« En créant par contre cette Église que le judaïsme était de par sa nature incapable de créer, le christianisme devait se séparer toujours plus radicalement de ce dernier. Plus il s’acharne à vouloir définir et rationaliser la foi, et plus il s’éloigne de son origine, jusqu’au moment où cette foi devient une dogmatique. Et c’est à partir de cette dogmatique que l’on fera des Juifs le peuple maudit, celui qui refuse le salut et tue le Christ, quand bien même Jésus de Nazareth a subi le supplice que Rome réservait aux rebelles », Friedrich Dürrenmatt.
Si l’islam, cette rusticité, a su convertir en culture ses conquêtes c’est parce qu’il trouvé des civilisations formidablement antérieures et supérieures au monde arabe, un monde alors des plus frustres et berceau de l’islam qui a activé la richesse de ses conquêtes par le vecteur de la foi, une foi simple pouvant être perçue par le premier venu.
J’ai rencontré sur un blog un individu assez férocement antisioniste, soit un individu plutôt courant, qui s’offusquait qu’Israël ait déclenché une guerre préventive au début de la guerre des Six Jours. Comme ils sont nombreux ces individus qui ne cessent de vitupérer Israël sans rien en connaître, sans jamais y avoir mis les pieds, des individus guidés par divers préjugés susceptibles d’exprimer leurs frustrations et leurs dépits, aussi divers que variés, et qui vont de l’éjaculation précoce à la chute les bourses ! Israël a bon dos comme le Juif avait bon dos. On s’y prélasse, on y flemmarde, on y pérore.
La guerre des Six Jours… Cet individu a oublié tout ce qui a précédé ce conflit lorsqu’il déclare qu’Israël n’aurait pas dû prendre au sérieux les intentions des Arabes, de gentils garçons après tout. Mais peut-être n’en a-t-il rien étudié, se contentant d’absorber ce qui confortait ses préjugés. Il ne sait pas et ne veut pas savoir que la guerre entre Israël et ses ennemis, c’est la guerre entre l’existentiel et l’idéologique, la guerre déclarée par l’idéologique (ce qui devrait être) à l’existentiel (ce qui est). « Face aux Juifs le monde n’a pas changé ; ce qui a changé, c’est seulement l’argument qu’on leur oppose ». De l’antijudaïsme à l’antisémitisme à l’antisionisme… Dans la dénonciation d’Israël, le religieux et le politique mêlent leurs eaux et des Chrétiens peuvent à cette occasion se retrouver en compagnie de marxistes ou de Musulmans pour ne citer qu’eux.
Friedrich Dürrenmatt (1921-1990)
Il faut opposer peuple et race. L’origine du mot peuple est spirituelle. Les Juifs s’envisagent comme le peuple de Dieu en vertu de l’Alliance ; c’est un contrat collectif par lequel chaque individu se voit diversement engagé. Mais la notion de peuple a été diversement salopée, notamment par les nazis, ces grands trafiquants (parmi d’autres) du langage. Ils ont fait du peuple une race : peuple juif = race juive, comme peuple allemand = race allemande, deux aires strictement définies et destinées à se combattre à mort. Les nazis ont mystifié la notion de peuple afin qu’elle devienne un concept capable de séduire et d’engager le combat non pas contre le prolétariat international, concept plutôt intellectuel, mais contre le judéo-bolchevisme mondial qui englobe le peuple juif dans son intégralité. Le judéo-bolchévisme international c’est LE JUIF, n’importe quel Juif.
La notion originelle de peuple était sans importance pour Hitler comme pour tout nazi. C’était race (ou peuple) contre race (ou peuple). Il est vrai qu’un « Aryen » qui refusait le nazisme s’excluait du « peuple allemand » étant entendu que pour lui appartenir vraiment il fallait non seulement ne pas être juif mais accepter l’idéologie nazie. Le Juif quant à lui, y compris celui qui ne professait pas le judaïsme (et ils étaient nombreux, en Allemagne surtout), était irrémédiablement marqué pour la mort car de race juive. Deux exemples parmi tant d’autres, l’un individuel et l’autre collectif : Edith Stein la convertie, une Carmélite, est gazée à Auschwitz car de race juive ; et les hésitations nazies quant aux Caraïtes et aux Krimchak méritent qu’on s’y arrête. Ci-joint, un article d’Emanuela Trevisan Semi intitulé « L’oscillation ethnique : le cas des Caraïtes pendant la Seconde Guerre mondiale » où il est également question des Krimchak :
https://www.persee.fr/doc/rhr_0035-1423_1989_num_206_4_2526
Lorsque Friedrich Dürrenmatt écrit ce livre, au milieu des années 1970, l’URSS est encore puissante et elle pousse sa propagande un peu partout notamment en faveur des Arabes, dont les Palestiniens, un point sur lequel l’auteur s’arrête assez longuement et sur lequel je passe, il est bien connu. Étourdi par la complexité de la question palestinienne, Friedrich Dürrenmatt en vient à prôner la Solution à deux États, « avec Jérusalem comme capitale des deux, mais sans être partagée ». Cette solution est devenue aujourd’hui une sorte de mantra qu’ils sont de plus en plus nombreux à réciter, mantra dont on espère faire surgir un deus ex machina. Pour ma part, je la partage avec tellement de réticences que je crois bien ne pas la partager.
