“Le temps du dévoilement est arrivé où le Juif et le Chrétien peuvent se faire face, sans angoisse, sans stratégie aucune, sans que le Chrétien voie dans le Juif un Chrétien en puissance et sans que le Juif voie en lui l’impureté incarnée. Le temps du dévoilement est arrivé où des Chrétiens se mettent à l’étude de l’hébreu, des textes bibliques et de leurs commentaires juifs, du Talmud, du Midrach et même du Zohar ; c’est le temps où ils interpellent, comme on dit, le judaïsme à travers les Juifs et où ils se lient d’amitié avec eux, fréquentent les synagogues, jeûnent par solidarité et prient toute la journée de Kippour, voyagent en Israël et séjournent dans des kibboutzim !” écrit Armand Abécassis dans l’introduction à “En vérité, je vous le dis”, sous-titré “Une lecture juive des Évangiles.”
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“Nouveau Testament”, une désignation qui me déplaît, une désignation qui sonne faux. Le “Nouveau Testament” est “nouveau en ce qu’il donne à voir l’achèvement de ce qui est destiné à rester inachevé pour les Pharisiens : le Nom divin.” De ce point de vue, la rupture entre le christianisme et le judaïsme est totale. Et n’y aurait-il pas rupture, et non moins totale, entre Jésus — son enseignement — et le christianisme ? Entre JÉSUS et LE CHRIST ?
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“Le christianisme s’est fait religion du voir. Le judaïsme est exclusivement structuré autour de l’écoute”, une remarque centrale qu’il convient d’envisager avec intensité.
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Armand Abécassis rappelle ce qui suit et qui m’a toujours préoccupé : Jésus n’a jamais rien écrit (à en croire la spiritualité chrétienne), “sauf un signe perdu sur le sable un jour.” Il y a là, me semble-t-il, un indice central.
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“L’Église a recouvert la réalité historique de Jésus par l’image du Christ, en continuité avec les Apôtres.” Et c’est bien ce qui me préoccupe depuis longtemps, et c’est bien ce qui me préoccupe toujours plus. L’envie de demander des comptes, parfois.
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Constat terrifiant mais auquel je n’ai rien à redire : “Dans le cours de l’histoire, l’Église a tellement bien compris la capacité de mise en question et de subversion du judaïsme ; elle a tellement identifié les Juifs et l’absence, qu’elle a multiplié les efforts pour les faire disparaître du cœur de la société chrétienne. Elle a désiré l’effacement total des Juifs, candidats à la conversion, à l’expulsion ou à l’anéantissement physique parce qu’ils incarnent le retrait et la distance. C’est un exemple de ce que peut être une cohérence inhumaine : puisque le Dieu des Juifs est connu sous la modalité de l’absence, pourquoi ne pas les identifier à Lui ?”
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Toute tentative chrétienne de se substituer au peuple juif n’a conduit — et ne peut conduire — qu’à un appauvrissement, qu’à un dessèchement. L’Église est ce qu’elle est, et loin de moi l’envie de régler des comptes, mais elle n’est en rien un “Nouvel Israël”, on ne le dira jamais assez. Le judaïsme m’apparaît toujours plus comme une école de pensée et le christianisme comme une religion — dans la mesure où il se veut en rupture avec le judaïsme. Ces mots d’Armand Abécassis viennent confirmer une impression que je porte depuis longtemps : “Le christianisme serait la transformation du judaïsme en religion.”
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“Mais dans la mesure où le christianisme retrouve aujourd’hui une certaine continuité avec le judaïsme, il doit cesser de se présenter comme l’épanouissement de celui-ci, comme son fruit ou sa fleur. Cela conduit les Chrétiens qui le veulent bien à imposer à leur Église l’apprentissage du judaïsme et de la lecture juive de la Torah, afin de découvrir le rôle auquel Dieu — l’Unique — les a appelés en tant que Chrétiens. Ce n’est assurément pas pour se substituer au peuple juif ni à son rôle dans l’histoire en tant qu’Israël.”
