présent et diversement décliné.
Je me souviens que plus d’une fois en longeant des vieux murs de Lisbonne et en y surprenant une odeur d’humidité je me suis souvenu de Prague.
Je me souviens de la gare bleue, Santa Apolónia, et de départs vers le nord.
Je me souviens d’un très grand nombre d’ex-voto autour de la statue du Dr. Sousa Martins.
La statue de José Tomás de Sousa Martins sur Campo dos Mártires da Pátria, Lisbonne.
Israël
Je me souviens d’un été dans le Néguev, de petits matins déjà aveuglants, du bonheur de la douche après ces heures passées à mettre de l’ordre dans les hangars d’une immense base de Tsahal.
Je me souviens d’un hiver dans un kibboutz du Golan, de la pureté que mettait partout le froid et jusque dans les lointains, en Syrie.
Je me souviens du sable de Tel Aviv, je me souviens de sa lumière et de sa finesse. J’en ai un flacon sur une étagère de ma bibliothèque, à Lisbonne.
Je me souviens des alertes à Tel Aviv ; c’était en 2014. Lorsque les sirènes retentissaient alors que je marchais sur le front de mer, j’hésitais. Me diriger vers un abri, calmement (je n’ai jamais noté autour de moi la moindre précipitation), poursuivre ma promenade (comme d’autres), me coucher dans le sable sans pour autant y creuser un trou ou bien nager vers le large ?
Je me souviens de levées des couleurs sur des bases de Tsahal et de mon plaisir à saluer le drapeau d’Israël avec, en son centre, ce symbole parfait.
Je me souviens que je me suis toujours senti bien sous l’uniforme de Tsahal.
Je me souviens d’une averse sur Tel Aviv et de mon bonheur à consulter derrière les vitres d’un café des documents dégotés chez un bouquiniste de la ville, dont une carte postale en noir en blanc montrant la baie de Volos dont il avait été si souvent question dans des souvenirs de famille.
Un bouquiniste de Tel Aviv
Espagne
Je me souviens des cerisiers en fleurs du Valle del Jerte.
Je me souviens de ces promenades où il nous suffisait de tendre la main pour être servi par des arbres. De fait, nous faisions un repas tout en marchant.
Je me souviens de la page blanche devant des paysages qui me laissaient sans mots.
Je me souviens des churros et de l’horchata de chufa.
Je me souviens d’instants où je me suis vu dans une composition d’Antonio López García.
Je me souviens de marche sous la pluie dans les huertas de Valencia et de Murcia, et du parfum de l’azahar sous la pluie.
Je me souviens des ruines de Belchite sous une pleine lune froide.
Une vue partielle du Pueblo Viejo de Belchite
Canada
Je me souviens du mot pitoune, soit une bille de bois qui flotte vers la scierie mais aussi une jolie fille. Je me souviens que c’est par cette deuxième signification que j’ai appris ce mot.
Je me souviens cette belle expression (particulièrement éloquente) : Il pleut à boire debout.
Je me souviens que « blonde » désigne une « petite amie » qui peut ne pas être blonde ; d’où mon étonnement, la première fois, lorsque je vis arriver une brune. Je me souviens de « tomber en amour » et de « chum ».
Je me souviens de ma surprise lorsque j’entendis pour la première fois le mot « poutine ». Je ne compris pas vraiment ce que Vladimir venait faire dans notre affaire.
Je me souviens des St-Hubert et des Couche-Tard.
Je me souviens des Juifs hassidiques d’Outremont (habillés tout en noir) dans des perspectives de neige.
Je me souviens de Je me souviens, au fronton de l’hôtel du Parlement de Québec et, surtout, sur les plaques d’immatriculation.
Je me souviens de la série télévisée « Les Bougon, c’est aussi ça la vie ! »
Je me souviens des Grecs de l’avenue du Parc, à Montréal.
Je me souviens d’un été indien dans le nord du Québec. Été indien ? Je me souviens bien sûr de la voix chaude du cher Joe Dassin mort si jeune qui chantait … C’était l’automne, un automne où il faisait beau / Une saison qui n’existe que dans le Nord de l’Amérique / Là-bas on l’appelle l’été indien …
Je me souviens du dépanneur, et ce n’était pas pour la voiture… Je me souviens de ce beau mot qui me semblait médiéval et qui dans mon imaginaire reste associé à hennin, tournoi, troubadour et j’en passe, et qui revenait dès que nous nous arrêtions pour prendre une boisson : breuvage.
Je me souviens de la Côte-des-Neiges sous la neige.
Je me souviens de la pierre grise de Montréal, des écureuils de ses parcs, des cabanes à sucre et des érablières, des pommes de l’Île d’Orléans et des pêches de l’Ontario, de la chute Montmorency, de la bière Boréale (je m’en souviens pour son nom et son ours boréal car je n’aime pas la bière, cette boisson qui abrutit et donne une irrépressible envie de pisser), de l’art inuit au Musée des Beaux-Arts de Montréal ainsi que des grandes compositions au couteau à palette de Jean-Paul Riopelle, des bélugas de l’embouchure du Saint-Laurent, de canotage dans les Laurentides, de la Bouquinerie Saint-Denis, du zoo sauvage de Saint-Félicien, des installations pour Halloween avec sorcières victimes d’accidents de balais…
Je me souviens de chaussures accrochées par les lacets à la tombe de Félix Leclerc, sur l’Île d’Orléans, hommage à l’auteur de « Moi, mes souliers », Moi, mes souliers ont beaucoup voyagé… Et puisqu’il est question des souliers, je me souviens bien sûr des « Souliers verts » de Lynda Lemay, paroles et diction hallucinées.
Lynda Lemay
Olivier Ypsilantis
Pingback: Ypsilantis. Je me souviens de quatre pays - Tribune Juive
Cher Olivier
Merci pour ces évocations.
On pourrait dire de chaque ville et de chaque pays ce que disait Agnon de Jérusalem:
“Jérusalem ne se découvre qu’à ceux qui l’aiment”
Mais sans doute certaines villes se laissent découvrir et aimer plus facilement que d’autres… Jérusalem exige un amour constant et une fidélité sans faille. On ne peut l’aimer que d’un amour “conjugal”.
Amitiés
Pierre