Cette solution (qui n’en est probablement pas une, mais une simple fuite en avant) je m’y suis laissé prendre il y a des années ; je la repousse à présent et pour diverses raisons. Une raison esthétique d’abord, ce qui fera sourire. J’aime les cartes géographiques comme les aimait Jean-Christophe Victor ; vous vous souvenez de l’émission « Le dessous des cartes ». Cette poche nommée « Cisjordanie », et que je préfère nommer « Judée-Samarie », est affreuse sur une carte, elle s’enfonce dans le corps d’Israël. Il serait plus esthétique de retracer la frontière en suivant tout simplement le tracé du Jourdain et en retouchant celle qui passe dans la mer Morte afin de mieux la raccorder au sud du pays. Les Palestiniens (ce peuple inventé pour les besoins d’une cause et composé d’Arabes venus pour l’essentiel de divers pays arabes) pourraient être invités à s’installer en Transjordanie, soit à l’Est du Jourdain, dans l’actuelle Jordanie, où ils seraient aidés à mettre en valeur les terres, en partie avec l’assistance technique d’Israël, pays passé maître dans les techniques agricoles à commencer par l’irrigation. La proposition de Benyamin (Benny) Elon du Moledet devrait être prise en considération pour le bien de tous et pas seulement des Juifs d’Israël, plutôt que d’être automatiquement qualifiée de « fasciste », « raciste » et j’en passe, tout un lexique devenu usé jusqu’à la corde après usage prolongé et, surtout, inconsidéré. Quant à Jérusalem, elle doit être la capitale réunifiée d’Israël et rien que d’Israël et pour de nombreuses raisons dont une domine : les Juifs ont été si nombreux à prier pour le retour à Jérusalem au cours de tant de siècles que cet espoir unique dans l’histoire par sa persistance doit enfin être satisfait. Par ailleurs, pour qui étudie l’histoire, Jérusalem n’est devenue importante voir primordiale pour les Arabes que parce que les Juifs y sont revenus en maîtres. Que des dhimmis, que des représentants d’une religion que l’islam est venu parfaire (?!) se réapproprient leur histoire et s’y présentent en souverains ne peut que tournebouler les mécanismes mentaux d’un très grand nombre de Musulmans, à commencer par les Arabes auxquels les Juifs ont par ailleurs infligé plusieurs défaites. Les sympathies plus ou moins discrètes de certaines autorités chrétiennes envers les Palestiniens suivent le même cadre mental, en atténué. Le christianisme n’est-il pas lui aussi venu parfaire (?!) le judaïsme ; alors, que signifie cette réappropriation se demande-t-il ? Le Palestinien sert trop souvent à colmater une inquiétude musulmane mais aussi chrétienne (et post-chrétienne) envers le judaïsme. Celui qui était humilié se relève de toute sa stature et tape à la porte de ceux qui se croyaient définitivement les maîtres, simplement pour leur signaler qu’il s’est relevé et qu’il leur faudra dorénavant en tenir compte.
Chez les Chrétiens et post-Chrétiens d’Europe, les arrêts sur images, les gros plans et les copier-coller que nous servent les médias de masse, et qui systématiquement montrent le Juif d’Israël comme le Méchant, permettent d’alléger une mauvaise conscience plus ou moins diffuse à l’égard des juifs, car l’aire de la Shoah a bien été l’Europe. En fait, les médias de masse répondent à un désir latent d’un très large public européen que ces « informations » réconfortent car elles permettent d’apaiser à bon compte une relative mauvaise conscience. Loin de moi l’idée de donner systématiquement raison à Israël, et d’abord parce que ce serait contreproductif, mais observez combien l’opinion publique, cette chose qui est partout et qu’on ne trouve nulle part, cette chose généralement avachie à laquelle on peut faire dire tout et son contraire, observez combien au seul nom « Israël » cette chose relativement informe retrouve des formes, sort de son engourdissement et se met à vociférer.
