Cinquième partie : l’armée la plus morale du monde ? Tsahal, le droit juif et la guerre.
L’armée d’Israël est elle aussi le champ d’une lutte idéologique avec, une fois encore, l’emprise de la Cour suprême, sous la férule du juge Aharon Barak, et la montée en puissance du courant sioniste-religieux, sans oublier certains acteurs de la vie publique hostiles à ce courant. Cette lutte touche tous les aspects de la vie de Tsahal, à commencer par les normes devant être appliquées en temps de guerre. Droit international ? Torah et droit juif de la guerre ? La remise en question de la moralité des actions de Tsahal ne vient pas que de l’extérieur mais aussi de l’intérieur du pays, des clercs d’Israël héritiers de Brith Chalom pour lesquels l’existence d’une armée juive est contraire au judaïsme.
Tsahal, armée juive ou armée laïque ?
Le grand rabbin de Tsahal, qui est aussi général, Avi’haï Rontski, est l’une des bêtes noires de Haaretz. Sa femme (une soldate de son unité) et lui font partie des fondateurs d’Itamar en Samarie. Avi’haï Rontski évite de s’attarder sur des questions importantes comme la cacheroute ou le shabbat. « Sa conception peut se résumer par l’expression ‟une conscience juive pour une armée victorieuse”, nom du nouveau département qu’il a créé au sein du rabbinat de l’armée ». Il estime que la Torah doit aussi être étudiée sous l’angle militaire, et que cette étude est aussi importante que l’entraînement spécifiquement militaire, de quoi irriter certains acteurs de la vie publique en Israël, à commencer par l’incontournable Haaretz, porte-parole des élites laïques de gauche. Suite à l’opération « Plomb durci », Haaretz redouble ses attaques contre Avi’haï Rontski. Les arguments de Haaretz sont repris par diverses associations d’extrême-gauche israéliennes. Des groupuscules pacifistes réclament la destitution immédiate du grand rabbin de Tsahal, revendication complaisamment reprise dans un éditorial de Haaretz. « Il est important de souligner que toutes ces organisations d’extrême-gauche sont largement financées par le New Israel Fund, dont le budget considérable provient notamment de sources européennes et américaines (comme la Fondation Ford – The Ford Foundation) ». Toutes ces manœuvres sont destinées à barrer la route au sionisme-religieux et à une prise de conscience juive dans Tsahal. Pour Haaretz, il s’agit de défendre sa position dominante dans la société israélienne, principalement au sein des élites laïques ; pour les groupuscules d’extrême-gauche, il s’agit d’affaiblir Israël afin de le forcer à faire des concessions à ses ennemis. A cet effet, ces groupuscules n’hésitent pas à diffuser des accusations de « crimes de guerre » prétendument commis par Tsahal à Gaza.
Le grand-rabbin de Tsahal, Avi’haï Rontski, avec un lien qui conduit au blog de Pierre Lurçat : http://vudejerusalem.20minutes-blogs.fr/archive/2011/10/index.html
Tsahal applique-t-elle trop bien le droit de la guerre face au Hamas ?
Les médias français reprennent à satiété — à plaisir — les accusations lancées contre Tsahal par des ONG radicales israéliennes. Il y aurait un très épais dossier de presse à constituer à ce sujet. Le Monde (qui appartient à la même famille idéologique et, surtout, sociologique que Haaretz) n’est pas en reste dans la diffusion de telles accusations. Par ailleurs, un expert allemand du droit de la guerre, le professeur Wolff Heintschel von Heinegg, déclarait qu’en s’efforçant de minimiser les victimes civiles dans le camp adverse, Israël crée un « précédent déraisonnable pour les autres pays démocratiques ». Alors ?
L’affaire Al-Dura a été analysée par l’historien Richard Landes comme une accusation moderne de crime rituel contre les Juifs. [Avant même de lire Richard Landes à ce sujet, je m’étais fait cette réflexion ; et sans prétendre être un observateur spécialement averti du conflit israélo-arabe, j’avais remarqué que la propagande arabe et palestinienne recyclait volontiers des stéréotypes venus de l’antijudaïme et de l’antisémitisme médiévaux chrétiens. A ce propos, il faudrait également évoquer les Turcs qui se montrent particulièrement inventifs sur la question]. Mais ce n’est pas tout. Le procédé de l’inversion a été systématiquement activé au cours de l’opération israélienne à Gaza. [Ce procédé a été systématiquement activé il y a quelques décennies, et à une échelle jusqu’alors inconnue, par les agents de Staline ; et il a montré toute son efficacité. L’accusation de « fasciste » — je dis bien « fasciste », très spécifiquement —, reprise en boucle jusqu’à aujourd’hui, procède elle aussi, et directement, des officines staliniennes.]
