8 – L’ultra-gauche, terrain favorable au révisionnisme, puis au négationnisme (de la décennie 1960 à la fin des années 1990)
Fascinés par Céline et le non-conformisme, des anarchistes hostiles à l’antifascisme
Au cours de la guerre des anarchistes ont participé à la Résistance, d’autres ont été attentistes voire proches de la Collaboration. Le mouvement anarchiste ne peut revendiquer aucune action collective contre le nazisme.
Des anarchistes éprouvent de la sympathie pour Louis-Ferdinand Céline qui jusqu’en 1936 apparaît comme anticolonialiste et antimilitariste, un pacifiste viscéral. A son retour d’U.R.S.S., Céline exprime son dégoût, ce qui ne déplaît pas aux anarchistes. Au cours de son jugement, il justifie son antisémitisme par son pacifisme intégral. Parmi ceux qui s’expriment en faveur de Louis-Ferdinand Céline, Paul Rassinier et Albert Paraz qui entretiennent une correspondance jusqu’à la mort de ce dernier, en 1957. Au début des années 1950, Paul Rassinier commence par traiter du ‟problème concentrationnaire” dans ‟Le Libertaire”, avant de dénoncer les communistes comme des auxiliaires des nazis dans les camps. Lors de la parution du ‟Mensonge d’Ulysse”, ‟Le Libertaire” défend son auteur tout en prenant ses distances envers l’auteur de la préface, Albert Paraz.
Paul Rassinier est donc proche des anarchistes avant son exclusion de la S.F.I.O. Il a très vite compris la parfaite complémentarité entre l’extrême-droite et l’extrême-gauche ; c’est pourquoi il vise à amplifier son lectorat en se servant de publications qui émanent de ces deux tendances et qui toutes sont hostiles à la Résistance et viscéralement anticommunistes. Parmi ceux qui l’influencent, citons le très prolixe Albert Louzon qui publie notamment dans ‟La Révolution prolétarienne” et Félicien Challaye, également proche de cette revue jusqu’en 1959.
Robert Louzon maintient ses analyses sur la question juive
La guerre n’a pas fait dévier Robert Louzon sur la question juive et le sionisme. Son analyse économique du nazisme pourrait être regardée comme l’un des fondements d’une argumentation qui sera utilisée par les négationnistes. S’appuyant sur un marxisme sommaire, Robert Louzon reprend l’image du Juif nécessairement nanti et oublie le prolétariat juif, si nombreux. Contrairement à ce qu’il affirme, le nazisme ne procède pas exclusivement de la volonté d’établir une économie corporative, opposée à la liberté économique si favorable aux Juifs. Une fois encore la spécificité du nazisme — son antisémitisme radical — n’est même pas évoquée.
La Révolution polétarienne : proche de Rassinier, mais diverse sur la question juive
En 1962, ‟La Révolution prolétarienne” affirme que quelles que soient ses divergences avec Paul Rassinier (voir notamment la polémique avec Maurice Chambelland et Maurice Guérin), elle entretient avec celui-ci une relation cimentée par le non-conformisme. Depuis huit ans, Paul Rassinier, en relation avec Henry Coston (un antisémite impénitent), est un proche de ‟La Révolution prolétarienne”. Certes, des collaborateurs de cette revue ne baignent pas dans ce jus ; citons à ce propos Roger Hagnauer qui, entre autres remarques, signale que Karl Marx et Robert Louzon ont apporté à un certain ‟antisémitisme instinctif” un fondement doctrinal qui explique que des militants aient fait preuve de ‟complicité passive” face à la persécution des Juifs, au cours de la Seconde Guerre mondiale. Ci-joint, un lien sur Roger Hagnauer et un autre sur sa femme, Yvonne :
http://www.ajpn.org/personne-Roger-Hagnauer-103.html
