Aquilino Duque (né à Sevilla en 1931) vient de publier « Una cruz y cinco lanzas » où il glose sur les figures de Juan de Borbón et de Marcelino Menéndez y Pelayo. Il dénonce avec ironie ce qu’il considère être à présent les quatre cavaliers de l’Apocalypse : le féminisme, le nationalisme, l’écologisme et le pacifisme, autant de causes qui perdent leur sens lorsqu’elles se radicalisent, ce qui est trop souvent le cas. Cet homme de grande envergure – un authentique européen par son parcours et sa culture – est volontiers traité de fasciste (de facha), ce dont il se moque et à raison : ce fin connaisseur de l’Italie (où il a durablement vécu) sait que le fascisme est un mouvement qui s’inscrit dans une époque et un espace précis et que les incultes prétentieux assènent ce mot à tout propos dans l’espoir d’écraser ceux qui n’entrent pas dans leurs grâces.
Aquilino Duque Gimeno, à son domicile de Sevilla.
Aquilino Duque juge que la réconciliation qu’a supposée la Transición a plutôt consisté à changer de veste (ou tout au moins à la retourner) qu’à se donner la main. Par ailleurs, il déplore que la droite, le Partido Popular (PP) du temps de José María Aznar en l’occurrence, ait condamné le 18 de julio 1936, soit le Alzamiento Nacional, mais en aucun cas la Revolución de 1934 et ses principaux foyers de violence : Cataluña (Catalunya) et Asturias. Aquilino Duque critique durement la Ley de Memoria Histórica (Ley 52/2007, de 26 de Diciembre). Trop à dire sur cette question qui a été manipulée par Zapatero et déviée à des fins politiciennes. Par ailleurs, la IIe République dont on peut louer et grandement certaines initiatives, notamment quant à l’éducation, ne doit pas être placée sur un piédestal dans un éclairage zénithal. L’insécurité et les violences multiples de cette période n’ont pas été le seul fait des « fascistes ».
José María Aznar a déclaré que Manuel Azaña était son modèle. Fort bien, nous dit Aquilino Duque, mais il se trouve que « Azaña dijo grandes verdades pero sólo cuando tenía el aparejo en la barriga » ; et il ajoute que la Transición a favorisé les séparatismes qui, il faut le rappeler, ont été parmi les principaux responsables de la fin de la République. Il y eut Guerre Civile parce qu’il y eut révolution et que la contre-révolution l’a emporté. Franco a maîtrisé ce totum revolutum et a laissé un pays en condition de changer sin traumas. L’Estado de Autonomías est anti-économique. Don Ramón Carande : « ¿Cómo un país tradicionalmente deficitario de hombres públicos puede multiplicar ese déficit por 17? », 17, soit le nombre des communautés autonomes d’Espagne. J’ai été un partisan de ces communautés ; elles allaient dans le sens du fédéralisme et flattaient l’anti-jacobin que j’ai toujours été. Le fédéralisme me semble une excellente chose a priori ; mais en Espagne, ses dysfonctionnements sont tels qu’il est à revoir. Et étudier leurs causes revient à étudier l’histoire de l’Espagne – sujet trop vaste dans le cadre du présent article. Le système des Autonomías est en grande partie responsable du déficit public qu’accuse le pays, le plus important d’Europe. Je passe sur les chamailleries indignes des élus locaux, véritables héritiers de ce caciquismo, maladie espagnole que le dictateur (éclairé) Miguel Primo de Rivera s’efforça de réduire, mais en vain. Seul contre tous, il termina dans la solitude et la pauvreté, en exil à Paris.
Marcelino Menéndez y Pelayo qu’admire Aquilino Duque avait l’habitude de dire que « el día en que acabe de perderse, España volverá al cantonalismo de los arévacos y de los vectones o de los reyes de taifas ». Cantonalismo et taifas, rien de plus spécifiquement espagnol… Souvenons-nous, quand Tortolez demande à Juan de Mairena (voir le livre d’Antonio Machado, « Juan de Mairena ») si un Andalou andalucista est lui aussi un Espagnol de second ordre, celui-ci lui répond qu’il est non seulement un Espagnol de second ordre mais un Andalou de troisième ordre.
