12 juillet – 14 août 2006. Israël s’est engagé au Liban contre le Hezbollah, une opération qui restera longtemps étudiée dans les écoles de guerre comme l’exemple même d’une guerre asymétrique ratée par un État contre une organisation. Israël a raté et non perdu cette guerre ; Israël a raté cette guerre car les objectifs fixés n’ont pas été atteints, soit : la libération sans conditions des deux soldats de Tsahal capturés le 12 juillet 2006 (Eldad Regev et Ehud Goldwasser) par le Hezbollah et le démantèlement du Hezbollah. Je rappelle que Gilad Shalit avait été enlevé peu avant, le 25 juin 2006, par le Hamas. Israël n’a pas perdu cette guerre, et lorsque Hassan Nasrallah se vante d’avoir remporté une victoire stratégique sur Israël, il ne fait que fanfaronner.
La situation stratégique suite à l’affrontement de l’été 2006 est-elle meilleure pour Israël qu’elle ne l’était auparavant, tant d’un point de vue politique que militaire ? Elle l’aurait été si la Résolution 1701 avait été appliquée à la lettre. Mais on sait que les résolutions de l’ONU s’en tiennent très souvent au papier et au blabla. Souvenons-nous des Résolutions 425 et 1559 relatives au Liban et à la FINUL. Certes, le nombre de soldats a été augmenté mais leur mission et leur mandat n’ont pas été redéfinis. Par exemple, il n’a jamais été question que la FINUL désarme le Hezbollah.
Il ne s’agit pas d’ergoter sur l’action d’Israël au cours de l’été 2006. Le pays a montré une fois encore qu’il ne se laisserait jamais intimider par la terreur, jamais ! Pourtant, cette guerre a offert un siège plutôt confortable au Hezbollah dans la vie politique libanaise tout en permettant à l’Iran de pousser ses pions. L’affaire est donc pour le moins embrouillée et je ne suis pas ici pour vitupérer Israël.
Une guerre ratée, le jugement paraîtra sévère ; mais considérant les nombreuses victoires d’Israël (à l’exception de la guerre du Liban, juin 1982 – juin 1985, qui s’apparente à un bourbier), on comprend mieux cette sévérité en regard de la guerre d’Indépendance (15 mai 1948 – 13 janvier 1949), de la guerre de 1956 (29 octobre – 7 novembre), de la guerre des Six Jours (5 juin – 10 juin 1967), de la guerre du Kippour (6 octobre – 25 octobre 1973), autant de guerres qui marquent d’imposantes victoires même si cette dernière, mal commencée, a vu mourir des milliers de soldats de Tsahal.
Soldats israéliens faisant feu sur le sud du Liban près d’une position proche de Kiryat Schmona.
Au cours de l’été 2006, le gouvernement israélien pouvait compter sur l’appui massif de son opinion publique. Par ailleurs, il avait le droit international de son côté. Le Hezbollah avait ouvertement provoqué Israël le 12 juillet 2006 en enlevant deux de ses soldats et en en tuant huit autres le long d’une frontière internationalement reconnue. Il s’agissait bien d’un acte de guerre et la réponse devait être froide et calculée. Mais le chef d’État-Major d’alors, le général Dan Halutz, se perdit en déclarations belliqueuses et dénonça le Liban qu’il promit de renvoyer vingt ans en arrière, le Liban qui lui aussi subissait le Hezbollah et ne méritait pas une telle menace. Dan Halutz aurait dû suivre l’exemple de ses prédécesseurs, parler le moins possible, se taire même afin de mieux frapper l’adversaire, afin de mieux se préparer à une guerre asymétrique et présenter à son gouvernement des options stratégiques. Mais le Premier ministre, Ehud Olmert, se mit lui aussi à bavarder et à multiplier les menaces. Une fois encore, le silence aurait été plus efficace car à trop parler, on finit par laisser filtrer ses intentions. C’est par le silence et l’émotion maîtrisée que l’on peut espérer assener les coups les mieux ajustés. Bref, ce châtiment légitime s’est fait dans les imprécations, la précipitation, l’improvisation. Pourquoi Israël a-t-il riposté moins de vingt-quatre heures après les actes de banditisme du Hezbollah ? Pourquoi Israël a-t-il commencé par un bombardement aérien du Liban ? Pourquoi ne pas avoir attendu pour mieux ajuster ses coups contre un ennemi qui se préparait au combat depuis au moins six ans ?
