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En lisant Léon Askénazi – 7/7 (La parole et l’écrit – Penser la tradition juive aujourd’hui)

 

« Puisque le pape nous y oblige… » (publié dans Le Nouvel Observateur, en août 1989) :

Suite aux propos du pape Jean-Paul II concernant les Juifs, propos tenus à la veille de Tisha-beav (jour qui commémore la destruction du Temple et l’exil) et qui relèvent de cette théologie négative, support d’un antijudaïsme séculaire, Léon Askénazi encourage le dialogue entre les hommes de bonne volonté, les relations d’individu à individu, et il déclare : « Nous, Israéliens, nous ne sommes plus des Juifs de ghettos ou des Juifs de cour. Nous pouvons dire, haut et clair, ce que nous avons à dire. Nous le ferons désormais. Cela blessera sans doute des consciences : mais nous ferons connaître publiquement le côté antijudaïque de la foi chrétienne. (…) Dorénavant, nous n’accorderons de valeur positive au christianisme que s’il est épuré de son antisémitisme. »

A noter que l’antisémitisme théologique débouche sur une reformulation exclusivement sociologique (et politique). La forte présence culturelle des Juifs dans les pays d’exil a toujours provoqué un antisémitisme exterminateur : de la symbiose judéo-espagnole à l’Inquisition ; de la symbiose judéo-allemande au nazisme.

 

 

« Israël et l’Église » (publié dans Cahiers sioniens, en juin-septembre 1953) :

Avec la naissance du christianisme, une autre histoire du « salut » commence. Mais, dans l’essentiel, la même nouvelle est annoncée aux nations. Le Dieu d’Israël est reconnu comme Père du monde et « au-delà des frontières d’Israël ». L’homme n’est pas orphelin et, quelles que soient ses fautes, il peut être racheté et sauvé.

Le peuple hébreu a été chargé de cette nouvelle, lorsque Dieu l’a nommé dès sa sortie d’Égypte « Peuple de prêtres et nation sainte » et qu’il a reçu la loi de Moïse pour tenir ce rôle. Le christianisme a étendu cette nouvelle aux nations, au nom de Dieu, certes, mais par une alliance nouvelle et par d’autres voies que celles de la Torah. Israël s’est vu alors mis à part de sa propre mission, et doublement. De ce fait, le messianisme dût agir à deux niveaux : présenter Israël à Dieu comme peuple d’authentiques serviteurs de la loi de Moïse mais qui a démérité, Israël qui se retrouve comme peuple de prêtres lié aux nations pour le salut desquelles les pères ont été sauvés.

Pour le peuple juif, le dessein de Dieu n’est pas encore réalisé. L’engendrement du « fils de l’homme » (l’homme unifié) est en cours et Israël dispersé se prépare à la mission ordonnée par Moïse. L’Église attend le même avènement.

L’unification des spécificités chrétiennes pourrait préparer l’avènement du « royaume » comme le préparerait le rassemblement des nations selon la tradition juive. La multiplicité de ces dernières se reflète dans le peuple d’Israël, un peuple lui aussi divisé. L’espérance messianique, tant juive que chrétienne, consiste dans l’unification de l’humanité, une unification qui dépend de l’unité du peuple de Dieu, soit de la réintégration en Israël de tous ceux qui ont accepté le statut de lévite. « Ce “retour” correspond littéralement aux conditions mêmes de la naissance d’Israël, formé en Abraham, en Isaac et Jacob par le rassemblement des “étincelles de sainteté” éparses chez les nations. Tant que ce rassemblement n’est pas réalisé, Israël n’est pas “entier”. L’Être à qui la promesse a été faite n’est pas encore présent ». Les nations ont proposé avec insistance, voire avec violence, la réalisation du message qu’Israël portait depuis ses débuts. Israël l’a refusée comme anticipée, imparfaite. Et, en même temps, Israël n’aura cessé de demander : « Jusqu’à quand ? » Le vrai mystère d’Israël est peut-être là. Ce « Jusqu’à quand ? » face à toutes les tentatives universalistes humaines (et pas seulement chrétiennes) faites au nom de Dieu – ou contre Lui.

