La maison de Rudolf Höss et sa famille à Auschwitz
La logique de Rudolf Höss s’exprime clairement dans les lignes qui suivent : ‟A Auschwitz, par exemple, l’exécution du nouveau plan d’armement entraîna le départ de dizaines de milliers de Juifs, qui malheureusement ne gagnèrent guère au change. On les avait réunis dans la plus grande hâte, avec une précipitation vraiment incroyable, selon les instructions du préposé aux construction du Reich, et ils offraient un aspect vraiment lamentable. Arrivés au lieu de leur destination, ils se trouvaient astreints à un travail pénible et inaccoutumé, tandis que leur nourriture devenait totalement inexistante. Si on les avait expédiés directement dans les chambres à gaz, on leur aurait épargné beaucoup de souffrances. Ils mouraient au bout de très peu de temps sans avoir été de la moindre utilité pour l’industrie de réarmement.” Toute la logique nazie s’inscrit dans cette déclaration. Rudolf Höss ajoute avec son implacable logique : ‟Si on avait suivi mes conseils constamment répétés et si on avait sélectionné à Auschwitz les Juifs les plus forts et les mieux portants, les rapports auraient probablement indiqué un nombre inférieur de travailleurs disponibles ; mais dans ce cas, on aurait obtenu pour longtemps une main-d’œuvre vraiment utilisable. Tandis que maintenant les gros chiffres de ‟disponibles” s’étalaient uniquement sur le papier, en réalité on aurait pu, dès le début, en soustraire un pourcentage considérable. Ces hommes représentaient une charge pour les camps, prenaient la place et la nourriture de ceux qui étaient capables de travailler et ne servaient strictement à rien. Et à cause de leur présence d’autres affamés perdaient la capacité de travailler.” Implacable logique de gestionnaire. Froideur comptable. Aucune haine. Rien que l’efficacité et la soumission à des ordres… qui contredisent l’efficacité parce que contradictoires…
Les bombardement aériens.
Rudolf Höss prend note du grand nombre de victimes parmi les déportés travaillant dans les usines suite aux bombardements alliés. Le commandant du camp d’Auschwitz qui a sa logique (le nazi est quelqu’un de très logique à sa manière) écrit : ‟On m’a toujours accusé de ne pas avoir refusé d’exécuter les ordres d’extermination et d’avoir participé à ces horribles massacres de femmes et d’enfants. Ma réponse, je l’ai déjà donnée devant le tribunal de Nuremberg : que serait-il arrivé à un chef d’escadrille qui aurait refusé de diriger l’attaque sur une ville parce qu’il savait pertinemment qu’aucune entreprise d’armement, aucune installation militaire importante ne s’y trouvait et que ces bombes frapperaient avant tout des femmes et des enfants ?” Cette argumentation est encore mise en avant sur un mode tantôt explicite tantôt implicite par des individus qui s’efforcent de rééquilibrer des sommes de souffrances en partant de prémisses taillées à leur mesure…
L’évacuation des camps de concentration.
C’est probablement la période la plus pénible pour ce haut fonctionnaire du système concentrationnaire qui se veut aussi homme de terrain, homme des tournées d’inspection. Ce bureaucrate assiste à l’effondrement du système concentrationnaire nazi, principalement sous la poussée soviétique. Il a participé à son édification et il en est fier. Il regrette simplement que des directives contradictoires, et au plus haut niveau, aient limité son efficacité, principalement dans la production d’armement.