On a reproché au gouvernement français de ne pas avoir adressé un ultimatum au gouvernement libanais lui laissant deux semaines pour déployer son armée le long de la frontière israélo-libanaise et appliquer la Résolution 1559 du Conseil de Sécurité de l’ONU, soit le désarmement du Hezbollah. Mais le gouvernement libanais en avait-il la volonté et, surtout, l’armée libanaise en avait-elle les moyens ? Il n’en reste pas moins que ces deux semaines auraient permis à Israël de mieux ‟vendre sa cause” auprès de l’opinion publique mondiale qui bien que vérolée par l’antisionisme à des degrés divers aurait admis, parfois à contre-cœur, qu’en la circonstance Israël avait malgré tout le droit de son côté.
Israël commença donc par bombarder les pistes de l’aéroport international de Beyrouth. La priorité donnée dès les premiers moments de la réplique israélienne aux frappes aériennes ne tarda pas à se révéler contreproductive d’un point de vue militaire (le Hezbollah étant passé maître dans l’art du camouflage) et plus encore politique. L’opinion publique européenne (toujours prête à dénoncer Israël, il est vrai) s’empara des images complaisamment diffusées montrant des civils (enfants de préférence) tués ou blessés par Tsahal. Mais surtout, la population libanaise, majoritairement hostile au Hezbollah, se mit à éprouver une certaine sympathie pour ce mouvement qui tout juste toléré dans la vie politique du pays en devint un acteur essentiel.
Les opérations terrestres donnèrent elles aussi l’impression d’être improvisées. On se souvient qu’au cours des dernières quarante-huit heures du conflit (alors que le Gouvernement israélien savait qu’il allait accepter le cessez-le-feu imposé par le Conseil de Sécurité de l’ONU), Tsahal se rua jusqu’au fleuve Litani, une opération coûteuse dont Israël ne tira guère profit, tant militairement que politiquement. Du côté israélien, l’obsession médiatique n’aura cessé de dominer tout au long du conflit, une obsession inhabituelle dans ce pays. C’est en grande partie cette obsession qui explique que cette guerre ait été non pas perdue mais ratée. Cette obsession a plongé le Gouvernement et l’État-Major dans l’indécision. Tsahal avait pourtant élaboré un plan d’action mais il n’avait pas été retenu. Ce plan : foncer jusqu’au fleuve Litani puis dans un vaste mouvement d’enveloppement revenir vers la frontière libano-israélienne en encerclant les poches de résistance du Hezbollah avant de les annihiler avec l’appui de l’aviation. Ce plan fut repousser car le Gouvernement israélien espérait faire avancer parallèlement — main dans la main en quelque sorte — le diplomatique et le militaire, une entreprise des plus hasardeuses : il est préférable de mener à bien une guerre en s’épargnant les interférences de la diplomatie pour mieux imposer à celle-ci une situation de fait.
Les deux liens suivants rendent compte de l’opération menée contre le Hezbollah au cours de l’été 2006. Ils sont intéressants à plusieurs points de vue. Premièrement, ils ne montrent pas Israël dans le mauvais rôle. Par ailleurs, ils rendent compte de l’état de relative impréparation de Tsahal ou, plus exactement, de sa surprise devant un ennemi parfaitement préparé à une guerre asymétrique. Ils rendent également compte des relations au sein de Tsahal, une armée de citoyens qui tous ont leur mot à dire après le combat. De simples soldats peuvent interpeler des généraux et leur faire part de leurs points de vue, même désobligeants, sans avoir à craindre la moindre sanction :
http://www.dailymotion.com/video/x1p9k0_guerre-liban-1-2_news
http://www.dailymotion.com/video/x1pqxi_guerre-du-liban-2-2_news
Olivier Ypsilantis