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Israël en Angola ?

 

Ci-joint un lien en portugais, un extrait du livre d’Esther Mucznik : « A Grande Epopeia dos Judeus no Século XX ». J’en propose une traduction portugais-français. Cet extrait a pour titre : « Quando o estado de Israel esteve para ser fundado em Angola » :

http://visao.sapo.pt/actualidade/mundo/2017-05-26-Quando-o-estado-de-Israel-esteve-para-ser-fundado-em-Angola

 

 

Israel Zangwill (1864-1926)

 

Quand l’Organisation juive territorialiste se mit en quête de possibles espaces pour une implantation, l’Angola (plus précisément le Planalto de Benguela) était l’un des projets favoris. Il fut même approuvé par le Sénat portugais en 1913 mais resta sur le papier, ainsi que le rapporte Esther Mucznik dans son livre « La Grande Épopée des Juifs au XXème siècle » (A Grande Epopeia dos Judeus no Século XX). Les quelques remarques en gras sont miennes.  

Le septième Congrès sioniste se tient en 1905. Les recherches pour une possible implantation juive se poursuivent. Le projet Ouganda est analysé et repoussé, le territoire attribué aux Juifs étant à peine suffisant pour accueillir vingt mille personnes, un nombre insignifiant en regard des nécessités que pourraient avoir des centaines de milliers de Juifs, principalement russes. Ainsi, le Congrès sioniste dans lequel prédominent les Amants de Sion – parmi lesquels Chaïm Weizmann, l’artisan de la Déclaration Balfour (1917) et futur premier Président de l’État d’Israël – rejette le projet Ouganda. [Il me semble qu’il y a une erreur dans le texte portugais et que « Sionistas de Sião » devrait être remplacé par « Amantes de Sião ».] Pour ces Juifs russes aucune terre ne peut remplacer la terre ancestrale. Par ailleurs, le Congrès sioniste n’est pas unanime. Une importante minorité conduite par l’écrivain Israël Zangwill défend la nécessité immédiate d’un territoire juif autonome, et peu importe l’endroit. Israël Zangwill quitte l’Organisation sioniste mondiale, en 1905, et fonde l’Organisation juive territorialiste dont le siège est à Londres. Avec la Déclaration Balfour qui rendra plus tangible la perspective palestinienne, nombre de ses membres intègreront l’Organisation sioniste mondiale. Mais ce n’est qu’en 1925 que l’Organisation juive territorialiste ayant perdu sa raison d’être sera dissoute.

En 1905, la Palestine n’est encore qu’une possibilité lointaine et l’Organisation juive territorialiste s’efforce de trouver des espaces où organiser une implantation juive. L’Angola est l’un de ces espaces, plus précisément le Planalto de Benguela. L’intérêt de Juifs pour les territoires coloniaux portugais remonte à 1886. Abraham Anahory, notable juif de Lisbonne, avait proposé l’Angola, plus précisément la zone des planaltos (hauts-plateaux), comme destination possible pour une immigration juive d’importance. Dans le Bulletin N.°1 (1912) de la Communauté israélite de Lisbonne qui vient d’être officiellement reconnue par le régime républicain, José Benoliel, écrivain et directeur de ce Bulletin, précise que par l’intermédiaire d’Abraham Anahory, il prendra personnellement contact avec le vicomte d’Ouguela et avec l’Alliance Israélite Universelle afin de « profiter de la prochaine venue du baron de Rothschild à Lisbonne dans l’espoir d’améliorer par sa gracieuse intercession la situation des Israélites portugais qui de certains points de vue laisse beaucoup à désirer » et de « promouvoir la venue au Portugal de groupes d’Israélites russes ou roumains ». Leur destination serait l’Angola. José Benoliel ajoute que pour des raisons qui lui restent inconnues, l’Alliance Israélite Universelle ne soutient pas le projet.

 

Carte topographique de l’Angola

 

En 1903, Theodor Herzl avait rencontré le représentant portugais à Vienne, le comte Paraty, afin d’étudier la possibilité d’établir une colonie juive au Mozambique, un initiative qui elle aussi était restée sans lendemain. Il faudra attendre le changement de régime en 1910 (voir la Révolution du 5 octobre 1910 qui marque l’avènement de la République au Portugal) pour que le projet Angola soit envisagé plus sérieusement.