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L’athéisme envisagé comme une protection contre les idoles, une démarche à laquelle la pensée sophiste peut être assimilée, une réaction contre le Logos lorsque ce dernier en vint à être quasiment divinisé chez les Grecs. On ne peut toutefois s’en tenir à cette théologie négative qui, redisons-le, permet de s’épargner certaines fièvres, certains égarements. Il est une voie pour dépasser la théologie négative, celle du MiDRaCH, celle des rabbins et de Jésus dans son enseignement quotidien. Tous évitent la lecture fondamentaliste. “Sans le MiDRaCH, on risquerait de s’attacher à “la lettre” dans le sens où les Chrétiens l’ont reproché aux Pharisiens qui, eux, au contraire, s’attachent à la “lecture littérale” pour échapper à celle du fondamentalisme.”
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Ce ton de dénégation qu’a l’Église lorsqu’elle en vient aux Pharisiens. Pharisien, un mot résolument négatif dans le langage courant ; Pharisien, sans oublier ses dérivés. Pourquoi l’Église n’a-t-elle pas plutôt dénoncé les Sadducéens ? Pourquoi ? Il me semble que l’Église a préféré charger les Pharisiens plutôt que les Sadducéens parce que ces derniers avaient de nombreux points communs avec elle. Les Sadducéens, soucieux de leurs privilèges, et prêts à bien des accommodements pour les protéger, lui ressemblaient terriblement. Les Pharisiens quant à eux la dérangeaient. L’Église se chargea donc de les présenter comme des perfides, des barbons perpétuellement occupés à couper les cheveux en quatre, des ergoteurs, des hypocrites et j’en passe, alors que ce sont eux qui ont porté le judaïsme, qui l’ont maintenu comme une force bien vivante. Mais j’y pense, ne serait-ce pas précisément pour cette raison que l’Église a conçu tant d’animosité envers ce courant du judaïsme ? On sait que le pharisaïsme est à l’origine du rabbinisme et de la mise par écrit de la loi orale dans le Talmud. Je ne veux pas donner dans le procès d’intention, mais l’attitude de l’Église envers les Pharisiens doit être étudiée avec la plus grande attention. Il me semble qu’on y trouvera des clés qui permettent l’étude de la généalogie de certains sentiments envers les Juifs, à commencer par la détestation du Talmud, une détestation chrétienne qui s’est propagée hors du monde chrétien.
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Que nous disent les Pharisiens et Jésus à travers le MiDRaCH qui caractérise les textes évangéliques ? Tous nous communiquent le sens humain de la découverte de la Transcendance, une découverte qui s’interdit de proférer tout mot, de former toute représentation, idée, image ou perception, qui enfermeraient le Transcendant en lui-même et nous enfermeraient en lui. Les Chrétiens devraient envisager les Évangiles selon le MiDRaCH, cette méthode d’interprétation des textes qui est aussi “une véritable anthropologie et une science de la relation intersubjective.” Rejudaïser le christianisme, c’est aussi cela. Par cette démarche, les Chrétiens prendraient congé de l’allégorie et de la parabole “qui ne donnent pas à la relation de transcendance son sens véritable.” Ils quitteraient le Christ pour mieux retrouver Jésus, Jésus qui faisait du MiDRaCH et qui ne communiquait que par cette voie. Les Chrétiens devraient s’efforcer vers Jésus le Juif et non vers l’incarnation d’une personne divine, d’un aspect de Dieu, ce qui revient à diviniser l’homme ou/et à humaniser Dieu, dans tous les cas à s’engager sur une pente savonneuse.
