Rabbi Joseph Caro (1488, Tolède – 1575, Safed)
XI – Le mysticisme dans la pensée juive
Dans le judaïsme, le mysticisme fait partie intégrante de la vie spirituelle et n’a jamais été séparé de la tradition religieuse. La révélation au mont Sinaï explique peut-être ce fait. Néanmoins, à un moment de l’histoire juive, les autorités religieuses ont jugé avec suspicion la mystique, la Kabbale en particulier qui n’est pourtant pas une extravagance et qui touche à tous les aspects du judaïsme. Par exemple, de nombreuses expressions de l’hébreu et du yiddish procèdent de la Kabbale.
L’œuvre kabbalistique fondamentale pour les Juifs a été écrite par Rabbi Joseph Caro, un contemporain de Rabbi Isaac Luria. Ces deux noms suffisent à montrer qu’il n’y a jamais eu de séparation entre une pratique ouverte du judaïsme et les aspects ésotériques (ou mystiques) de la tradition. Loin de repousser la loi et le rituel dans toutes ses prescriptions, les kabbalistes leur accordent un grand respect. Toutefois, ils accordent une autre importance aux mots de l’appareil théorique. Leur ouverture d’esprit leur permet d’éviter les frictions. La Torah est pour les Juifs le ciel même. La Torah n’est pas simple connaissance — quelque chose qui s’apprend. Étudier la Torah, ce n’est pas seulement se pencher sur un passé où trouver des normes de comportement, c’est aussi et d’abord dialoguer avec Dieu. Étudier l’écriture, c’est avant tout dialoguer avec Dieu. Étudier l’écriture, c’est étudier avec Dieu (voir le Talmud). L’étude n’est pas simplement intellectuelle : la compréhension fait appel à l’esprit mais aussi aux sentiments. Tous les éléments qui constituent la Torah sont interdépendants et ils expriment la même chose de différentes manières : Halakha, Kabbale, Mishna, Zohar.
La Torah fait appel à différents niveaux de langage (comme par exemple l’explicite et l’implicite). Ainsi, ceux qui pensent que le mysticisme et la Kabbale n’ont rien à voir avec le Talmud se trompent. Il y a une unité organique dans tous les écrits du judaïsme. Il est vrai que quant les ignorants s’intéressent à l’ésotérisme et à l’occulte, on peut s’attendre au pire. La Torah propose bien des clés et bien des serrures et chacune d’entre elles ne vaut que pour une seule personne. Celui qui a trouvé les siennes peut être regardé comme un homme heureux. Nous perdons trop souvent notre temps à nous énerver avec des clés et des serrures qui ne nous sont pas destinées ; autrement dit, nous nous épuisons dans des analyses qui ne nous correspondent pas. Certains trouvent la clé dans l’intellect, d’autres dans l’accomplissement de certaines actions, et toutes ces expériences mènent à la présence divine.
XII – Le motif de la lumière dans la tradition juive
La lumière est inhérente à la création du monde. Elle est le symbole du bien et du beau. La lumière est le symbole positif absolu. Cette symbolique ne se limite pas au domaine du langage ; songeons à ces lampes qui représentent la sainteté sous tous ses aspects : la Ménorah, les bougies du Shabbat (devenues son symbole même), l’allumage des bougies de Hanouka, etc. Bref, chaque événement est marqué par l’allumage de bougies. La bougie commémorative est marquée par une certaine tristesse, elle n’en symbolise pas moins l’éternité. Il y aurait un livre à écrire sur la symbolique de la lumière dans le judaïsme, tant au niveau des textes que des fêtes et leurs bougies.
La lumière primordiale de la Genèse se divise et se subdivise, chaque lumière ayant son caractère particulier, sa mission propre. Et chacune de ces lumières suscitent des émotions particulières. Chaque lumière a sa symbolique qui trouve sa forme avec les matériaux utilisés : l’huile et la mèche, la bougie et la lampe. La Halakha établit le cadre de tous ces actes de lumière, elle leur donne un sens spécifique. C’est bien par la Halakha que des notions abstraites prennent corps. Les particularités locales ont influé sur l’élaboration de ces lumières. Pourtant, malgré tous ces aléas, les artisans juifs n’ont jamais oublié l’importance de ces détails consignés dans la Halakha. Sa richesse conceptuelle ajoutée à celles de la Haggadah et de la Kabbale a stimulé leur créativité en leur permettant d’ajouter à leurs œuvres d’autres niveaux de sens.
Dans le judaïsme, les ténèbres n’ont jamais eu de signification religieuse. Elles ne sont présentes que pour exalter notre besoin de lumière. Le secret lui-même est lumière. Rabbi Baal Chem Tov fait remarquer qu’en numérologie, les lettres qui constituent le mot or (lumière) sont équivalentes à celles qui constituent le mot sod (secret).
(à suivre)
Olivier Ypsilantis