[Je me perds un peu dans cette histoire. Concernant les démarches de Theodor Herzl, il est tantôt question de l’Ouganda, tantôt du Kenya et à présent du Mozambique (?!). Le lien ci-dessous s’intitule « 1903: Herzl Proposes Kenya (Not Uganda) as a Safe Haven for the Jews ». Quant au Mozambique, je ne sais d’où Esther Mucznik tire son information.] : http://www.haaretz.com/jewish/this-day-in-jewish-history/1.672878

Dans le Bulletin de 1912 dont il vient d’être question, le principal soutien de ce projet, Wolf Terlö (Juif russe né à Odessa en 1877 il s’installera au Portugal), rapporte que cette idée commença à germer en 1905, à Coimbra, alors qu’il travaillait pour la Repartição Central de Agricultura (je préfère laisser cette désignation dans l’original). Il était impliqué dans les projets vinicoles du baron Maurice de Hirsch en Palestine. Il s’était rendu à Bordeaux pour se spécialiser en œnologie, après avoir obtenu un contrat de travail au Portugal. Il tenait un commerce rue São Nicolau, à Lisbonne, pompeusement intitulé Maison de commerce russe (en français dans le texte) où il vendait des vins et des produits chimiques. A Coimbra, il fit connaissance de diverses personnalités de son milieu, parmi lesquelles l’historien Joaquim Mendes dos Remédios qui (je cite Wolf Terlö) « apprenant que j’étais israélite russe s’entretint longuement avec moi au sujet du judaïsme, de la décadence scientifique et financière du Portugal suite à l’expulsion des Juifs, et des avantages qu’il y aurait à les faire revenir dans ce pays ».

Peu après la proclamation de la République, en décembre 1910, Wolf Terlö entra en contact avec José Relvas, ministre des Finances du Gouvernement Provisoire, au sujet de « la colonisation par les Israélites des possessions portugaises d’Afrique ». L’idée aurait été bien accueillie ; et, conjointement avec Alfredo Bensaúde, minéralogiste et professeur à l’Instituto Industrial e Comercial, ils soumirent leur idée en premier lieu à l’avocat José d’Almada, fonctionnaire au Ministère des Colonies, puis, sous forme de projet de loi, à Manuel de Brito Camacho, directeur du quotidien A Luta, alors le plus influent des journaux républicains qui deviendra l’organe officieux du Partido Unionista (également connu sous l’appellation Partido da União Republicana). Manuel de Brito Camacho était médecin et fut député et ministre du Développement du Gouvernement Provisoire, des fonctions par le truchement desquelles il soumettra le projet de réforme de l’Instituto Industrial e Comercial à Alfredo Bensaúde, projet à l’origine de l’Instituto Superior Técnico.  

Wolf Terlö lance une énergique campagne d’information dans des journaux influents comme O Século ou A Capital pour faire connaître le projet de colonisation du Benguela (province de l’Angola, sur l’Atlantique). Il entre en contact avec José Norton de Matos, gouverneur d’Angola, et Constancio Roque da Costa, secrétaire général du Ministère des Affaires Étrangères, ainsi qu’avec des membres de la communauté israélite, notamment Salvador Levy et Jacob Levy Azancot, l’un et l’autre propriétaires en Afrique. L’idée fait son chemin et, fin janvier 1912, un auteur anonyme défend dans le journal O Século la colonisation du Planalto de Benguela par des Juifs en provenance de Russie : « La colonisation des hauts-plateaux d’Angola est indispensable au maintien de notre prédominance dans ces régions ; et la manière la plus efficace de ne pas engager l’argent de l’État est d’y faire venir ces émigrants juifs russes qui actuellement enrichissent la Turquie et l’Amérique ».

Le 23 janvier 1912, Wolf Terlö informe l’Organisation juive territorialiste de ses efforts et le 1er février 1912 un projet de loi est présenté par le député Manuel Bravo à la Chambre des Députés qui l’approuve le 26 février. Ce projet prévoit la concession de soixante à cent hectares de terres aux immigrants israélites (par immigrant je suppose) qui pour bénéficier des avantages offerts par la loi devront entreprendre les démarches nécessaires auprès du ministre des Colonies au cours des deux années qui suivront leur arrivée. La propriété exclusive des terres leur reviendra après dix années de culture ininterrompue, avec exonération de tout d’impôt nouveau ou additionnel durant vingt ans.

