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En lisant « Le nouveau bréviaire de la haine. Antisémitisme & antisionisme » de Gilles William Goldnadel – 1/3

 

« L’antisémitisme n’est pas seulement, comme nous l’avons écrit plus haut, une midinette qui court futilement après la mode. C’est aussi une fille de joie – ou plutôt de malheur – qui se tient toujours du côté du manche. Lorsque le pouvoir est religieux, l’antisémitisme est religieux. Lorsque le pouvoir est politique, l’antisémitisme est politique. Lorsque le pouvoir est nationaliste, l’antisémitisme l’est aussi. Lorsque le pouvoir politique est affaibli, l’antisémitisme court après le vrai pouvoir, aujourd’hui atomisé (médiatique, intellectuel, etc.). » Gilles William Goldnadel

« On constate la permanence du thème fondateur de l’antisémitisme chrétien sur le mythe du peuple juif déicide. De nombreux auteurs anti-israéliens (restons aimables) comme Paul-Marie de La Gorce, pour ne citer que le plus talentueux, n’ont pas hésité à comparer le peuple arabe de Palestine à Jésus le crucifié (Paris-Match).

Il y a quelques années, fin décembre, la première chaîne publique de télévision française indiquait sans vergogne que les soldats israéliens qui montaient la garde en armes devant les lieux saints chrétiens de Jérusalem “avaient, pareils à l’armée romaine, violé la trêve de Noël…” Un peu comme si les gendarmes postés le jour du grand pardon devant la synagogue de la rue Copernic violaient la trêve de Kippour…

Beaucoup plus récemment, sur les ondes radiophoniques d’Europe 1, Mme Catherine Ney, généralement beaucoup mieux inspirée, comparait le petit Mohamed tué dans une fusillade qui a fait le tour du monde en boucle au petit Gavroche inconnu du ghetto de Varsovie qui vient d’être capturé par les nazis… Comparaison hallucinante qui montre les ravages du séisme, notamment sur l’intelligence française…

Une telle thèse n’aurait pas rencontré ce franc succès si l’Europe n’était pas restée, au-delà des apparences, fondamentalement chrétienne ; et la France, fille aînée fidèle de l’Église catholique et romaine. » Gilles William Goldnadel   

 

 Gilles William Goldnadel (né en 1954)

 

J’ai lu les « Les martyrocrates. Dérives et impostures de l’idéologie victimaire » de Gilles William Goldnadel (publié en 2004) avant de lire le présent livre (publié en 2001). Dans le livre publié en 2004, il est souvent question du livre publié en 2001 ; c’est pourquoi j’ai voulu en rendre compte. Je ne cache pas ma grande proximité avec les sentiments et les analyses relatives à l’antisémitisme et l’antisionisme de cet avocat pénaliste. Je ne suis pas juif et ma vie a probablement peu à voir avec la sienne, et pourtant…

Premiers avertissements

Par son titre même, ce livre est un hommage à une étude de référence sur l’antisémitisme, soit « Bréviaire de la haine. Le IIIe Reich et les Juifs » de Léon Poliakov, publié en 1951. Léon Poliakov, nous dit Gilles William Goldnadel, a connu l’antisémitisme traditionnel, soit « l’antisémitisme de papa » (voir le titre du troisième chapitre du livre qui fait l’objet du présent article), un antisémitisme qui malgré sa désignation goguenarde pouvait se montrer terriblement meurtrier. La génération des enfants de Gilles William Goldnadel (né en 1954) expérimente « l’antisémitisme renouvelé », essentiellement d’origine islamiste. Gilles William Goldnadel se trouve entre ces deux générations, aussi peut-il bénéficier d’un point de vue panoramique.

Gilles William Goldnadel s’empresse de nous signaler que cet essai n’est pas une leçon de morale faite aux antisémites. L’antisémitisme est une perversion comme l’est le racisme. Gilles William Goldanel se garde donc de donner des leçons d’antisémitisme et d’antiracisme et, ainsi, de se retrouver dans la position de ceux qu’il dénonce, si prompts à donner des leçons. Il nous rappelle, le sourire en coin, que la discrimination même positive reste de la discrimination.

Cet essai se propose d’analyser la haine antisémite et antisioniste et de démontrer que la haine envers le peuple juif (un peuple qui fut des siècles durant exclusivement diasporique) et que la haine envers Israël – l’État juif – se fondent jusqu’à constituer un matériau homogène et terriblement malléable.