Où diriger ces colonnes de détenus sans approvisionnement, dans le froid et la neige ? Le chaos est total. ‟Dans les camions découverts, des soldats SS morts reposaient paisiblement entre les corps des détenus. Les survivants étaient assis sur les cadavres et mâchaient leur morceau de pain. C’était un spectacle horrible qu’on aurait pu nous épargner.” Cette dernière phrase provoque chez le lecteur une sorte d’hallucination. Les maîtres-d’œuvre de l’industrie de la mort auraient aimé que le spectacle de la mort leur soit épargné. Ils tiennent à faire savoir qu’eux aussi ont un coeur et qu’il leur arrive d’être perturbés par certaines scènes. Mais dans leur logique, la question de la responsabilité et de la culpabilité ne se pose jamais, ce qui leur permet de poursuivre leur œuvre de mort. Rudolf Höss est un homme d’ordre. Exterminer, oui, si l’ordre lui en est donné, mais en lui épargnant tout désordre — cris et larmes.
Au cours de l’évacuation des camps, il avait donné l’ordre de ne pas abattre les détenus inaptes à poursuivre la marche et de les remettre au Volkssturm, sûrement pas par humanité mais pour ne pas ajouter du désordre au désordre. Il se montre intransigeant et rapporte ce qui suit : ‟J’arrivai juste à temps pour voir un soldat arrêter sa moto et tirer sur un détenu appuyé à un arbre. Je l’interpellai violemment en lui demandant pourquoi il avait abattu ce malheureux dont il n’avait pas la responsabilité. Il me répondit par un rire insolent et me déclara que cela ne me regardait pas. Je tenais mon revolver et je l’abattis à mon tour : c’était un Feldwebel des forces aériennes.” Ce passage mérite que l’on s’y attarde. Rudolf Höss aurait-il agi par pitié envers ‟ce malheureux” ? Rudolf Höss qui a un vieux fond d’honnêteté et d’ingénuité ajoute aussitôt : ‟dont il n’avait pas la responsabilité.” Ce Feldwebel est coupable de s’occuper d’un ‟malheureux” dont il n’a pas la responsabilité, c’est-à-dire d’ajouter du désordre au désordre et, pire, de faire preuve d’arrogance envers un supérieur… Car enfin, que pèse un Feldwebel (adjudant) face à un Obersturmbannführer (lieutenant-colonel) ?
Le rêve d’extermination nazi était un rêve froid, un rêve d’efficacité maximale. Les cris, l’affolement, le sang et j’en passe étaient une atteinte à l’efficacité des abattoirs. Ne pas perdre de temps, tayloriser la chaîne de mort… Par ailleurs, ainsi que nous l’avons vu, il s’agissait d’épargner les nerfs des tueurs, de leur éviter une dépression qui les faisait sombrer dans l’alcoolisme ou qui les poussait au suicide. Les nazis auraient aimé que l’extermination soit aussi rapide et aussi propre que dans nos plus modernes abattoirs…
Bergen-Belsen épouvante Rudolf Höss parce que le désordre y est à son comble. A ce propos, permettez-moi une remarque. Afin de dénoncer l’horreur nazie, on montre volontiers les images des bulldozers poussant des monceaux de corps nus et décharnés vers des fosses, sans toujours préciser en légende que ces images ont été prises à Bergen-Belsen, surpeuplé suite à l’évacuation d’autres camps. Les conducteurs de ces engins de travaux publics sont des soldats britanniques luttant contre une épidémie de typhus. Les poux étaient la terreur des SS. Les témoignages des survivants sont unanimes à ce sujet : ‟Eine Laus – Dein Tod !” (‟Un poux signifie ta mort !”) pouvait-on lire sur les murs de certains camps. Pour tenter d’enrayer l’épidémie, les Britanniques allèrent jusqu’à brûler les baraquements aux lance-flammes. Paradoxalement, cette horreur est le résultat de la désorganisation du système concentrationnaire nazi. Je signale par ailleurs que Bergen-Belsen était un camp très particulier au sein de ce système : il servit notamment au plus fort de la guerre de camp d’échange pour les Juifs des pays neutres. Dans l’enceinte même d’un camp nazi, l’extermination se voulait aussi discrète que possible. Ces images de Bergen-Belsen devenues emblématiques s’inscrivent donc en périphérie de l’entreprise génocidaire nazie.
Mon arrestation.