Le colonel britannique Richard J. Kemp, a-t-il été écouté ? [De nombreuses vidéos où cet officier supérieur s’exprime sur la question sont consultables en ligne.]
Une enquête de Willy Stern pour le Weekly Standart a montré comment Tsahal s’était entouré de précautions, notamment en embauchant des avocats spécialistes du droit de la guerre, une procédure inédite dans des conflits opposant une démocratie à des groupes terroristes djihadistes, un luxe de précautions destiné à atténuer les critiques internationales et médiatiques contre Tsahal. Peine perdue. Mais surtout, et toujours selon l’enquête de Willy Stern, ce luxe de précautions a suscité les critiques de spécialistes du droit international. Ils jugeaient qu’en cherchant à épargner au maximum les victimes civiles à Gaza on risquait « de créer des nouvelles normes impossibles à respecter pour les pays occidentaux en guerre contre la menace terroriste islamiste… »
Colonel Richard J. Kemp (né en 1959)
Bref, dans tous les cas, Israël est critiqué. Israël est presque toujours accusé de « crimes de guerre » mais aussi, plus rarement, d’en faire trop alors « qu’aucune règle du droit international des conflits armés n’oblige un pays à prendre de telles précautions pour minimiser les pertes civiles de l’ennemi, en mettant en danger ses propres soldats ». Et Pierre Lurçat termine ce chapitre sur cette considération [à méditer, dérangeante parce que profondément anti-démagogique : la majorité aime la démagogie qui la conforte dans sa paresse] : « Le regard que le monde porte sur Israël ne dépend pas tant des actions de Tsahal sur le terrain, que de la conscience que les soldats et les dirigeants israéliens ont d’agir de manière morale et juste » ; et il ajoute : « Plus les dirigeants israéliens doutent de la justesse de leur cause, plus ils portent le flanc aux critiques les plus injustifiées (…). A l’inverse, plus Israël affiche sa certitude de combattre pour sa survie en tant que collectivité nationale et pour défendre la vie de ses citoyens, plus le monde le comprendra. »
« Laissez Tsahal vaincre ! » : Comment sortir de la stratégie défensive
L’armée israélienne est une armée exclusivement défensive (contrairement à ce que disent ses détracteurs) ainsi que l’indique la dénomination Tsahal (Tsva Haganah Le-Israel) et IDF (Israel Defense Forces). Il n’empêche qu’au sein de l’appareil militaire et politique, il existe (et avant même la fondation de l’État d’Israël) une relative divergence entre les tenants de la pure défensive et les tenants d’une doctrine plus offensive. Cette différence de doctrine, dont Pierre Lurçat nous donne quelques exemples, pourrait faire l’objet d’un livre à part, avec panorama historique remontant à la scission Irgoun/Haganah. Une constante toutefois, liée à l’exiguïté du territoire [Rappelons aux anti-sionistes enfiévrés qu’Israël est plus petit que l’Empire achéménide et ne fait que deux fois le département de la Gironde, soit environ 20 000 km2] et aux contraintes géo-stratégiques : la stratégie de l’attaque préventive et de la guerre portée en territoire ennemi avec, entre autres exemples, la guerre des Six Jours et l’attaque contre la centrale d’Osirak.
Suite à l’opération au Sud-Liban, Israël hésite. Jusque dans les années 1980, le pays cherche à tracer des frontières défendables ; à partir des années 1990, et avec les Accords d’Oslo, le pays entre dans le processus de « La Paix contre les Territoires », avec retrait sur tous les fronts.
Enivré par les Accords d’Oslo, Shimon Pérès déclara : « A l’heure des missiles, les territoires n’ont pas d’importance… » Non ! Ceux qui vivent sous les tirs du Hamas serreront les poings. Cette déclaration est caractéristique de l’esprit de « La Paix contre les Territoires », inaugurée à Camp David et poursuivie par presque tous les dirigeants israéliens. Dans ce contexte, Benyamin Netanyahou dût s’opposer au retour aux lignes d’avant 1967. Iron Dome n’est qu’un pis-aller qui ne peut effacer le slogan trompeur « La Paix contre les Territoires ».
L’alternative est claire : ou bien on continue à se contenter de protéger les habitants d’Israël avec des systèmes ultra-perfectionnés ; ou bien on choisit de mettre hors de nuire ceux qui tirent sur Israël. « Laissez Tsahal vaincre ! »
(à suivre)
Olivier Ypsilantis