 

« Il était une foi » (publié dans L’Express, en décembre 1987) :

La Shoah a stupéfié le Chrétien. Pourtant, elle a une généalogie… « Quand le Chrétien a vu le nazi faire ce que l’Église prêchait – sans aller jusqu’à le commettre à ce niveau… » Le Chrétien s’est alors penché sur l’antisémitisme de la catéchèse. « Il y a, sans le moindre doute, un parti pris anti-judaïque dans les Évangiles eux-mêmes, dans les actes fondateurs de la religion chrétienne, qui voulait se substituer à un Israël déchu. »

La théologie juive et la théologie chrétienne sont fort différentes, mais elles convergent sur la moralité. Avec l’islam, c’est l’inverse : théologies compatibles mais conceptions opposées de la moralité.

La théologie du judaïsme dans l’Église est exclusivement négative. La survivance du peuple hébreu perturbe ; et la fondation d’un État juif en Israël (avec retour des Juifs à Jérusalem) dérange toute une vision de l’histoire, une vision eschatologique. L’Église pourra-t-elle enfin s’envisager comme une diaspora d’Israël ? Cela viendra peut-être, moyennant des aménagements théologiques et politiques considérables.

Le dialogue judéo-chrétien ne peut faire abstraction des relations entre l’État hébreu et l’Église chrétienne.

« Le dégel des échanges judéo-islamiques pourrait se faire à travers les théologiens chrétiens. Puisque, en fin de compte, si paradoxal que cela puisse paraître, l’antijudaïsme musulman est d’origine chrétienne… »

 

« Rencontre judéo-musulmane » (publié dans Bulletin du Cercle Saint-Jean-Baptiste, en juin-juillet 1966) :

Le dialogue entre Juifs et Musulmans doit être abordé au niveau théologique.

Première remarque. Le problème essentiel des rapports entre ces deux religions est l’élucidation de ce que les Juifs entendent par notion d’alliance entre le Dieu d’Abraham et la société d’Israël, peuple de prêtres pour les autres nations, une promesse qui, selon la Bible, n’a pas été faite à Ismaël. « Il m’a semblé personnellement que la pierre d’achoppement entre l’islam et le judaïsme a été (…) ce problème de la spécificité religieuse d’Israël du point de vue de son élection en tant que peuple de l’alliance ». L’islam s’attribue depuis sa naissance la prérogative de l’universalisme religieux, direct et immédiat, d’où cette quantité de problèmes historiques et politiques qui, aujourd’hui encore, ont une gravité exceptionnelle.

Deuxième remarque. De l’extrême difficulté du dialogue avec l’islam (c’est-à-dire la diaspora du judaïsme à travers les tribus arabes) dès que se pose un problème historique, terrestre, temporel, politique. Or, les exégètes juifs ont remarqué depuis longtemps que le seul personnage de la Bible dont on parle mais qui ne parle jamais est Ismaël. Il ne parle pas, il prie. Et la Bible dit (avec autorité) que sa prière est importante. Il serait donc bon que Juifs et Musulmans commencent à se rencontrer sur l’expérience de la prière, « plus intime entre Musulmans et Juifs qu’entre Chrétiens et Juifs », même si la prière ne signifie pas exactement la même chose pour les uns et les autres.

Troisième remarque. « Les Juifs savent que c’est une façon de parler de dire que l’islam se présente théologiquement comme un universalisme direct ; c’est un universalisme concret pour une partie de l’humanité, mais cet universalisme passe d’abord au travers de la spécificité de l’âme arabe : c’est extrêmement important ». Léon Askénazi invite à l’étude et les uns et les autres afin de comprendre la nature réelle des différences qui opposent la descendance d’Ismaël à l’une des descendances d’Abraham. Il faut que Juifs et Musulmans confrontent les textes qui dans la Bible et le Coran narrent l’histoire de la famille d’Abraham. Ce n’est que « dans l’étude fervente, fraternelle, amicale mais sérieuse » que le différend pourra être compris, intégré, surmonté. Il faut enfin comprendre pourquoi notre époque a vu la Shoah, le « plus effroyable des massacres perpétré par l’antisémitisme dans cet Occident éduqué par la religion chrétienne », la Shoah qui fut aussitôt relayée par la rage de l’autre diaspora d’Israël – l’islam – qui se jeta sur les survivants de ce massacre.

Olivier Ypsilantis

 

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