Rudolf Höss parvient à passer entre les mailles du filet et travaille comme ouvrier agricole dans une ferme des environs de Flensburg, tout près de la frontière danoise. ‟Le 11 mars 1946, à vingt-trois heures, on vint m’arrêter.” Interrogatoires musclés à Heide puis à Minden, centre des interrogatoires de la zone anglaise. Transféré par avion à Varsovie, il arrive à Cracovie le 30 juillet.
Conclusion.
Rudolf Höss se déclare fidèle au Parti mais il se demande si l’extension de l’Espace vital n’aurait pas pu se faire par des voies pacifiques. Il s’empresse toutefois d’ajouter que les guerres sont inévitables et que les camps de concentration sont nécessaires aussi longtemps qu’ils sont destinés à surveiller les ennemis de l’État et qu’ils restent ‟des lieux d’éducation pour les asociaux.” Il déplore que les camps soient devenus des lieux d’extermination directe ou indirecte. Dans une allusion aux prisonniers de guerre soviétiques, il écrit : ‟De toute façon, c’était une erreur de procéder à l’extermination de grandes parties des nations ennemies. On aurait pu réduire les mouvements de résistance par un traitement bienveillant et raisonnable de la population des territoires occupés.” Quant à l’anéantissement des Juifs, il reconnaît que ce fut une erreur totale. Pourquoi ? Rudolf Höss reste égal à lui-même avec sa petite logique implacable qui laisse le lecteur abasourdi : parce que cela a attiré sur l’Allemagne la haine du monde mais, surtout, parce que cet anéantissement ‟n’a été d’aucune utilité pour la cause antisémite, bien au contraire, il a permis à la juiverie de se rapprocher de son but final…” On suffoque à la lecture de telles déclarations, récurrentes dans cette autobiographie. On pourrait croire à de la provocation ; mais non, le commandant d’Auschwitz est un homme honnête et sérieux à sa manière. Si on développait sa dernière considération, on arriverait tout naturellement à la conclusion suivante : ce sont les Juifs eux-mêmes qui ont pensé la Solution finale puisqu’elle les rapprochait de leur but final (!?) On sent une fois encore l’influence des Protocoles (des Sages de Sion) : les Juifs sont tellement puissants que les nazis eux-mêmes n’ont été que leurs instruments. Logique dévoyée, logique infernale… Le nazi est un homme terriblement logique (à commencer par Rudolf Höss).
Rudolf Höss termine son autobiographie en insistant sur le fait qu’il n’a jamais brutalisé personnellement un détenu. De plus hautes instances de la Solution finale comme Heinrich Himmler, Reinhard Heydrich ou Adolf Eichmann auraient pu dire la même chose. Ces hommes ne se sentaient en rien responsables, ils ne faisaient qu’obéir aux ordres, c’est une litanie nazie. Rudolf Höss précise : ‟Je n’ai jamais été cruel et je ne me suis jamais laissé entraîner à des sévices. Bien des choses se sont produites à Auschwitz — soit disant en mon nom et sur mes ordres — dont je n’ai jamais rien su : je ne les aurais ni tolérées ni approuvées.” Il n’est pas nécessaire qu’il insiste, nous le croyons. La cruauté et les sévices sont des marques de désordre, or, redisons-le, Rudolf Höss est un homme d’ordre, un nazi fidèle : ‟Je considère la doctrine philosophique, la Weltanschauung du national-socialisme, comme la seule appropriée à la nature du peuple allemand. Les SS étaient, à mon avis, les défenseurs actifs de cette philosophie et cela les rendait capables de ramener graduellement le peuple allemand tout entier à une vie conforme à sa nature.” Qu’ajouter à de tels propos ? Comment attaquer une pensée aussi fermée, animée par une logique interne simple, dévoyée et efficace dans ses limites ? Que répondre à un homme qui déclare : ‟J’étais un rouage inconscient de l’immense machine d’extermination du Troisième Reich” ? Que répondre à un homme qui termine sa confession sur ces mots : ‟Que le grand public continue donc à me considérer comme une bête féroce, un sadique cruel, comme l’assassin de millions d’êtres humains : les masses ne sauraient se faire d’une autre idée de l’ancien commandant d’Auschwitz. Elles ne comprendront jamais que, moi aussi, j’avais un coeur… ” ?