Ce qu’écrit Gilles William Goldnadel me confirme dans une analyse que je m’efforce de faire partager au fil d’articles, à savoir que l’antisémitisme est porté par des propagateurs virulents relativement peu nombreux en regard de la masse qui se laisse pénétrer, sans-trop-y-penser, par cette virulence. Faut-il plaindre la masse, plus bête que méchante ? Probablement. Mais si les antisémites méritent généralement la pitié, l’antisémitisme n’appelle que l’intransigeance.

L’antisémitisme mute, mais si ses thèmes centraux – vitaux pourrait-on dire – ne cessent d’évoluer, sa méthode reste la même. Et Gilles William Goldnadel pose la remarque suivante (que je partage depuis que j’ai l’âge de raison, pourrait-on dire), à savoir qu’un certain antisionisme (ou anti-israélisme) est la version masquée de l’antisémitisme multiséculaire, un certain car la critique de tel ou tel gouvernement israélien est parfaitement légitime aussi longtemps qu’elle ne masque pas une dénonciation d’Israël en tant qu’État libre et souverain, en tant qu’État juif.

État des lieux (2001)

Un travelling en accéléré des dires et des faires antisémites/antisionistes au cours de l’année 2001. Je passe sur une longue énumération dans laquelle le quotidien Le Monde est en bonne place, un quotidien qui n’est que le reflet d’un conformisme bourgeois et d’un confort parisien.

Le constat à partir de ce travelling (en accéléré) : Premièrement, ces dires et ces faires proviennent pour l’essentiel des milieux arabo-musulmans ou de l’extrême-gauche. Deuxièmement, ils ne rencontrent que de la passivité, voire de la complaisance de la part des milieux intellectuels, des organisations antiracistes et de l’État républicain. Mais lorsqu’un antisémite réel ou supposé provient de milieux traditionnels ou de l’extrême-droite, c’est l’affolement et on alerte. Les exemples ne manquent pas à ce sujet. Or, le constat est implacable : les victimes juives, et en dehors même du Proche-Orient, sont le fait du terrorisme islamo-palestinien et de ses relais d’extrême-gauche.

Les oripeaux du vieil antisémitisme de papa (1870-1970)

1873, Wilhelm Marr publie un pamphlet dans lequel est utilisé pour la première fois le terme « antisémite ». L’antijudaïsme, ce virus, mute. Les Juifs sont sortis de leur ghetto. Leur agilité intellectuelle (qu’explique en partie le pilpoul) et leur rage de minorité méprisée vont activer leurs énergies. Leur sortie de l’abaissement et leur élévation sociale vont indisposer, à commencer par l’Église, puissance dominante mais dont l’influence impériale est toutefois entamée ; aussi est-elle contrainte de la partager avec le socialisme et le nationalisme, établissant ainsi un pouvoir triangulaire et équilibré qui va structurer l’image du Juif dans l’inconscient collectif. Le déclin de la religion a entraîné un déclin de l’antijudaïsme religieux mais l’image du Juif déicide reste, en substrat. Le Juif qui a quitté le shtetl se prend à espérer. En 1871, Heinrich Graetz, à la fin du onzième volume de son « Histoire du peuple juif », se montre optimiste – le pauvre…

Des pays parmi lesquels l’Autriche, la Russie, l’Allemagne et la France célèbrent l’amour de la patrie, de la terre et des ancêtres. Le Juif cherche sa place. Certes, il est émancipé en tant qu’individu mais il s’efforce de se faire vraiment accepter dans l’espace national. Vient l’affaire Dreyfus. Les Juifs de France (les Israélites disait-on alors), épris de ce pays, de ses grandes et belles idées, jugent que l’antisémitisme est venu de l’ennemi, l’Allemagne. Ils se trompent. La littérature antisémite prolifère en France, entre l’inclassable Édouard Drumont et le fouriériste Alphonse Toussenel qui sécularise – et, ainsi, réactive – les stéréotypes hérités de l’antijudaïsme. L’antisémitisme racial et pseudo-scientifique se voit activé, et pas seulement en France. Ces théories sur fond de menace bolchevique, d’humiliation allemande (suite au traité de Versailles) et de détresse économique et sociale vont favoriser une croissance vénéneuse. Le capitaine Alfred Dreyfus (issu de la grande bourgeoisie et seul Juif présent dans l’état-major) va être présenté à la nation comme un traître vendu à l’ennemi… Et cet officier amoureux de la France refusera toujours d’attribuer son malheur à la haine du Juif.