http://www.meirieu.com/PATRIMOINE/hagnauer.htm
Pacifistes et objecteurs de conscience
A partir de 1954, Paul Rassinier est, aux côtés de Félicien Challaye, de Jean Galtier-Boissière et d’anciens pacifistes intégraux des années 1930, l’un des animateurs du Comité national de résistance à la guerre et à l’oppression (C.N.R.G.O.) qui publie ‟La Voix de la paix”. Ce journal fait des critiques favorables des ouvrages de Paul Rassinier, en particulier ‟Le Parlement aux mains des banques”. Il n’est pas le seul. Deux ans plus tard, ce même journal vante le livre de Henry Coston, ‟Les Financiers qui mènent le monde”, inspiré de Paul Rassinier qui lui-même s’est inspiré de Henry Coston… Les objecteurs de conscience sont alors proches des pacifistes. Depuis la fin des années 1950, Paul Rassinier siège au comité de patronage du Secours aux objecteurs de conscience, un comité qui publie ‟Liberté” à partir de 1958 et dont les dérapages antisémites (le vieil antisémitisme économique de gauche) nécessiteraient un article à part tant ils sont nombreux. L’antisémitisme économique colle encore à la peau de certains militants qui se laissent aller à des propos qui ne sont pas condamnés au nom de l’anticonformisme et de la liberté de penser. Par ailleurs, ces mêmes militants ne s’émeuvent guère lorsque des anarchistes, des pacifistes ou des objecteurs de conscience se retrouvent en compagnie de l’extrême-droite.
Les dernières années de Rassinier et le tournant de 1967
Fin 1960, lorsqu’il s’avère que Paul Rassinier a publié ‟Le Mensonge d’Ulysse”, en Allemagne, chez un éditeur néo-nazi, de nombreux militants de la Fédération anarchiste refusent de le condamner. En 1964, suite à un procès intenté par Paul Rassinier à Bernard Larache, l’avocat de ce dernier déclare publiquement que sous le nom de Jean-Pierre Bermont de ‟Rivarol” se cache Paul Rassinier, ce qui n’empêchera pas ‟La Voix de la paix” de l’Union pacifiste d’avoir des mots élogieux à la mort de celui-ci, en juillet 1967 : un ‟homme droit, intègre et courageux”, animé jusqu’à son dernier souffle du ‟véritable idéal socialiste”. Michel Dreyfus écrit : ‟Marquée par le pacifisme, l’anticommunisme et un antisémitisme latent remontant à la fin des années 1930, voire avant, la démarche de Paul Rassinier reste incomprise en raison de sa nouveauté, à l’heure où l’histoire du génocide ne suscite qu’un intérêt secondaire en France. La mort de Paul Rassinier correspond à la fin de la première phase de l’histoire du négationnisme, une fin qui s’explique pour diverses raisons, tant nationales qu’internationales, en particulier la guerre des Six-Jours puisque l’image des Juifs passe du statut de victimes à celui de vainqueurs. L’image du Juif cherchant à dominer le monde va être réactivée, en particulier dans des groupuscules de l’ultra-gauche. Le négationnisme, qui s’explique par l’émergence d’une nouvelle génération d’extrême-droite, a aussi ses origines dans ces analyses émanant de l’ultra-gauche.”
Les héritiers intellectuels de Rassinier : Pierre Guillaume et La Vieille Taupe
En 1965, Pierre Guillaume fonde la librairie militante ‟La Vieille Taupe” qui va peu à peu devenir un lieu de rencontre de l’ultra-gauche radicalement hostile au stalinisme. Il semble que lui et ses collaborateurs aient découvert ‟Le mensonge d’Ulysse” dans un numéro de ‟La révolution prolétarienne”. Le rôle qu’attribue Paul Rassinier aux communistes dans l’univers concentrationnaire conforte l’anti-stalinisme de Pierre Guillaume et ses proches. A partir de 1970, ‟La Vieille Taupe” va assimiler les thèses de Paul Rassinier.
