Dès que le cessez-le-feu entra en vigueur, les réservistes, soldats et officiers, se mirent à critiquer le Gouvernement et l’État-Major, les accusant de les avoir entraînés dans une opération mal préparée. Suite à ces multiples critiques venues d’hommes engagés sur le terrain, Tsahal remit en question sa doctrine, ce qui lui fut bénéfique. Israël est une démocratie où le débat est libre, y compris chez les militaires de tout grade.
Liban sud : zone de combat entre le Hezbollah et Israël (situation entre le 30 juillet et le 10 août 2006)
Avec du recul, en 2013, on peut affirmer qu’Israël a sécurisé sa frontière nord. Et il n’est pas déplaisant de voir le Hezbollah, ennemi juré d’Israël, se battre contre l’opposition syrienne au régime de Bachar el-Hassad, principalement constituée de milices diversement barbues.
Mais revenons en arrière. La patience israélienne aura été remarquable face aux provocations du Hezbollah qui commencèrent dès le retrait unilatéral de Tsahal du Sud du Liban, en mai 2000. Israël a serré les poings durant six longues années au cours desquelles un grand nombre de projectiles tombèrent sur son territoire. Quel pays aurait supporté aussi longtemps d’être provoqué de la sorte ? La patience d’Israël explique probablement en grande partie sa précipitation après le 12 juillet 2006. On comprend cette attitude mais rétrospectivement on ne peut que la regretter.
Dès le 13 juillet, Tzipi Livni, ministre des Affaires étrangères du Gouvernement Ehud Olmert, espère que le gouvernement libanais déploiera son armée le long de la frontière israélo-libanaise, agissant ainsi en conformité avec la Résolution 1559 du Conseil de Sécurité des Nations-Unies. Elle se démène auprès de ses homologues américain, britannique et français. La volonté d’Israël de responsabiliser le Liban est parfaitement justifiée, mais celui-ci n’a probablement pas la force politique de répondre à cette demande ; et le pays dispose-t-il seulement des moyens militaires pour désarmer le Hezbollah ? Rappelons que dès les premières heures du conflit, Israël a bombardé le pays, notamment les pistes de l’aéroport international de Beyrouth, ce qui n’incline probablement pas le Liban à se plier aux exigences israéliennes.
Un sondage du 18 juillet 2006 révèle que 86 % de la population israélienne est très favorable aux opérations menées par Tsahal au Sud du Liban, un pourcentage exceptionnellement élevé. Israël bénéficie du feu vert américain et par ailleurs se soucie peu des critiques venues d’Europe (à commencer par la France et l’Espagne) qui juge disproportionnée la réaction israélienne. Rien d’étonnant de la part de la France, cette donneuse de leçons invétérée. Pour l’Espagne, rappelons qu’elle est alors ‟gouvernée” par Zapatero, une sorte de somnambule.
Petit retour en arrière. Lorsqu’en mai 2000, Ehud Barak, alors Premier ministre, décide de retirer unilatéralement les troupes israéliennes de la ‟zone de sécurité” (israélienne au Liban), le Hezbollah y voit une preuve de faiblesse. Son chef se met à fanfaronner et vociférer en appelant notamment les Palestiniens à reprendre la lutte armée, ce qui ne manquera pas après la visite d’Ariel Sharon (alors leader de l’opposition) à l’esplanade dite des Mosquées. Entre mai 2000 et le 12 juillet 2006, les Israéliens se gardent de répondre aux provocations du Hezbollah (qui évitent toutefois de pénétrer sur le territoire israélien) dans l’espoir que la communauté internationale et le gouvernement libanais se décident à désarmer la milice islamique. On connaît la suite.
Mars 2005. Sous la pression de la communauté internationale et suite à l’assassinat de l’ancien Premier ministre Rafiq Hariri, l’armée syrienne se retire du Liban. L’espoir est grand en Israël, il est vite déçu. La Syrie a laissé derrière elle un Hezbollah opérationnel ; ainsi l’ennemi sioniste se trouve-t-il menacé tandis que Damas peut tirer les ficelles sans être directement inquiété.
