“Une époque qui ne se sert du sacré que pour l’avilir par là même est jugée. Qu’il soit possible de faire du pentacle de Salomon une marque infamante donne la mesure de l’ignominie de ce temps.” Arthur Adamov
Une sœur et son frère, photographie prise le 19 septembre 1941 par Heinrich Jöst, dans le ghetto de Varsovie.
Il y a quelques mois, j’ai rendu compte d’un livre sur ce blog même : “Un soldat allemand dans le ghetto de Varsovie 1941”, un livre publié aux Éditions Denoël, en 1986 (avec préface de Heinrich Böll et postface d’Alain Finkielkraut), une édition établie à partir de l’édition allemande publiée chez Deutscher Taschenbuch (München 1983), sous le titre : “Das Warschauer Getto. Foto-Dokumente eines deutschen Soldaten”. Joe Julius Heydecker (1916-1997) avait photographié clandestinement ce ghetto, en février et mars 1941.
Je retrouve à présent dans ma bibliothèque un livre qui lui aussi réunit des photographies prises par un soldat allemand dans ce même ghetto : “In the ghetto of Warsaw”, texte de Günther Schwarberg (1926-2008), auteur de nombreux articles et livres sur les crimes nazis dont le plus connu, “Der SS-Arzt und die Kinder vom Bullenhuser Damm”. Les photographies sont de Heinrich Jöst qui, avant la guerre, était gérant d’un hôtel à Langenlonsheim, en Rhénanie-Palatinat.
Le 19 septembre 1941, le sergent de la Wehrmacht Heinrich Jöst avait obtenu une journée libre pour célébrer son anniversaire. Pour fêter ses quarante-trois ans, il avait invité quelques camarades à l’Hôtel Bristol, un lieu alors accessible à la troupe. Mais avant ce rendez-vous, il avait voulu faire un tour dans le ghetto où il se rendait pour la première fois. Il emportait avec lui son Rolleiflex.
Une fois dans le ghetto de Varsovie, Heinrich Jöst fut stupéfié par la densité humaine — un demi-million d’habitants étaient concentrés sur quatre kilomètres carrés —, principalement sur la Ulica Krochmalna, une rue où Isaac Bashevis Singer a vécu une dizaine d’années. Le futur prix Nobel put noter que ce grouillement et le bruit qui s’en élevait lui faisaient penser à une scène d’incendie à laquelle il avait assisté à Radzymin, en Mazovie.
Heinrich Jöst ne se rendit pas à l’Hôtel Bristol comme prévu. Après la guerre, il enferma ses photographies dans son secrétaire et ce n’est qu’en 1982 qu’il les remit à Günther Schwarberg. Devant chaque photographie, ce dernier lui posa de nombreuses questions. Mais à quatre-vingts ans, Heinrich Jöst avait une mémoire peu assurée et ces entretiens exigèrent beaucoup de temps. Günther Schwarberg proposa ces photographies à l’hebdomadaire allemand “Stern” qui commença par les refuser. Probablement déçu, il les envoya à Yad Vashem. Pour le responsable des archives du centre, le docteur Shmuel Krakowski, elles constituaient les documents les plus importants jamais remis à ce centre depuis sa fondation. Au printemps 1988, Yad Vashem exposa les photographies de Heinrich Jöst, et l’exposition voyagea autour du monde. Le magazine “Stern” se décida alors à publier huit de ces clichés. Leur auteur Heinrich Jöst était décédé depuis le 3 décembre 1983.
Sur l’une de ces photographies, Ahron Potschnik reconnut sa mère, Menucha ; il pria avec ses enfants et petits-enfants devant elle. Sur une autre, l’écrivain Krystyna Zywulska, survivante de la Shoah, reconnut également sa mère dans ce ghetto, en septembre 1941.
Été 1941, Willy Georg (né en 1911 à Münster) servait comme opérateur radio. Il prit quatre rouleaux de pellicule à l’intérieur du ghetto de Varsovie. La police allemande qui patrouillait lui supprima le cinquième engagé dans son Leica et le reconduisit hors du ghetto. Willy Georg développa les pellicules à Varsovie. A la fin des années 1980, ou au début des années 1990, il rencontra Rafael F. Scharf, un Juif polonais installé à Londres à qui il remit ses photographies. Rafael F. Scharf en fera publier une sélection.
L’une des photographies prises par Willy Georg, une photographie qui figure dans “In the Warsaw Ghetto: summer 1941.”