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Entrevue avec Shimon Peres

J’avais oublié cet article dans un dossier où il somnolait depuis un an et demi. Je profite du 90ème anniversaire de ce grand monsieur doué d’un formidable optimisme pour publier ce modeste article et, ainsi, lui rendre un discret hommage et lui dire : ¡Cumpleaños feliz Don Shimon!

Ci-dessous, la traduction d’une entrevue publiée dans le quotidien espagnol «ABC» du lundi 5 décembre 2011, entre Shimon Peres, président de l’État d’Israël, et Pedro Rodríguez, envoyé spécial à Jérusalem. En gros titre : «Pour la première fois, être dictateur dans le monde arabe devient inconfortable» («Por primera vez ser un dictador en el mundo árabe es incómodo»)

Shimon Peres Shimon Peres, né en 1923.

 

Un mot tout d’abord. J’ai un profond respect pour Shimon Peres mais il me semble qu’il donne volontiers dans la finauderie, qu’il refuse d’appeler un chat un chat. Certes, on peut se réjouir que les dictateurs qui ont si longtemps gouverné les pays arabes se sentent eux aussi menacés ; mais lorsque Shimon Peres se dit plutôt confiant dans ce «Printemps arabe» (une expression bien trop sucrée à mon goût), qu’il affirme dès à présent y voir un mieux — je ne crois pas trahir ses propos —, je ne puis m’empêcher de penser qu’il nous chante des berceuses. Le danger viendrait de l’Iran et rien que de l’Iran ; et une fois la question du nucléaire iranien réglée, tout devrait aller pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles… Je force à peine la note. Je ne nie pas le danger iranien mais lorsque j’écoute Shimon Peres j’ai tout de même le sentiment qu’il nous trimbale. La gauche israélienne (en grande partie responsable, entre autres non-sens, des accords d’Oslo) n’est pas un bienfait pour le pays. Mais Israël est une démocratie et il lui faut jouer le jeu de la démocratie.

Donc, Shimon Peres ne partage pas l’inquiétude générée par le «Printemps arabe» — la «Primavera Árabe» —, notamment chez ses compatriotes. Il y voit des signes prometteurs et, selon lui, les Frères Musulmans d’Égypte vont maintenir la paix avec Israël. Shimon Peres sait à l’occasion manier la langue de bois comme personne, ce qui fait partie de l’arsenal de tout homme politique d’une certaine envergure.

Quelques mots sur ces satanés accords d’Oslo, à lire attentivement. Et je cède la parole à Shmuel Trigano (un extrait de «Les Frontières d’Auschwitz») : «Le plus grave est qu’ils (les discours contradictoires et les faits) ont été aussi l’objet d’un refoulement systématique de la part des acteurs israéliens du «processus d’Oslo», portés à les négliger ou à les cacher pour ne pas porter atteinte au «processus de paix». Le phénomène le plus théâtral de cette attitude a sans doute été la publication par le gouvernement Barak d’un livre blanc («Palestinian Authority and PLO Non Compliance with Signed Agreements and Committments: A Record of Bad Faith and Misconduct») sur les infractions palestiniennes aux clauses du traité d’Oslo puis son retrait quasi immédiat. L’ensemble de la classe politique israélienne en porte la grave responsabilité, au point que la population israélienne expérimenta un divorce flagrant entre ce qui était dit et ce qu’elle vivait : vagues d’attentats fomentés par l’OLP, vols massifs de voitures (plusieurs dizaines de milliers par an écoulées dans les territoires), impunité des contrevenants palestiniens pour les actes commis en Israël, introduction d’armes interdites par le traité et transformation de la «police» armée par Israël (sic) en véritable armée… Rien de cela ne transparut nulle part car les médias mondiaux répercutèrent la vulgate habituelle, accréditée par le discours de la gauche juive, israélienne et mondiale, stigmatisant le fascisme de ceux qui dénonçaient le leurre de cette paix et alimentant le syndrome du devoir de mémoire. «Nous fermons les yeux. Nous ne critiquons pas car nous sommes dans l’obligation de nous créer un partenaire pour la paix», avoua le leader de l’utopie d’Oslo, Shimon Peres. «Nous avions plein de livres recensant les transgressions des infractions palestiniennes aux accords d’Oslo… J’ai pu voir Rabin et Peres furieux des herbes amères dont les nourrissaient les Palestiniens. Mais s’ils l’avaient reconnu en public, les Israéliens leur auraient dit : «Vous les avez choisis et maintenant vous dites qu’ils ne respectent pas les traités, qu’on ne peut leur faire confiance. OK. Vous avez commis cette erreur, alors reconnaissez qu’il faut faire quelque chose !» avoue un des membres de l’équipe des négociateurs israéliens d’Oslo à une journaliste américaine. Ephraïm Karsh, sur les travaux duquel notre analyse se fonde, démontre dans «La Guerre d’Oslo, anatomie d’une auto-tromperie», d’une façon extrêmement renseignée et détaillée, l’évolution d’Itzhak Rabin face au constat de la trahison palestinienne de la volonté de paix affichée à Oslo, depuis son impréparation à la négociation, commencée dans le flou et en dehors même de toute directive gouvernementale, jusqu’à son égarement et son emprisonnement dans les rets de la ruse de l’OLP.»

