Derrière le 7 octobre 2023 se profile la silhouette de l’Iran qui observe depuis quelque temps et avec inquiétude le rapprochement entre Israël et les pays arabes, Arabie Saoudite en tête. Il me semble que ce rapprochement est au cœur de l’imbroglio. D’autres éléments s’y agglomèrent bien sûr, mais en toile de fond se profile avec précision la silhouette de l’Iran.
Il ne s’agit pas de prendre la défense de l’Iran et son régime, en aucun cas, mais de proposer quelques perspectives où respirer. Tout d’abord, et ainsi que je l’ai souvent écrit, la sensation d’encerclement qu’éprouve l’Iran explique en grande partie son agressivité et ses manœuvres diverses. Cette sensation d’isolement (réelle ou non mais éprouvée) est à l’origine de bien des conflits, de leur extension et de leur prolongation. Un exemple ; au cours de la guerre du Vietnam, c’est une double sensation d’encerclement qui est vécue par les protagonistes : le Vietnam se voit cerné par la Chine (l’ennemi héréditaire il est vrai) et son allié le Cambodge, le Cambodge se voit cerné par l’U.R.S.S. et son allié le Vietnam. Bref, tout le monde se voit cerné, ce qui active une détermination particulière de la part de tous les protagonistes.
J’en reviens à l’Iran. Sensation d’isolement d’un pays très majoritairement chiite cerné par un monde très majoritairement sunnite, d’un pays non-arabe (les Arabes y constituent une minorité, environ 5 % de la population du pays) entouré d’Arabes, au moins sur ses frontières occidentales. L’Arabe y est toujours considéré comme l’envahisseur, un envahisseur par ailleurs plutôt méprisé. A cette sensation d’isolement (forces centripètes) s’ajoute la crainte d’un éclatement du pays (forces centrifuges), un pays composé de diverses ethnies dont certaines inquiètent Téhéran, comme les Baloutches.
Que le lecteur n’aille pas s’imaginer que je chercher à disculper le régime iranien sous un vernis de références. Je suis sioniste et j’approuve pleinement l’action d’Israël dans la bande de Gaza. L’Iran est un danger et pour l’heure il s’agit de neutraliser les pièces qu’il avance sur l’échiquier, au Moyen-Orient, au Proche-Orient et partout ailleurs. Parmi ses pièces : le Hamas, le Hamas qui n’est pas exclusivement l’enfant de l’Iran dont les relations avec les Frères musulmans se sont par ailleurs compliquées depuis plusieurs années, notamment suite à la guerre en Syrie.
Le régime iranien n’est pas le monolithe qu’il semble être et il est plus fragile qu’il n’y paraît. Des changements internes s’y opèrent fréquemment. Il est vrai qu’ils sont subtils et difficiles à suivre avec précision. Les oppositions au régime iranien basées à l’étranger connaissent-elles avec précision les tensions plus ou moins marquées au sein de l’appareil du pouvoir iranien, des tensions par ailleurs très mobiles ?
L’Iranien porte en lui un immense passé pré-islamique d’où une bonne part de sa force issue d’un espace mental immense. L’Arabe est enfermé dans sa culture islamique. Il n’était rien avant l’islam. Malgré ces temps de violence qui nous acculent au désespoir, je reste confiant et sans naïveté : c’est avec l’Iran qu’Israël saura nouer des relations durables et fécondes et en aucun cas avec les Arabes. Pourquoi ? Pour bien des raisons, mais d’abord parce que les Juifs et les Iraniens sont porteurs d’antiques prestiges, qu’ils peuvent se regarder les yeux dans les yeux sans qu’interfèrent ces sentiments responsables de (presque) tous les maux : complexe de supériorité et complexe d’infériorité, souvent mêlés l’un à l’autre et dans des proportions variables. Israël et l’Iran n’ont par ailleurs jamais été en guerre, il ne saurait donc y avoir de relation vainqueur / vaincu, une relation qui envenime les relations entre Israël et le monde arabe, ce dernier ne parvenant pas à admettre d’avoir été étrillé par des dhimmis. L’Iran n’a aucun compte à régler avec Israël. Sa rhétorique guerrière est essentiellement destinée à mettre fin à un relatif isolement en commençant par agréger le monde musulman et chapeauter les Arabes. Les Iraniens étant par ailleurs plus fins joueurs que les Arabes, il convient de se méfier d’eux et de ne faire preuve d’aucune naïveté, autrement dit de s’efforcer de jouer encore plus finement qu’eux et toujours avec un doigt sur la gâchette.