La guerre israélo-arabe de 1948-1949 a été provoquée par refus arabe du plan de partage de la Palestine – plan approuvé le 29 novembre 1947 par l’Assemblée générale de l’ONU, par le vote de la résolution 181. Ce plan de partage qui suivait grosso modo les implantations juives consistait pour les Juifs en trois lambeaux de territoires à peine raccordés les uns aux autres. Les Juifs d’Israël l’ont pourtant accepté non sans enthousiasme et dans leur immense majorité. Ils durent sans tarder affronter les armées arabes ; et à l’issue de cette guerre, les territoires sous contrôle juif se trouvèrent sensiblement élargis, dessinant la carte d’Israël jusqu’à la guerre des Six Jours, en 1967 – voir la Ligne verte, une ligne d’armistice. La Bande de Gaza fut annexée par l’Égypte et la Cisjordanie par la Jordanie. Après la guerre des Six Jours, Israël se retrouve avec le contrôle de la Péninsule du Sinaï, de la Bande de Gaza, de la Cisjordanie et du Plateau du Golan. Le gros morceau est gracieusement rétrocédé à l’Égypte, je dis bien : gracieusement – en 1975, peu après la guerre du Kippour. Le Plateau du Golan pose quant à lui un problème existentiel à Israël, ce dont Friedrich Dürrenmatt a pris note au cours d’un voyage sur ces hauteurs. La Bande de Gaza et la Cisjordanie posent d’autres problèmes. L’évacuation de la Bande de Gaza par Israël en 2005 n’a rien arrangé : Israël est sans cesse pris à partie par les groupes terroristes qui y font la loi et par les médias de masse qui s’adonnent non pas à l’information mais à de la propagande.
Il y a quelque temps, un article de Léon Rozenbaum m’a retenu ; il s’intitule « Les manœuvres des post-modernes en Israël », une analyse que je partage sans retenue et que je vais citer assez longuement. Mais je précise d’abord que lorsque l’auteur évoque « cette propension à abandonner le cœur de la patrie juive », il s’en prend aux « Israéliens dit “laïques” qui s’éloignent autant de la Tradition juive que de l’Idée nationale et que l’on a coutume de qualifier abusivement de “gauche” israélienne puisque leur programme politique est loin des préoccupations sociales réelles ». Léon Rozenbaum : « En réalité, c’est leur propension à abandonner le cœur de la patrie juive, la Judée et la Samarie libérées en 1967 au terme d’une tentative avouée d’éradication d’Israël par les armées arabes coalisées, qui assure leur soutien financier massif par l’Union Européenne et des forces occultes dont certaines Églises qui n’ont pas encore accepté le retour d’Israël sur la scène mondiale et recherchent son affaiblissement par tous les moyens. D’autres Chrétiens, par contre, s’identifient de plus en plus à Israël et au combat matériel et spirituel que ce peuple doit mener. Or, il est devenu évident pour toute personne de bonne foi que la renonciation par Israël à la souveraineté sur ces territoires disputés, mais juridiquement revenant légalement à Israël en termes de Droit International Public, signifierait un tel risque sécuritaire, par la présence immédiate d’une ou plusieurs armées ennemies à faible distance des centres urbains juifs, que la survie même d’Israël serait compromise à court ou moyen terme par un défaut criant de profondeur stratégique. Dans ces conditions, les droits politiques des ressortissants arabes de Judée-Samarie, dans leur immense majorité des immigrants illégaux des pays voisins postérieurs à 1920, ne pourront s’exercer que dans l’État arabe palestinien occupant les 3/5 de la Palestine du mandat britannique, le Royaume de Jordanie, dans le cadre d’un arrangement excluant un déplacement forcé. »
Alors que j’allais poster ce texte, je suis retourné sur le blog d’Arnold Lagémi. Son dernier article (publié le 14 novembre 2018) est intitulé : « Lutte contre l’antisémitisme : la prévention négligée doit trouver la marque d’excellence ! » Il s’ouvre sur ces mots ; je les rapporte tels quels tant ils me confirment dans ce que je pressens depuis longtemps, un substrat trop ignoré : « Réduire l’antisémitisme à une déviance de l’extrême droite ou de la gauche radicale serait dresser un réquisitoire hâtif pour les uns et conférer une innocence hors de propos pour les autres. La « haine du Juif » telle qu’elle s’opère aujourd’hui engage un processus dévastateur qui commencera dès la diffusion de la Nouvelle Alliance. L’adversaire est ainsi désigné et seule la référence à l’histoire permet d’en esquisser les contours et d’en atténuer les effets. De plus, l’effet pernicieux résistera difficilement à l’explication historique qui rejoindra la dimension thérapeutique que la référence ainsi établie ne manquera pas de susciter. L’antisémitisme est une pathologie de nature conquérante qui s’inscrit au passif de la culture occidentale dans tous ses attendus. Même dans ses expressions agnostiques elle se veut la réponse chrétienne au rejet de Jésus par Israël. Au-delà de la connotation religieuse l’antisémitisme est la réponse appropriée de l’Occident à l’exemple séditieux dont témoigne le refus d’Israël. Dès le Golgotha est mis en œuvre le processus d’extermination de la Nation Juive. L’antisémitisme est fondamentalement d’essence théologique ». Oui, l’antisémitisme est fondamentalement d’essence théologique. Mais la théologie étant devenue une science délaissée voire méprisée, on ne saisit que bien partiellement l’origine profonde de l’antisémitisme qui au cours des siècles a pris des formes aussi diverses que variées qui ne laissent pas nécessairement paraître cette origine.
Olivier Ypsilantis