C’est alors que les animateurs de ‟La Vieille Taupe” découvrent un écrit, ‟Auschwitz ou le grand alibi” (1960) d’Amadeo Bordiga (1889-1970), l’un des trois fondateurs du Parti communiste italien. Ce texte va devenir l’une des référence du négationnisme. Amadeo Bordiga ne remet pas en cause la réalité du génocide mais le présente d’un point de vue exclusivement matérialiste : ce n’est pas l’antisémitisme qui l’explique mais les besoins du capitalisme : les Juifs étaient devenus inutiles à la bourgeoisie allemande. Robert Louzon a-t-il lu ce texte d’Amadeo Bordiga ? On se souvient que selon Robert Louzon, Hitler voulait rétablir l’économie corporative et, pour ce faire, il devait préalablement se débarrasser des Juifs, représentants de l’économie libérale. Bref, selon ces deux ‟penseurs”, l’économique (et plus généralement les lois de l’histoire définies par Karl Marx) expliquerait le génocide.
L’ultra-gauche des années 1970 (qui s’interroge sur les modalités de passage du capitalisme industriel au capitalisme financier en s’appuyant sur une lecture sommaire de Karl Marx) s’éprend du texte d’Amadeo Bordiga qui, comme Robert Louzon, adopte un point de vue essentiellement économiciste et, de ce fait, ne peut appréhender la spécificité du nazisme. Par ailleurs, cette ultra-gauche (tout comme des anarchistes et des pacifistes de l’après-guerre) refuse radicalement l’antifascisme dans lequel les partisans d’Amadeo Bordiga voient une sorte d’union sacrée qui permet à la bourgeoisie de paralyser le prolétariat.
Ce texte d’Amadeo Bordiga suscite peu d’intérêt à sa parution. Mais lorsqu’il rencontre la ‟pensée” de Paul Rassinier, il se trouve propulsé. Les États-Unis bombardent le Vietnam. Des groupes de l’ultra-gauche assimilent la conduite américaine à celle des nazis au cours de la Deuxième Guerre mondiale ou des Français au cours de leurs guerres coloniales. Selon eux, l’antifasciste ne sert qu’à masquer les crimes du capitalisme. Dans un tel contexte mental, la Shoah se voit banalisée à un moment où s’impose l’image du Juif fort (très irritante pour beaucoup), avec la guerre des Six-Jours. Pierre Guillaume se saisit de l’idée selon laquelle l’antifascisme est le principal ennemi de la théorie révolutionnaire, un postulat qui le conduira au négationnisme. Un nouvel intervenant va épaissir la soupe : Robert Faurisson. Lors d’un colloque, début 1978, à l’université de Lyon, il fait scandale en déclarant que le génocide des Juifs n’est qu’un mythe propagé par les Juifs, un mythe qui profite essentiellement à l’État d’Israël. Ce scandale apporte une certaine notoriété à l’individu.
Du révisionnisme au négationnisme
Pierre Guillaume décide de soutenir Paul Rassinier et ‟La Vieille Taupe” passe du révisionnisme au négationnisme, le négationnisme qui va permettre à Pierre Guillaume de conforter sa vision du sionisme considéré comme une idéologie raciste, fasciste et génocidaire. Le nazisme se trouve donc relativisé. Sétif et Madagascar valent bien les camps de concentration nazis. Allemands, Russes, Polonais et Ukrainiens n’ont-ils pas autant souffert que les Juifs ? Ce discours séduit Vincent Monteil, spécialiste de l’islam, ainsi que des individus proches de la ‟La Vieille Taupe”, dont Jean-Gabriel Cohn-Bendit (le frère de Daniel Cohn-Bendit) qui apporte son soutien à Paul Faurisson au nom de la liberté d’expression. Et puisqu’il faut savoir laisser la parole à ses ennemis, je mets en lien le n° 4 (juin 2005) de la revue d’histoire révisionniste ‟Dubitando” dans laquelle passent certaines figures évoquées ci-dessus :
http://www.partiradicaldefrance.com/dubitando04.pdf
Ci-joint, une notice sur Jean-Gabriel (Gaby) Cohn-Bendit, moins connu que son frère, sur ‟Le Blog Inofficiel Robert Faurisson” :
http://robertfaurisson.blogspot.com.es/1999/11/le-revisionnisme-actif-de-jean-gabriel.html
Cette volonté de bousculer les idées reçues ne s’embarrasse guère des travaux des historiens. Il est vrai que les révisionnistes, les négationnistes, les non-conformistes et j’en passe, bénéficient en France, dans les années 1960-1970, de l’insuffisance des travaux historiques sur le nazisme et Vichy. Les études de Robert Praxton et Michael Marrus vont changer la donne.