Israël, ce tout petit territoire inséré dans l’immense aire arabe irrite le monde arabe qui ne rêve que de rectifier la carte et d’en finir avec cet irréductible réduit. C’est l’histoire de ce village cerné par l’Empire romain, histoire rapportée dans les albums d’Astérix le Gaulois. Le père d’Astérix, René Goscinny le Parisien, était un Juif ashkénaze.
Pour le régime iranien, Israël n’est qu’un prétexte ; il a compris que le seul nom « Israël » est un cri de ralliement, haro sur Israël ! Dénoncer Israël est le meilleur moyen pour l’Iran de mettre fin à son isolement, au moins momentanément, car rien n’est jamais définitivement gagné. L’Iran agit contre Israël par opportunisme, rien à voir avec les Arabes qui ont des comptes à régler avec ce pays qui s’est installé « chez eux », qui s’est opposé à leurs tentatives d’en finir avec lui et qui les a repoussés.
L’actuel régime iranien est issu de la Révolution islamique (1979) mais il s’est fortifié et probablement maintenu grâce à la guerre Irak-Iran (1980-1988). Autrement dit, je ne suis pas certain que ce régime se serait maintenu sans cette très longue guerre qui a enkysté ce régime dans l’ensemble de la société iranienne.
Je me permets d’insister au risque de passer pour un agent au service du régime iranien. Il ne s’agit pas de baisser la garde ; j’ai toutefois cet espoir – un espoir qui n’est pas enfermé pas en lui-même – que le monde se réorientera vers un horizon apaisé où Israël et l’Iran sauront établir une entente et une collaboration durables (et non de circonstance) fondées sur une histoire et un prestige millénaires. La relation entre l’Iran et Israël est à présent l’un des principaux pivots du monde.
Je risque d’être pris pour un illuminé ou un agent de l’Iran. Il n’en est rien. Je ne cesse au fil de mes articles d’évoquer l’histoire et la culture juives pour lesquelles j’ai un profond intérêt et depuis que je suis en âge de lire ou presque. Je ne prétends pas lire l’avenir par la cartomancie ou la cafédomancie. Je ne consulte aucune voyante, aucune pythie et je m’efforce de ne pas prendre mes désirs pour des réalités. J’observe, j’interroge, j’écoute, je lis, je prends des notes, je m’efforce de rester attentif et de vérifier mes sources, bref, je m’efforce de me porter au-delà de cette actualité fermée sur elle-même et telle que nous la présentent les médias de masse.
Dans un article écrit par un Iranien et intitulé « Hamid Enayat. Le fondamentalisme islamique en opposition à la paix mondiale », publié sur Tribune juive (le 6 janvier 2024), je relève ce passage : « C’est uniquement grâce à l’existence du régime du Leader Suprême en Iran que le fondamentalisme islamiste a pu se transformer en une nouvelle menace mondiale. Maryam Rajavi, la dirigeante de l’opposition iranienne, estime que le danger du fondamentalisme et de l’ingérence dans les pays régionaux est cent fois plus dangereux que l’acquisition d’une bombe atomique. Le carnage laissé par la guerre à Gaza est l’une des conséquences désastreuses du fondamentalisme dans la région. » Cette remarque m’a particulièrement retenu car elle ne diffère pas de l’analyse que je fais dans mon coin depuis des années. A ce propos, on n’écoute pas assez l’opposition iranienne, les oppositions iraniennes. On préfère vitupérer le régime sans toujours écouter celles et ceux qui le dénoncent en analysant ses spécificités. Dans l’extrait que je viens de mentionner, la déclaration de Maryam Rajavi me semble particulièrement pertinente. Par ailleurs, le rôle du Guide Suprême ainsi décrit tient à la structure particulière du chiisme que l’on compare à l’occasion à celle de l’Église catholique, une structure pyramidale qui confère une grande puissance mais qui a également ses faiblesses, comme toute structure pyramidale.
