Chapitre 1. Le mythe de la Nakba et la création de l’État d’Israël (page 27 à page 53).
La petite armée israélienne pauvrement équipée repousse une coalition arabe. Le narratif arabe est alors largement génocidaire mais il finit par être occulté par un autre narratif, celui de la Nakba qui s’est imposé non seulement aux Palestiniens mais à l’Occident où il est devenu l’élément le plus performant du mythe palestinien. La Nakba, c’est le mythe de l’injustice congénitale inséparable de la naissance d’Israël et dont serait victime un peuple innocent, le peuple palestinien. Ainsi les agresseurs se font-ils les victimes. Ce « génial » retournement n’en finit pas de séduire l’Occident.
Le monde arabo-musulman souffre d’un complexe d’infériorité/supériorité qui convertit ses défaites en accusation (nous avons perdu car nous avons été victimes de…) et lui évite ainsi toute réflexion auto-critique, l’autre devenant un bouc-émissaire. Le mythe de la Nakba est bien le produit de ce processus.
La première Nakba, 1920 (et non 1948). L’expression am al-nakba (année de la Nakba) apparaît pour la première fois chez l’historien arabe chrétien Georges Antonius dans « The Arab Awakening ». Il ne s’agit pas de la guerre israélo-arabe (de 1948) mais du partage de la « Grande Syrie » entre Français et Britanniques. Ainsi les Arabes syriens du Nord se trouvèrent-ils séparés des Arabes syriens du Sud qui seront appelés (à tort) « Palestiniens », soit des Arabes qui avaient émigré vers la Palestine en provenance de la Syrie et du Liban au cours des deux générations précédentes, pour des raisons économiques, la région se trouvant favorisée par l’activité sioniste. Ce sont eux qui en 1920 déclencheront les émeutes.
La Nakba donc, dans son sens premier, se rapporte au partage du Proche-Orient entre Français et Britanniques, rien à voir donc avec Israël (qui n’existait pas en tant qu’État) et les « Palestiniens », terme qui n’existait pas pour désigner les Arabes de la « Syrie du Sud ». Le narratif arabe va tout inverser. En 1948, les responsables arabes projetaient un transfert de la population (juive), une épuration ethnique voire un génocide. Ils perdent la guerre et accusent les Juifs sionistes d’être les porteurs de ces projets qui étaient les leurs…
Petits rappels : 1. L’Agence juive et le mouvement sioniste ont accepté le « Plan de partage de la Palestine de 1947 ». Les Arabes l’ont rejeté. 2. La guerre de 1948 a été déclenchée au lendemain de la proclamation de l’État d’Israël reconnu par l’O.N.U., une guerre soutenue par une coalition arabe considérable – mais il faudrait plutôt évoquer une coalition musulmane car à cette coalition s’ajoutent des combattants venus de plus loin. 3. La plupart des « Palestiniens » ont quitté leurs domiciles sur ordre de la Ligue arabe et des dirigeants arabes afin de laisser le champ libre à leurs armées pour annihiler « les Juifs mille fois maudits par Allah ». Nous sommes bien dans une logique de djihad. Par ailleurs, les dirigeants arabes projettent sur les sionistes leurs projets exterminateurs en invitant les « Palestiniens » à fuir.
Autre mythe qui s’inscrit dans une « conspiration » juive (ou sioniste), le Plan Daleth. Selon ce mythe, l’expulsion des « Palestiniens » était le vrai but de la guerre de 1948, guerre déclenchée par Israël, toujours selon le narratif « palestinien ». Cette thèse a connu un immense succès à partir des années 1990, une thèse concoctée par les Nouveaux historiens, des universitaires juifs israéliens. La Nakba s’ancre donc grâce à une solide propagande dans la guerre de 1948, la Nakba qui se présente comme étant à l’origine du conflit israélo-palestinien.