Le 3 octobre 1980, l’attentat contre la synagogue de la rue Copernic provoque une émotion considérable. On défile au cri de ‟Le fascisme ne passera pas”. L’attentat n’est pourtant pas le fait de l’extrême-droite mais des Palestiniens…
Dans l’ultra-gauche, l’analyse selon laquelle le capitalisme (la bourgeoisie démocratique) se sert d’Auschwitz comme d’un alibi destiné à masquer ses crimes s’accompagne de la dénonciation de l’État d’Israël, considéré comme le principal bénéficiaire du ‟mythe” — les six millions de victimes. Entre en scène un nouvel acteur du négationnisme, Henri Roques, auteur d’une thèse sur Kurt Gerstein, soutenue le 15 juin 1985, à l’université de Nantes.
Ci-joint, une interview avec Robert Faurisson (durée environ 36 mn) qui permet de mieux pénétrer la mentalité révisionniste-négationniste :
www.youtube.com/watch?v=Mar5R12bT8c
L’intégralité de la thèse de Henri Roques, intitulée ‟Les confessions de Kurt Gerstein – Étude comparative des différentes versions”, est consultable en ligne.
En mai 1987 a lieu en France le premier procès pour crime contre l’humanité. Klaus Barbie est défendu par Jacques Vergès qui reste fidèle à la stratégie qu’il avait suivie pour défendre les militants du F.L.N. à la fin des années 1950 et qui comparait les violences de l’armée française en Algérie à celles des nazis contre les Juifs. Sa haine anticolonialiste l’amène à soutenir la cause palestinienne dans les années 1970. Rappelons à tout hasard que c’est par le banquier François Genoud que Jacques Vergès s’est retrouvé associé à ce procès.
La complaisance d’une petite frange d’extrême gauche à l’égard du négationnisme dans les années 1980 et 1990.
Au cours de la décennie 1980-1990, des membres de l’extrême-gauche restent peu regardant envers le négationnisme. A partir de 1992, on assiste aux marges du Parti communiste au phénomène des Rouges-Bruns. Des rapprochements s’opèrent entre l’extrême-droite et certains responsables du P.C.F. ainsi que quelques dissidents de la Ligue communiste révolutionnaire (L.C.R.)
Roger Garaudy, du communisme à la dénonciation du « complot sioniste »
En 1995, aux Éditions de ‟La Vieille Taupe”, Pierre Guillaume publie ‟Les Mythes fondateurs de la politique israélienne” de Roger Garaudy. Je passe sur son parcours, par ailleurs bien connu, pour signaler son engagement aux côtés des tiers-mondistes radicaux qui jugent que l’Occident est le principal responsable des maux dont souffrent les pays en voie de développement, une vision selon laquelle la ‟traite des Noirs éclipse la Shoah”. L’individu juge par ailleurs que le sionisme repose sur une discrimination raciale et isole les Juifs du reste de l’humanité. Il envisage par ailleurs le sionisme comme un phénomène colonial. Et Roger Garaudy nous ressert volontiers du conspirationnisme par des voies diverses. ‟Les mythes fondateurs de la politique israélienne” est un salmigondis comme l’est toute l’œuvre de Roger Garaudy, avec ce bavardage et ce manque de rigueur lorsqu’on en vient aux sources. Ce bavardage n’aurait pas rencontré un tel succès sans l’appui de l’abbé Pierre, le chouchou des Français.
Michel Dreyfus écrit : ‟Nés sur la base du rejet de la Résistance et de l’antifascisme, le révisionnisme puis le négationnisme connaissent une audience accrue à partir des années 1980. Ils se nourrissent d’une ‟analyse” réductrice du capitalisme et du déni de l’extermination des Juifs durant la Seconde Guerre mondiale. Entre également en jeu une vision particulière du conflit au Moyen-Orient.”
Olivier Ypsilantis