La guerre Irak-Iran (1980-1988) a permis au régime issu de la Révolution islamique (1979) de conforter son pouvoir et de l’étendre, une guerre qui, rappelons-le à tout hasard, n’a pas été déclenchée par l’Iran mais bien par l’Irak de Saddam Hussein qui espérait profiter du désordre en Iran pour élargir sa fenêtre maritime sur le Chatt al-‘Arab. Cette guerre qui a fait au total plus d’un million de morts est encore très présente en Iran, dans la mémoire collective de ce pays, présente comme l’a été la Première Guerre mondiale en France.
Lorsque je me suis rendu en Iran, j’ai été frappé par plusieurs choses. Tout d’abord la présence des femmes dans l’espace public, dans les rues, avec la manière particulière qu’avait chacune d’elles de porter le foulard. Nombre d’entre elles le portaient d’une manière peu orthodoxe, rejeté vers l’arrière, des foulards aux couleurs souvent vives. Le regard de ces femmes m’a impressionné, vif, pénétrant, direct. Je me suis dit (ce que je savais déjà) que les femmes auront un rôle déterminant dans l’histoire de ce pays et la chute du régime. En Iran les études sont grandement estimées et les femmes sont majoritaires dans l’enseignement supérieur (leur pourcentage tend vers les 70 %), ce qui pourrait en partie expliquer le taux de natalité relativement faible dans ce pays musulman, contrairement à presque tous les autres pays musulmans et notamment arabo-musulmans où les femmes ne semblent destinées qu’à la procréation. En Iran le taux de fécondité est aujourd’hui d’environ 1,70.
Autres impressions retirées de ce voyage (liste non exhaustive). L’accent mis sur le passé pré-islamique du pays. J’ai pu observer à Persépolis des groupes considérables d’enfants accompagnés de leurs institutrices et instituteurs. Je revois en particulier un groupe d’écolières et d’écoliers devant le bas-relief de l’escalier qui mène à l’Apadana, un groupe extraordinairement attentif aux explications de leur institutrice. Je revois aussi ces assez nombreuses représentations dans l’espace public de visages de Cyrus le Grand et de son tombeau à Pasargades. Chez les Saoudiens, les fouilles archéologiques sont étroitement surveillées car il faut cacher tout ce qui est pré-islamique, soit juif ou chrétien.
J’ai également surpris de la sympathie chez des Iraniennes et des Iraniens avec lesquels j’ai pu parler, au hasard de rencontres. Toutes et tous (des jeunes pour la plupart) m’ont dit leur sympathie pour Israël et le monde juif. Nombre d’entre eux espéraient se rendre un jour en Israël, « un pays stimulant et plein d’intelligence » selon leurs mots. Je n’ai jamais surpris une telle sympathie dans le monde arabe, sauf avec quelques-uns chez lesquels j’ai deviné des Berbères, ce qu’ils m’ont confirmé.
J’ai le sentiment depuis bien des années que l’avenir du monde repose en grande partie sur une relation renouvelée entre Israël et l’Iran, deux pays qui n’ont jamais été en guerre et qui partagent bien des prestiges. Les relations entre l’Iran et Israël (des relations qui ne sont pas destinées à s’enfoncer indéfiniment dans la violence) sont l’un des pivots du monde ; et malgré le découragement qui m’assaille trop souvent, je reste convaincu qu’Israël et l’Iran libre noueront dans un avenir pas si lointain des relations fécondes entre toutes. Vive Israël ! Vive l’Iran libre !
Olivier Ypsilantis