Le Plan Daleth était exclusivement militaire et en grande partie défensif, soit permettre la défense des populations juives face à l’offensive arabe. Mais ce plan est réinterprété de manière à enrichir le grand récit antisioniste et la vision antisioniste de l’histoire. Le mythe de la Nakba est une pièce maîtresse du discours antisioniste parce qu’il gomme le refus arabe d’un État juif, comme il gomme la volonté annihilation (arabe), avec réécriture de la guerre de 1948. Ce discours affirme que : 1. L’État d’Israël procède d’un « péché originel », ce qui lui ôte toute légitimité, morale et politique. 2. L’État d’Israël s’est livré à un « nettoyage ethnique » et, de ce fait, les Palestiniens représentent le parangon de la Victime, car « victimes des victimes ». 3. Le Plan Daleth est consubstantiel au projet sioniste. Effacé le refus arabe du plan de partage, oubliés les refus arabes des plans de paix successifs. Et la guerre de 1948 devint le « péché originel du sionisme ». A noter que ce montage a volontiers été le fait d’intellectuels juifs, ce que Pierre Lurçat montre dans son livre « La trahison des clercs d’Israël » dont j’ai rendu compte sur ce blog. « Péché originel du sionisme » et Nakba, sans oublier d’autres éléments du discours antisioniste, autant d’éléments qui confinent à la théologie et qui prennent appui sur des strates profondes, chez les chrétiens, les post-chrétiens et les musulmans. Le mythe de la Nakba est placé en symétrie de la Shoah – et « les victimes des victimes » sont les victimes par excellence.
Victimes des victimes, une expression qui aurait été élaborée par Edward Saïd, considéré comme le plus grand intellectuel palestinien. Edward Saïd, menteur professionnel (lire « The False Prophet of Palestine: In the Wake of the Edward Saïd Revelations » de Justus Weiner) qui s’invente un passé d’exilé palestinien (de Jérusalem) alors qu’il est originaire d’une riche famille du Caire où il a grandi. Ce mensonge biographique s’inscrit en abacule dans la grande mosaïque du mensonge antisioniste de la Nakba.
Ce renversement dialectique par lequel ceux qui ont refusé le Plan de partage de 1947 sont des victimes et ceux qui l’ont accepté sont des bourreaux permet à la mauvaise conscience européenne (l’Europe a été l’aire de la Shoah) de s’alléger formidablement, comme par enchantement.
Premièrement. Les promoteurs et les propagateurs du mythe de la Nakba énoncent par ailleurs qu’Israël est né de la Shoah dont il a « tiré profit » (la Shoah-business) pour mieux opprimer les « victimes des victimes », soit les Palestiniens. Le crime de la Nakba (présentée comme une nouvelle Shoah) ne peut donc être effacé que si l’État d’Israël est effacé.
Deuxièmement. Les « victimes des victimes », un mensonge chronologique d’abord. Israël n’est pas né de la Shoah. Le Yishouv, un proto-État, l’a précédé. L’opposition arabe à Israël n’est pas venue de la Nakba. Les violences anti-juives ont commencé dans les années 1920 et se sont poursuivies dans les années 1930. Pensons en particulier au pogrom de Hébron en 1929.
Troisièmement. Il n’y a aucune équivalence historique, morale, et juridique entre la Nakba et la Shoah.
Autre point de focalisation du discours anti-israélien (après le retrait de 2006) : Gaza. Israël s’est retiré de Gaza mais pour les antisionistes, Israël reste responsable de tout ce qui s’y passe…
Le mythe de la Nakba suppose trois négations : 1. La défaite. Les Arabes se posent en victimes d’un conflit dans lequel ils n’auraient aucune responsabilité ; ainsi évitent-ils de se remettre en question et s’épargnent-ils tout examen de conscience. 2. Les Juifs s’accommodent d’un plan de partage qui leur attribue un mini-État sur la bande côtière et qui n’inclut par Eretz Israel. Les Arabes le refusent, convaincus qu’ils pourront éradiquer l’État juif dès sa naissance dans une guerre d’extermination. 3. L’autre est nié. Pour une Palestine judenrein.
Chapitre 2. Le mythe du « génocide du peuple palestinien » (page 55 à page 84).