Approuvé dans ses grandes lignes, le Projet Bravo (du nom de son auteur) est soumis sans tarder à une Commission Coloniale de sept membres, parmi lesquels Amílcar Ramada Curto qui sera son rapporteur, « un jeune député, très énergique, d’origine israélite qui défendra brillamment le projet devant la Chambre, projet dont il était enthousiaste ». Dans son livre « L’Invasion des Juifs », l’intégriste Mário Saa affirme que comme une bonne partie des députés, Amílcar Ramada Curto est un cristão-novo (terme par lequel on désignait au Portugal et en Espagne les Juifs convertis au christianisme) et il va jusqu’à suggérer au rabbin Samuel Mucznik de faire « l’éducation de ses fils dans la synagogue ». Par le contrôle du constitutionnalisme, ajoute Mário Saa, les Juifs s’emparèrent progressivement des finances, de la médecine, du baccalauréat (je suppose que par bacharelato, Mário Saa désigne l’enseignement en général), et un beau jour, le 5 octobre 1910, ils partirent à l’assaut du Pouvoir et le prirent. Parmi eux, Afonso Costa « l’hébreu » (une figure majeure de la Primeira República, par ailleurs franc-maçon et anticlérical).

Unanimement approuvé par la Commission Coloniale, le projet passe à la Commission des Finances qui l’approuve également à l’unanimité. Dans le Bulletin de la Communauté Israélite de Lisbonne, Wolf Terlö note que la discussion à la Chambre des Députés se prolongea sur sept sessions, entre mai et juin 1912, et que le projet fut unanimement approuvé par les députés le 15 juin. Selon João Medina, ces débats au Parlement sont représentatifs de la « mentalité colonialiste de l’époque » mais aussi de la vision du rôle des Juifs à cette même époque. Et João Medina cite les paroles du député du Benguela, l’Indien Caetano Gonçalves, défenseur du projet : « Il est faux de dire que le Juif commerçant et avare n’a pas contribué par sa fortune et son travail au bien public. En Russie, le Juif est surtout un travailleur rural. De ce fait, on pourrait courir le risque que dans plusieurs décennies la province d’Angola proclame son indépendance. Le Portugal y perdrait peu et gagnerait immensément d’un point de vue humaniste et civilisationnel. Il nous faut être de notre temps. Et personne n’a le monopole du monde ». Pour sa part, Amílcar Ramada Curto juge que l’expulsion des Juifs sous le règne de Manuel I fut la cause de la décadence du Portugal et profita à la Hollande ; et il ajoute que « cette race conserva en Hollande la nostalgie de mon pays d’origine, enseignant à ses enfants à conserver en eux le soucis des choses portugaises. C’est pourquoi cette race travailleuse ne peut qu’apporter des bénéfices en colonisant l’Angola. »

En dépit d’un débat de qualité, une opposition clairement antisémite se manifeste en la personne d’António Campos Júnior, auteur de romans populaires. Dans le Diário de Notícias du 29 juillet 1912, il publie un article intitulé « Planaltos da Judeia » par lequel il dénonce une tentative visant à établir « une nouvelle Judée sur le dos d’un Portugal ingénu ».

Avant même que ne soit approuvé le projet de loi, l’organe sioniste Die Welt rendit compte des propositions portugaises, ce qui motiva la venue au Portugal des délégués de l’Organisation juive territorialiste de Suisse et de Russie, ainsi que de son président en personne, Israël Zangwill. La presse portugaise prêta une certaine attention à l’événement, en mettant en avant, sans entrer dans les détails, les avantages du projet, notamment les avantages financiers. Ainsi, le journal O Século du 28 mai 1912 considéra qu’aussi pauvres soient-ils, les Juifs persécutés de Russie laisseraient inévitablement une partie de leur capital à l’occasion de leur escale à Lisbonne. Interrogé par ce même journal, le 5 juin 1912, Wolf Terlö assura que mille familles partiraient pour les hauts-plateaux d’Angola et qu’à cet effet elles disposaient déjà de mille trois cents contos de réis (un conto de réis équivaut à un million de réis, R$ 1.000.000). Il affirmait également qu’il organiserait une conférence à Vienne dans le but de réunir le maximum d’appui financier pour soutenir ce plan.