Pedro Rodríguez – Le «Printemps arabe» qui voit une succession de victoires électorales islamistes représente-t-il un danger pour Israël ?

Shimon Peres – Que les Frères Musulmans remportent les élections, par exemple en Égypte, ne suppose pas la fin des problèmes. Ce n’est pas parce que l’on prie dix fois par jour que l’eau du Nil va être plus abondante. Le principal problème dans cette partie du monde n’est pas d’ordre politique (1), c’est la pauvreté, la corruption, le chômage, la discrimination de la femme, le manque d’eau… Le changement de pouvoir ne va pas régler ces problèmes. Et je ne vois pas que les Frères Musulmans aient un programme qui leur permette d’affronter ces défis qui nécessitent de profonds changements sociaux.

 

Êtes-vous préparés pour une attaque préventive contre l’Iran ?

L’Espagne et Israël sont pareillement en danger. Souvenez-vous du 11-M (2). Le plus grand danger est aujourd’hui l’Iran (3). Il faut bien se dire que l’Iran est un danger pour le monde entier et pas seulement pour Israël. Il serait bien sûr préférable d’éloigner cette menace sans avoir à recourir à une opération militaire ; c’est pourquoi les sanctions économiques et les pressions politiques doivent venir de tout le monde sans exception. Personne ne peut rester neutre dans cette affaire, personne. Des mesures s’imposent et elles doivent être prises par tous, sans exception. Le régime de Téhéran manie la corruption morale comme personne et, confronté à un tel ennemi, il est impossible de rester neutre.

 

Israël est une puissance nucléaire. Pourquoi l’Iran ne pourrait-il pas l’être ?

Tout d’abord, nous n’avons jamais déclaré être une puissance nucléaire (4). Nous sommes le seul pays menacé de disparition et nous ne menaçons personne. Si Nelson Mandela dirigeait l’Iran nous n’aurions aucun souci. Nous avons toujours dit que nous ne serions pas les premiers à introduire des armes nucléaires au Proche-Orient ; et nous nous en tenons à ce que nous avons dit. Nous avons livré sept guerres et nous avons fait de nombreuses concessions (5). Un territoire est tangible, la paix est une promesse. Je le redis, nous ne menaçons personne.

 

Le récent échange de centaine de prisonniers palestiniens contre le soldat Gilad Shalit peut-il être envisagé comme une main tendue en direction du Hamas ?

Il ne s’agit pas d’un accord entre Israël et le Hamas mais du prix qu’Israël est prêt à payer pour sauver l’un de ses soldats. Très peu de pays seraient prêts à faire une telle chose. Le Hamas est un groupe religieux et terroriste avec lequel il est quasiment impossible de traiter.

 

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(1) Shimon Peres me semble en la circonstance quelque peu elliptique.

(2) Ci-joint, un lien édité par le quotidien «El Mundo» sur l’attentat du 11 mars 2004, le plus meurtrier de toute l’histoire de l’Espagne :

http://www.elmundo.es/documentos/2004/03/espana/atentados11m/hechos.htm

(3) L’Iran représente certes un danger, non des moindres, avec le régime des ayatollahs ; mais il ne faudrait pas faire l’autruche devant le «Printemps arabe» ou roucouler comme la colombe de la Paix, ce qui revient au même, en laissant entendre que tout irait plutôt bien s’il n’y avait pas cette question du nucléaire iranien, si l’Iran était dirigé par Nelson Mandela — et pourquoi pas par Perlimpinpin ou la Fée Bleue ? L’accession au pouvoir des Frères Musulmans (et, derrière eux, des Salafistes et autre engeance) était tout de même prévisible…

(4) Shimon Peres esquive une fois encore la question ; mais, dans ce cas, je ne puis qu’approuver sa manœuvre.

(5) Israël a fait de très nombreuses concessions. Et je profite de cette note pour redire combien je regrette qu’Israël ait restitué la Judée-Samarie, après la Guerre des Six Jours, mais aussi le Sinaï (en 1979), le Sinaï qui à présent constitue une zone de non-droit où sévissent les pires trafics. Les Israéliens en auraient fait un verger…

Olivier Ypsilantis

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