L’affaire Mohammed al-Dura reprend l’une des thématiques les plus anciennes de l’antisémitisme soit le « crime rituel », bien ancré dans l’imaginaire collectif. Ce schéma est systématiquement activé puisque tout Palestinien tué par Israël est une « victime innocente ». Les intentions exterminatrices arabes (et iraniennes) envers Israël sont activées (et justifiées) par l’accusation portée contre Israël d’un plan d’extermination des Palestiniens. De fait, une fois encore, les ennemis d’Israël projettent sur celui-ci leurs propres intentions génocidaires. Georges Bensoussan : « Tout discours meurtrier impute en effet à sa victime le dessein qu’il nourrit à son endroit ». C’est l’inversion victimaire (l’expression est de P.-A. Taguieff). Le « génocide du peuple palestinien » et autres mythes de l’antisionisme contemporain ont une filiation historique. Ainsi, l’accusation médiévale du Juif empoisonneur a-t-elle été reprise par Martin Luther, au XVIe siècle, lors du « complot des Blouses blanches », puis par Mahmoud Abbas, et plus récemment à l’occasion de la mort de Yasser Arafat. Les stéréotypes négatifs se sont constitués au cours des siècles. L’antijudaïsme ancien et l’antisémitisme moderne, sans oublier l’antisionisme, savent s’activer mutuellement. Les accusations antijuives (d’origine religieuse et en grande partie chrétiennes) se sont sécularisées. Les Lumières n’y ont pas mis fin, hormis l’accusation de déicide, et encore…
Une scène de la guerre d’Indépendance
L’accusation de crime rituel est troublante dans la mesure où les Juifs ont « horreur du sang ». Mais c’est bien en raison de leur opposition aux sacrifices que les Juifs ont été accusés de crime rituel. Le judaïsme s’est élevé contre les sacrifices humains, en particulier ceux d’enfants, et « c’est précisément le respect de la vie humaine qui, chez les Juifs, ferait scandale » écrit P.-A. Taguieff. Aujourd’hui, le respect de la vie humaine fait qu’Israël et sans cesse vilipendé et accusé de « crime de guerre », à Gaza notamment. Il faut lire Léon Poliakov à ce sujet. Le respect juif pour la vie irrite et fait scandale. A ce respect, les islamistes opposent : « Nous aimons la mort plus que vous (les Juifs) aimez la vie ». La morale juive fait encore scandale. Le verset du Deutéronome « Tu choisiras la vie » est perçu comme un signe de faiblesse mais aussi comme un affront à un monde mortifère qui est aussi celui de l’antisémitisme et de l’antisionisme. Israël sera toujours jugé négativement quoi qu’il fasse parce que ses ennemis n’ont pas la même conception de ce qu’est le Bien et de ce qu’est le Mal, tout simplement. Ajoutez à cette donnée l’inversion victimaire – voir l’analyse que fait P.-A. Taguieff des meurtres à caractère rituel imputés aux Juifs.
Mythe de la Nakba, inversion victimaire ; mythe du « génocide du peuple palestinien », inversion victimaire encore. Le slogan « sionistes assassins » est la réactivation de l’antique accusation de crime rituel. L’assassinat d’un nouveau-né juif à Hébron par un sniper palestinien (en 2001) provoque un déchaînement médiatique… à l’encontre d’Israël : mais que font donc les Juifs à Hébron ? Sous-entendu : s’ils n’y étaient pas, cet enfant n’aurait pas été tué… Et dans la foulée, on en profite pour remettre en question la légitimité de l’État d’Israël. Il y aurait une éloquente revue de presse à établir à ce sujet. Le mythe du « génocide du peuple palestinien » a été stimulé par la Première Guerre du Liban, en 1982. Le discours antisioniste s’est alors imposé et jusque dans les sphères gouvernementales occidentales.