Après une semaine de guerre, Israël n’a toujours pas engagé ses troupes au sol. Le pays garde un bien mauvais souvenir de l’invasion de juin 1982 décidée par le ministre de la Défense d’alors, Ariel Sharon. Entre cette date et mai 2000, Tsahal avait perdu presque autant de soldats qu’au cours de la guerre du Kippour. Tsahal, une armée de conscrits, de citoyens-soldats, était peu préparé à la guerre asymétrique. Israël sait que ce type de guerre recèle trois grands dangers : 1. La perte de légitimité au niveau international. Un pays qui agit en légitime défense (ce qui est le cas d’Israël) est vite considéré comme un occupant. 2. La perte de légitimité au niveau intérieur à mesure que des pertes sont annoncées (voir la guerre du Vietnam). 3. Le retournement de la population du pays ‟occupé”. Souvenons-nous : en juin 1982, les blindés de Tsahal furent accueillis en libérateurs par les populations chiites du sud du Liban, heureuses d’être débarrassées des milices de l’OLP qui faisaient la loi. Mais ces populations ne tardèrent pas à être instrumentalisées par le Hezbollah qui les retourna contre Israël. A ce propos, de nombreux responsables militaires jugèrent que la création d’une ‟zone de sécurité” entre 1996 et 2000 (zone comprise entre la frontière israélo-libanaise internationalement reconnue et le fleuve Litani) avait été une erreur stratégique. Tsahal fut vite regardé comme un occupant, ce qui a conféra au Hezbollah une légitimité certaine, tant au Liban qu’à l’extérieur. Par ailleurs, le Hezbollah poursuivit ses tirs de harcèlement contre Israël.
Par cette attaque de l’été 2006, Israël a pour objectif de mettre fin à un statu quo jugé trop favorable au Hezbollah. Toutefois, Israël ne veut à aucun prix s’attarder au Liban, ce que voudrait Hassan Nasrallah afin de renforcer la légitimité de son mouvement, tant au niveau international que national. Face à cet état de choses, Israël va modifier sa position. Hostile aux forces d’interposition de l’ONU jugées inefficaces, Israël se met à envisager leur présence au Sud du Liban de préférence à celle de l’armée libanaise jugée peu fiable. Une semaine après le début des hostilités, Israël pense encore que la communauté internationale fera pression sur les parrains du Hezbollah : la Syrie et l’Iran. Parallèlement, Israël espère que de discrètes pressions se feront à l’intérieur même du pays, de la part de responsables chrétiens, sunnites et druzes.
Je ne vais pas présenter ici le déroulement de cette guerre ni ses événements les plus marquants. On peut noter en l’étudiant que l’efficacité du Hezbollah tient aussi à sa stratégie qui n’est pas territorialiste : le but ultime du Hezbollah n’est pas de défendre coûte que coûte un territoire mais de tuer le plus possible de soldats israéliens afin d’augmenter son prestige dans le monde musulman en général et arabe en particulier. Cette stratégie explique sa grande mobilité. De plus, n’oublions pas que les miliciens du Hezbollah s’entraînent intensivement depuis six ans et qu’ils ont une excellente connaissance du terrain. Ajoutons que Tsahal ne dispose que de très peu d’informations sur le Hezbollah que ses services secrets n’ont jamais réussi à pénétrer.
Le correspondant de guerre Renaud Girard a noté la tristesse des soldats de Tsahal au moment du cessez-le-feu. Certes, il y avait la joie de rentrer chez soi mais aussi le constat d’un travail inachevé en laissant derrière un Hezbollah toujours opérationnel et, surtout, le sentiment que la mort de plus d’une centaine de leurs camarades avait été inutile.
Sitôt le conflit terminé, Amir Peretz, alors ministre de la Défense, demande un rapport qui rende compte des faiblesses de Tsahal au cours de cette guerre asymétrique. Ce rapport est confié à une commission ad hoc formée de généraux à la retraite ; nombre de réservistes auraient aimé qu’il soit confié à une commission parlementaire et que ses conclusions soient rendues publiques.
Certaines conclusions s’imposent d’elles-mêmes, y compris à un non-spécialiste en stratégie militaire. Stratégiquement, l’emploi massif de l’aviation a montré ses limites dans ce type de guerre. Les frappes aériennes ont porté préjudice à la fragile image d’Israël dans les mass-médias mais, surtout, elles ont peu entamé l’efficacité du Hezbollah. Tactiquement, l’usage de brigades mécanisées avec leur matériel lourd (principalement le Merkava et l’obusier automoteur de 155 mm) ne s’est guère montré plus efficace contre un ennemi passé maître dans l’art du camouflage, extrêmement mobile et possédant un armement moderne, dont du matériel russe et chinois dernier cri comme le 9K115-2 Metis-M russe, alors le meilleur missile antichar portatif.
Olivier Ypsilantis