La conférence eut effectivement lieu le 27 juin 1912 et Wolf Terlö présenta le projet entretemps approuvé comme base de réflexion pour les comptes rendus de José Pereira do Nascimento, chef de mission chargé pour une période de cinq ans d’étudier le haut-plateau de Benguela. Le 2 août de la même année, une commission désignée par l’Organisation juive territorialiste conduite par le professeur John Walker Gregory partit pour Lobito afin de rendre compte de la situation sur les hauts-plateaux d’Angola.

Durant trois mois, la commission explora une zone de 3000 miles carrés, à l’occasion de 1126 excursions, avec 340 miles parcourus à pied, non sans avoir préalablement rencontré diverses entités à Lisbonne avant d’embarquer, puis d’autres au Benguela. La commission revint en Angleterre le 17 octobre 1912 mais son rapport ne sera divulgué qu’en juin 1913. Le professeur John Walker Gregory jugeait favorablement la possibilité d’une implantation juive, soulignant que la présence de l’Organisation juive territorialiste en Angola pouvait être considérée par le Gouvernement portugais comme une garantie et un renforcement de sa souveraineté en Angola, notamment face aux appétits des puissances étrangères. Il jugeait également que la terre d’Angola était plus favorable à une implantation que ne l’était la Palestine. Dans sa préface à ce rapport, Israël Zangwill souligne un autre aspect qu’il juge très positif : la « présence de sang juif chez les Portugais ». Selon lui : « Tout le Portugal est subtilement saturé de sympathies raciales subconscientes et cette combinaison de Juifs et de Portugais, mieux que n’importe quelle autre combinaison, favorisera un nouveau centre de civilisation en Angola. »

 

Esther Mucznik

 

Le projet de loi est débattu au Sénat en mai 1913. Mais un vent hostile souffle au cours d’un débat qui durera jusqu’à la fin juin. Les raisons de cette hostilité pourraient s’expliquer par la crainte d’un « État dans l’État » ainsi que l’avait déclaré au Parlement le député Bernardino Roque, opposé à un projet qui selon lui n’était que la réalisation d’une vieille aspiration juive, soit la création d’un nouveau Sion. D’une manière générale, la sympathie pour ce projet est faible, en dépit d’interventions comme celle de Francisco Correia Lemos, qui invite à réparer « un grand péché commis par D. Manuel », ou de José Nunes da Mata qui invite le Sénat à soutenir le projet de loi, « rendant ainsi un grand service à l’humanité et à la Patrie par un acte de réparation envers les nombreux descendants d’Israélites victimes de nos ancêtres. »

Le projet finit par être approuvé par le Sénat le 29 juin 1913 ; mais il ne quittera jamais le papier. Les raisons ? La crainte d’une perte de souveraineté portugaise, le manque de confiance, et plus encore le manque d’intérêt du Gouvernement d’Afonso Costa. Mais il y a plus. A l’aube de la Première Guerre mondiale, l’Organisation juive territorialiste est en crise et nombre de ses adhérents abandonnent l’organisation pour soutenir le sionisme palestinien. Israël Zangwill et Alfredo Bensaúde se mettent d’accord pour abandonner le projet Angola. Pour les Juifs qui durant deux mille ans avaient espéré l’année prochaine à Jérusalem, Sion ne pouvait être ailleurs qu’en Palestine.

 

Traduit par Olivier Ypsilantis

 

2 thoughts on “Israël en Angola ?”

  1. Passionnant comme toujours.
    Israel Zangwill a été effectivement un territorialiste avant de devenir sioniste. A cette époque, le rêve du retour à Sion existe mais il est bloqué par les grandes puissances de l’époque, y compris le Vatican! En même temps, il faut parer au plus pressé et trouver un refuge aux Juifs russes. Herzl n’a pas l’air de savoir ce qu’il veut mais en fait si, il est sioniste depuis le début. Ses propositions d’Ouganda ou autres sont dues à des négociations difficiles et louvoyantes avec la Turquie mais surtout la Grande-Bretagne.
    https://bokertovyerushalayim.wordpress.com/2014/12/04/herzl-le-meconnu/
    Ce qui est intéressant, c’est que les Juifs russes qui sont les plus en danger, refusent toutes les propositions territorialistes (sauf celle du Baron de Hirsch qui établira des colonies agricoles juives en Argentine)

  2. Pingback: Ypsilantis. Dix tableaux juifs – 9/10 (Deuxième partie) - Citron IL

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