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En lisant Ramiro de Maeztu

 

Dans un texte daté de 1934 et intitulé « Economía y religión – Un ataque a Max Weber », Ramiro de Maeztu rapporte ce qui suit ; et j’écris cet article en complément (polémique) à la présentation que j’ai faite du livre de Max Weber, probablement le plus lu de tous ses écrits, « L’éthique protestante et l’esprit du capitalisme » (« Die protestantische Ethik und der Geist des Kapitalismus »), en quatre parties sur ce blog (voir Max Weber à Categories).

Ramiro de Maeztu prend donc note de l’influence des théories de Max Weber (mais aussi d’Ernst Troeltsch et de Werner Sombart) dans les universités, des théories selon lesquelles le développement du capitalisme a été plus marqué dans certains pays que dans d’autres pour des raisons d’influence religieuse. Selon Max Weber et Ernst Troeltsch, l’éthique du protestantisme en général et du calvinisme en particulier ont stimulé l’esprit capitaliste. Werner Sombart poursuit dans une même dynamique mais avec les Juifs, dans « Les Juifs et le capitalisme moderne » (« Die Juden und das Wirtschaftsleben »). Je n’ai pas lu ce livre qui, je l’espère, n’a rien à voir avec les élucubrations de Karl Marx à ce sujet.

Donc, ces trois penseurs (le sociologue, le théologien et l’économiste) nous assurent que des religions favorisent le développement du capitalisme parce qu’elles favorisent l’ascétisme qui à son tour favorise la volonté, l’application au travail (laboriosidad) ; que l’absence de décorum et de dévotions sacramentelles recentrent la moralité sur le culte du travail et le rejet des plaisirs ; et, surtout, parce que le calvinisme estime que la réussite professionnelle est le signe indiscutable que l’intéressé a été touché par la grâce divine.

 

Max Weber (1864-1920)

 

En regard de ces théories, Hector Menteith Robertson, auteur de « Aspects of the Rise of Economic Individualism: A Criticism of Max Weber and His School », s’efforce en multipliant les témoignages historiques de démontrer que les doctrines des Catholiques ne diffèrent pas en substance de celles des Protestants quant aux questions économiques. Les théologiens puritains conseillent à leurs fidèles de se satisfaire de leur profession car ils jugent que l’insatisfaction à l’égard de la profession est la cause de tous les maux. La dénonciation de l’oisiveté et l’éloge du travail sont pareillement le fait des moralistes catholiques et protestants. Par ailleurs, l’esprit du capitalisme existait avant l’apparition du Protestantisme.

Le peuple le plus profondément calviniste est le peuple écossais, ce qui ne l’a pas empêché de mener une vie quasiment médiévale jusqu’au XVIIIe siècle. Les Jésuites ont favorisé le commerce dans tous les pays. L’appréciation de Calvin en regard de l’usure ne diffère pas de celle des moralistes catholiques L’opposition aux monopoles n’a pas été une caractéristique du puritanisme contrairement à ce que dit Max Weber. Ainsi, à Anvers, en 1556, lorsqu’un Florentin voulut acquérir le monopole des assurances, les Flamands protestèrent, mais aussi les Italiens, les Espagnols et les Portugais.

Hector Menteith Robertson explique exclusivement le succès rencontré par les théories de Max Weber, Ernst Troeltsch et Werner Sombart par le fait qu’elles ont permis de nourrir les rancœurs du plus grand nombre, notamment de la nouvelle génération anglais et américaine : l’anticapitalisme et l’anti-puritanisme. Ainsi ont-ils appris avec satisfaction que le capitalisme n’est pas un phénomène naturel mais une déformation monstrueuse engendrée par le calvinisme…

Hector Menteith Robertson estime que le capitalisme n’est pas le produit de religions, qu’il est vieux comme le monde et universel, mais qu’il ne se développe que là où se présentent des opportunités. Parmi ces opportunités, l’invention de la comptabilité moderne qui permet au commerçant de suivre à tout moment l’état de ses opérations et leur avancement. Cette remarque explique autrement mieux le développement du capitalisme que toutes les propositions de Max Weber.

Autre facteur de développement du capitalisme : les grandes découvertes, en particulier le continent américain et la route vers l’Orient par le cap de Bonne Espérance. Ces découvertes ont pour conséquence de déplacer de centre du commerce de l’Italie vers les ports de la mer du Nord, soit les régions les plus marquées par le Calvinisme. Mais insistons, ce sont les grandes découvertes et non le Calvinisme qui ont fait la prospérité de la Hollande puis de l’Angleterre. C’est là que s’est formée l’idée d’un État dirigé en grande partie par des commerçants. L’influence de ces derniers sur l’État est sous-tendue par le concept subjectif de la valeur des choses ; en effet, ils ont expérimenté qu’elles n’ont pas la même valeur sur tous les marchés, un concept qui s’oppose au concept objectif de la valeur des choses – du juste prix qui avait prévalu au cours des époques médiévales.

Il est vrai que l’histoire propose des témoignages pour tous les goûts et en quantité quasi-infinie et qu’en opérant un choix à son goût on peut lui faire dire ce qu’on veut qu’elle dise. Ainsi, en procédant de la sorte, pourrait-on faire dire à l’histoire que les Espagnols sont le peuple le plus avide du monde et les Anglo-Saxons le peuple le plus désintéressé.

Il n’empêche que chez ces derniers, la richesse et le succès sont généralement respectés tandis qu’en Espagne ils sont généralement envisagés avec méfiance voire hostilité (je rappelle que ce texte a été rédigé en 1934 et qu’il convient à tout moment de le replacer dans un contexte économique, politique, social et culturel très particulier). Mais comment expliquer une telle attitude ?

Pour répondre à cette question, il faut s’en remettre à la méthode historique. Mais énumérer des faits ne suffit pas. Il faut distinguer les faits importants de ceux qui le sont moins, autrement dit donner du relief à la connaissance historique.

Hector Menteith Robertson reconnaît par exemple que la politique des souverains espagnols n’était pas favorable au commerce ; mais il n’explique pas pourquoi cette politique a prévalu en Espagne et non dans d’autres pays. En somme, les faits qu’il rapporte obligeront les futurs Max Weber à affiner leurs affirmations et à savoir les rectifier si nécessaire. Reste qu’on peut douter que ces derniers parviennent à annuler l’influence des sentiments religieux sur la vie économique des peuples.

Olivier Ypsilantis

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