P.-A. Taguieff : « La mise en accusation quasi-planétaire d’Israël est moins le résultat de la propagande palestino-islamiste, qu’un effet du fonctionnement du système médiatique. La condamnation unanime d’Israël, avant toute enquête et indépendamment de toute analyse des faits, témoigne d’abord du mode de formation et de diffusion de l’information journalistique… » Et P.-A. Taguieff poursuit : « Les médias choisissent de privilégier les récits allant dans le sens des présupposés de la culture politique majoritaire dans le monde professionnel des journalistes. Or, l’anti-israélisme et le pro-palestinisme, depuis les années 1990, se sont inscrits dans la doxa journalistique, reflétant le parti-pris “antisioniste” partagé, avec plus ou moins de virulence, par toutes les gauches ». Les médias français à commencer par la télévision ont été particulièrement actifs dans le harcèlement d’Israël. Sabra et Chatila ou l’occasion de démoniser Israël et en particulier Ariel Sharon alors ministre de la Défense. Le massacre de Sabra et Chatila est à l’origine d’une immense production (y compris de produits culturels) en constante expansion. Paul Giniewski a pris note de cette logorrhée médiatique dans « Antisionisme, le nouvel antisémitisme ». Sabra et Chatila est devenu un surévènement pour reprendre le mot d’Éric Marty (dans « Bref séjour à Jérusalem »). Il s’inscrit dans le mythe du « génocide du peuple palestinien », il gomme toute la réalité historique de la guerre civile au Liban et ses innombrables massacres commis par de multiples factions. Mais la version mythifiée vient tout simplifier : il ne reste qu’un seul crime, celui des Juifs. Ariel Sharon : « Des goyim ont tué d’autres goyim, et ce sont les Juifs qu’on accuse ». Éric Marty a lu le récit de Sabra et Chatila fait par Jean Genet et il a compris « qu’un événement était tout le contraire d’un fait (…), que pour qu’un événement soit, il suppose de porter en lui une dimension métaphysique – il doit comme phénomène toucher à l’essence de ce qu’il représente ». L’événement, soit « tout le contraire d’un fait ». Il faut créer l’événement, soit faire rentrer des faits dans une grille mentale en les arrangeant.
Sabra et Chatila est un événement sans rapport avec les faits. Il est devenu un acte d’accusation contre Ariel Sharon, Tsahal, Israël, voire « les Juifs ». Mais à l’événement s’ajoute la « dimension métaphysique ». Jean Genet le palestinophile nous livre dans son livre « Le captif amoureux » une confession capitale ; il écrit : « Si elle ne se fût pas battue contre le peuple qui me paraissait le plus ténébreux, celui dont l’origine se voulait à l’Origine, qui proclamait avoir été et vouloir demeurer l’Origine… la révolution palestinienne m’eût-elle, avec tant de force, attiré ? »
Les militants antisionistes sont séduits, voire fascinés par le mythe (qui renvoie toujours aux origines), mythe (et dimension métaphysique) de Sabra et Chatila, de la Nakba, de Deir Yassin, etc., etc., autant d’accusations portées contre le peuple « dont l’origine se voulait à l’Origine », accusé de déicide par les Chrétiens, d’avoir assassiné les prophètes par les Musulmans et, plus récemment, d’œuvrer au génocide du peuple palestinien.
Cette accusation d’Israël fait que les ennemis qui se haïssaient fraternisent selon le principe du bouc-émissaire. Le « mensonge mimétique » contribue à la formation d’une illusoire fratrie. La haine d’Israël sert de ciment à des nations et à des clans qui sans cette haine partagée s’effondreraient, s’affronteraient.
Autre mythe fondateur : Deir Yassin, présenté comme l’archétype de la violence juive envers les Arabes et du caractère criminel du sionisme. Bref rappel des faits. 1948, Jérusalem est encerclé. L’opération Nakhshon est planifiée en avril 1948 afin de désenclaver la ville en rétablissant la route qui la relie à la plaine côtière, autrement dit en s’emparant des villages arabes qui la bordent et qui ont été transformés en points fortifiés. Deir Yassin est l’un d’eux. Il n’y a pas eu de massacre délibéré mais des combats particulièrement acharnés opposant soldats juifs et soldats arabes mêlés aux habitants du village. Avant les combats, quelque deux cents villageois quittent leurs habitations après que les Juifs les y aient exhortés (par haut-parleur). Ils s’abritent au pied de la colline ; aucun d’entre eux ne sera blessé et ils seront évacués vers Jérusalem. D’autres choisissent de rester sur place et beaucoup sont tués dans la confusion des combats.
Autre mythe : Jénine, 2002. Tsahal doit affronter des centaines de fedayin très organisés et lourdement armés, décidés à se battre jusqu’à la mort. Le Hamas et d’autres factions armées palestiniennes célèbrent une victoire tandis que les médias évoquent un massacre (de Palestiniens).
Autre mythe, plus récent : le « génocide de Gaza » ou « Gaza, camp de concentration », variation sur le thème du « génocide du peuple palestinien ». Israël nazifié, ennemi du genre humain. Seule solution : la destruction d’Israël.
(àsuivre)
Olivier Ypsilantis
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