A ces confessions fait suite une annexe, ‟La «solution finale» du problème juif dans le camp de concentration d’Auschwitz”, rédigée en novembre 1946, des pages riches en détails techniques sur les procédures de mise à mort et d’équarrissage. J’y ai appris qu’après une liquidation massive de Juifs, les montres ordinaires étaient envoyées à Sachsenhausen où des centaines de détenus les triaient et les réparaient et qu’elles étaient envoyées au front pour les besoins de la SS et de la Wehrmacht.
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Ci-joint, quelques liens :
– Le journal d’un SS tenu à Auschwitz, du 30 août au 18 novembre 1942 : Johann Paul Kremer. Le ton est identique à celui de Rudolf Höss. Johann Paul Kremer arrive à Auschwitz le 30 août 1942 pour remplacer un docteur tombé malade. Il se dit bouleversé par les ‟actions spéciales” et tient lui aussi à faire savoir qu’il n’est pas un sadique et qu’il n’éprouve aucune haine envers quiconque, à commencer par les Juifs, qu’il est un nazi korrekt. Ce choc ne l’empêche pas de nous détailler ses menus et de nous décrire son bien-être entre deux exécutions :
http://www.phdn.org/negation/steinberg/journal.html
– Une notice biographique sur Rudolf Höss (en anglais) éditée par ‟Jewish Virtual Library” :
http://www.jewishvirtuallibrary.org/jsource/biography/Hoess.html
– Un court extrait du procès de Nuremberg où Rudolf Höss témoigne (durée 1 mn 42) : ‟On m’avait fait venir à Nuremberg comme témoin à décharge de Kaltenbrunner, sur demande de son défenseur” :
http://www.youtube.com/watch?v=ANEYUQ22VSE
– J’ai hésité à faire figurer le lien suivant dans mon article, avant de m’y résoudre. Les confessions du commandant d’Auschwitz ont apporté de l’eau au moulin des révisionnistes et des négationnistes. Ci-joint, un article trouvé sur le blog de Robert Faurisson intitulé ‟Comment les Britanniques ont obtenu les aveux de Rudolf Höss, commandant d’Auschwitz” :
http://robertfaurisson.blogspot.com.es/1987/05/comment-les-britanniques-ont-obtenu-les.html
– Robert Faurisson s’exprime dans un documentaire intitulé ‟Les aveux de Rudolf Höss” (durée 12 mn 14). Je précise en passant que l’individu Robert Faurisson prend ses présupposés pour des vérités et commet plusieurs erreurs assez grossières par rapport au texte même rédigé par le commandant d’Auschwitz. Lisez le livre en question et comparez avec ce que dit le monsieur :
http://www.youtube.com/watch?v=uFhN6IZRqD4
La stratégie de Robert Faurisson est propre aux révisionnistes et plus encore aux négationnistes : il s’agit d’agir plus ou moins subtilement par rééquilibrage, en montrant que les responsables nazis ont eux aussi souffert. Observez Robert Faurisson, il cherche à nous faire larmoyer sur le sort de Rudolf Höss en commentant des photographies avant de nous les montrer. On retient son souffle, on s’attend à voir un visage tuméfié et ensanglanté, on ne voit qu’un homme au visage un peu fatigué et mal rasé.
– Les images que j’ai placées en header à cette série d’articles font partie du lot des 116 photographies prises entre mai 1944 et janvier 1945 par Karl-Friedrich Höcker, officier SS chargé de l’administration d’Auschwitz, et remises en 2006 au United States Holocaust Memorial Museum (Washington) :
Olivier Ypsilantis