Enrique Gimbernat est l’un des meilleurs pénalistes d’Espagne. Dans une entrevue au quotidien « El Mundo » (voir Opinión, Los intelectuales y España, en page 4 et 5), il confie que la Justice dans son pays est manipulée par les partis politiques. Le titre de l’article est éloquent : « El felipismo es el pecado original de la democracia española ». Felipismo, de Felipe González… En 1985, une réforme issue du PSOE a été mise en œuvre et, depuis, les membres du Consejo General del Poder Judicial sont élus par le parti au pouvoir. Le PP avait pourtant déclaré haut et fort qu’une fois à la tête du gouvernement, il s’en prendrait à ce système. Il n’en fit rien et amplifia même le processus initié par le PSOE. Ainsi, au gré des élections, PSOE et PP placèrent-ils des hommes et des femmes de leur choix dans les hautes sphères de la Justice. Le péché originel (pecado original) de la démocratie espagnole remonte à 1982, avec le PSOE au pouvoir (Felipe González fut président du Gouvernement de 1982 à 1996), soit la corruption, la prévarication, les GAL, les ingérences dans l’appareil judiciaire. Le PP ne fera que suivre l’exemple donné par le PSOE.
Enrique Gimbernat Ordeig (né en 1938, à Sevilla)
Polémique au sujet du transfert des restes de Franco sur fond de lutte d’influence. Le PSOE en pleine déliquescence (comparable à celle du Parti socialiste français) cherche à remonter sur son perchoir afin nous dispenser de petites leçons de morale dont les socialistes ont le secret, une manière de reprendre laïquement possession des esprits. Ces flemmards espèrent jouir encore de leurs rentes morales.
Le 11 mai 2017 a été approuvé au Parlement, à 198 voix pour et 140 abstentions (PP et ERC, pour des raisons très différentes), la proposition du PSOE en vertu de laquelle il est demandé au Gouvernement d’engager les démarches pour l’exhumation et le transfert des restes de Franco. On peut souhaiter ce transfert mais il convient de rappeler que cette proposition ne figure pas dans la Ley de Memoria Histórica qu’un PSOE veut réactiver, non pas tant au nom de la mémoire historique, si importante, que dans l’espoir de regagner un peu du terrain perdu. Bref, pour le PP, El Valle de los Caídos n’est plus un « lugar de memoria franquista y nacional católica » tandis que le PSOE juge que cet ensemble reste un symbole franquiste et qu’en conséquence il convient d’en réorienter la signification « en favor de la reconciliación y de la democracia ». La réconciliation ? En oubliant ceux qui ont été massacrés par dizaines de milliers parce que possédants, « fascistes » et j’en passe.
Les socialistes mode Zapatero sont doués d’une mémoire historique qui ne s’embarrasse pas de complexité. Banby nous a bassiné (le verbe n’est pas trop fort pour ceux qui connaissent l’affaire) avec son grand-père (paternel) fusillé, le capitaine Juan Rodríguez Lozano, et tout est parti en vrille. Moi et mon ancêtre fusillé ; et que je profite de ma position de chef du Gouvernement pour simplifier l’Histoire en poussant mon histoire sur le devant de la scène. Mais les Espagnols n’ont pas été dupes.
Pour le député socialiste Gregorio Cámara, il conviendrait de ne pas heurter la sensibilité du citoyen – le pauvre ! – et, à cet effet, de déplacer les restes de Franco (probablement de les rendre à la famille qui se débrouillera avec) et ceux de José Antonio Primo de Rivera en un endroit plus discret (« no preeminente »), à l’intérieur de la basilique. Je signale en passant, et sans faire du mauvais esprit, que cette séparation ne devrait pas déplaire au fondateur de la Phalange dont Franco a trahi le message.
En la circonstance, le PP a raison de rappeler que le PSOE cherche à instrumentaliser la mémoire de la Guerre Civile (et de la répression franquiste qui lui fit suite) pour se redonner de l’importance. Rappelons que le texte approuvé ce 11 mai reprend sous une forme condensée les principales propositions inclues dans la Ley de Memoria Histórica en y ajoutant l’exhumation et le transfert des restes du Caudillo dans le but de réactiver cette loi après que le gouvernement du PP ait supprimé les subventions que supposait ce vaste projet, sous prétexte de restrictions budgétaires consécutives à la crise. Tout en étant extraordinairement attaché à la mémoire, je ne puis en la circonstance donner tort au PP. L’instrumentalisation de la mémoire n’est pas moins terrible que l’oubli…
El Valle de los Caídos, vue panoramique.
(à suivre)
Olivier Ypsilantis