La visibilité du Juif dans nombre de domaines prestigieux va irriter. Comment se fait-il qu’il accumule tant de succès ? Des scandales dans lesquels des Juifs sont compromis (pensons notamment à l’affaire Stavisky, 1934) vont activer une suspicion largement partagée. Les banquiers juifs (on les énumère) sont présentés comme les maîtres du monde. Le socialisme marxiste vient « enrichir » l’antisémitisme. Et c’est un Juif, saturé de préjugés antisémites, qui systématise et théorise l’association du Juif de tous les jours (et non pas le Juif du sabbat) et l’Argent – son Dieu. Karl Marx s’inscrit dans un courant d’idées (qui intègre de nombreux intellectuels allemands) selon lequel résoudre le problème juif reviendrait à résoudre les problèmes de l’humanité…

L’antisémitisme était quelque peu anémié ; il va retrouver de la vigueur grâce à des transfusions d’antisémitisme social et socialiste. L’antisémitisme chrétien bien qu’affaiblit exerce encore une influence marquée. A la force des Églises s’ajoute un phénomène de capillarité qui fait passer l’ancien dans le nouveau. Voir notamment l’accusation de crimes rituels. Et n’oublions pas l’enseignement du mépris, officialisé jusqu’au concile Vatican II. L’antijudaïsme religieux va appuyer ces deux antijudaïsmes renouvelés, national et social. De l’émancipation du Juif à l’émancipation d’un antijudaïsme qui donnera l’antisémitisme national-socialiste.

Le Juif étant déclaré adorateur de l’Argent, l’antisémite sera logiquement l’ami du pauvre… Les pouvoirs du moment, religieux ou politiques, l’offrent à la vindicte de celui qui souffre, qui se plaint et qui est plaint… L’antisémitisme est irrationnel ; comment donc raisonner avec lui ? Il ne cesse de se contredire. Il est mystificateur et superlativiste. Est-ce la raison pour laquelle il est toujours moderne, le Juif étant toujours plus ou moins considéré comme un archaïsme ? Le Verus Israel – la « Nouvelle Alliance » – met au placard l’Alliance qui l’a précédé. Mahomet dépité de n’avoir pu convertir les Juifs stigmatise leur archaïsme. L’Église catholique, apostolique et romaine ainsi que Martin Luther vont dans le même sens.

Bref, les Juifs sont déclarés traîtres, enfermés en eux-mêmes, tandis que Chrétiens et Musulmans déclarent respirer l’air du large à pleins poumons et être les porteurs de l’amour universel. Les jeunes ne sont pas insensibles à ce schéma mental qui met en scène un vieux peuple accusé d’avoir assassiné l’Espérance incarnée, un jeune homme mort sur la croix. Parmi les Croisés les plus féroces envers les Juifs, les Pastoureaux de la septième Croisade (XIIIe siècle). Et les porteurs des Lumières, XVIIIe siècle, ces célébrants des Temps modernes, se saisissent du déclin de Dieu pour dénoncer ce vieux peuple toujours présent. Cette générosité, ces idées démocratiques qui avaient abattu les murs du ghetto n’inquiètent ni l’aristocratie progressiste ni les tenants d’une société étatisée.

Karl Marx s’insurge contre le Juif qui n’adhère pas à sa dialectique et, de ce point de vue, il se comporte comme les fondateurs du christianisme et de l’islam, saint Paul et Mahomet. Et puis il y a les promoteurs de l’Ordre nouveau qui utilisent le Juif comme un repoussoir afin de mieux exalter leurs « valeurs ». Adolf Hitler le révolutionnaire a d’abord séduit la jeunesse en lui désignant un avenir prométhéen, le reste a suivi… Cette haine de l’ordre ancien a poussé des jeunes vers l’extrême-gauche (parmi lesquels ceux de la bande à Baader, d’Action directe ou de l’Armée rouge japonaise) à s’en prendre aux Juifs. Ils sont sans le savoir les héritiers en ligne directe des Jeunesses hitlériennes. A présent, nombre de jeunes jugent ringard voire raciste qu’Israël défende son indépendance et ses frontières tandis que les revendications identitaires des Arabes de Palestine sont portées aux nues. L’antisémitisme est devenu fashionable. L’antisémitisme n’est pas exclusivement un truc de vieux, il est aussi un truc de jeune, il est éternellement jeune…

 (à suivre)

Olivier Ypsilantis

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