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Rejudaïser le christianisme, c’est rétablir une continuité, c’est réparer une fracture. L’Église a congédié les Pharisiens avec la “seconde alliance”, prélude au fils “réel” de Dieu. “La rupture avec les Pharisiens se trouve là précisément, car, en ce point précis, l’Église donne congé au MiDRaCH parce qu’elle se construit sur la lecture fondamentaliste en prétendant que l’Absolu peut, en l’une de ses dimensions, se faire homme.” Par cette lecture fondamentaliste, l’Église a par ailleurs précipité les choses ; elle a obstrué l’espace de l’attente. Le Chrétien voit, le Juif écoute. Souvenez-vous et remuez cette réflexion : “Le christianisme s’est fait religion du voir. Le judaïsme est exclusivement structuré autour de l’écoute.”
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On peut croire en Jésus sans croire en LE CHRIST, sans croire en LE CHRIST dans Jésus. C’est aussi cela être judéo-chrétien.
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J’en reviens aux Pharisiens. Écoutons Armand Abécassis que je vais longuement citer : “Que voulaient donc les Pharisiens ? Ils voulaient d’abord et avant tout le MiDRaCH, l’interprétation des textes et non leur lecture fondamentaliste. Ils prétendaient même que le MiDRaCH a été donné à Moïse en même temps que la Torah écrite au Sinaï, car l’homme a parlé avant d’écrire et l’écriture n’est qu’une transposition de la parole. Ils pensaient que la lecture doit avoir pour visée de remonter à celle-ci qui s’est traduite dans l’écrit. Ils croyaient que la vie vient avec la parole qu’il faut apprendre à retrouver par le texte, dans le texte et à travers le texte, c’est-à-dire par la lecture et donc par l’interprétation. C’est par la parole de YHMH que la vie nous est donnée pour vaincre nos pulsions de mort : elle s’est déposée dans le texte. L’interprétation midrachique permet de la retrouver entre les signes écrits, entre les mots, dans les marges des phrases et dans les mots même puisque aucune liaison ne permet de lier les lettres hébraïques entre elles.” Je lis Armand Abécassis, ou plutôt je l’écoute. Il formule des préoccupations qui me hantent, le mot n’est pas trop fort. Mais écoutons-le encore : “En ce sens oui, les Pharisiens s’attachaient à la lettre parce qu’elle était la plate-forme de l’esprit. Leur lecture était littérale mais pas fondamentaliste. Ils savaient ce que lire signifie, ce que parler veut dire et ce qu’écrire communique. Ils étaient les maîtres de la transmission et de la tradition, de la créativité et de la fidélité. C’est donc à eux que les Chrétiens, Juifs d’origine ou païens, avaient en réalité affaire, puisque leurs ennemis communs étaient les Sadducéens.” Pourquoi les Chrétiens ont-ils poussé de côté et dénigré à ce point les Pharisiens ? Cette question est centrale et il faut s’employer à y répondre sans jamais chercher à régler des comptes ou à vouloir placer untel ou untel sur la plus haute marche du podium : nous ne sommes pas dans une logique sportive.
Armand Abécassis poursuit : “C’est donc le MiDRaCH chrétien qui s’opposait au MiDRaCH pharisien, mais Pharisiens et Judéo-Chrétiens (Matthieu, Marc, Jean ou Paul) s’accordaient à penser qu’ils étaient, les deux, les gens de l’interprétation et non les “gens du livre”. Car la réponse aux Sadducéens était simple et elle reste toujours simple jusqu’à aujourd’hui : il faut les remercier de rappeler toujours l’importance de la lettre à ceux qui l’oublient ; mais il ne faut pas lire la lettre de manière fondamentaliste comme si elle était la copie de l’absolu alors qu’elle n’en est que la traduction.”
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Il y a le MiDRaCH des Judéo-Chrétiens, il y a le MiDRaCH des Pharisiens. L’un et l’autre n’ont pas une même conception de la lettre. Les Évangélistes Matthieu ou Luc comprennent la lettre de manière fondamentaliste et non littérale. Or, ainsi que l’ont pressenti les Pharisiens, la lettre est à mi-chemin entre le réel et l’homme, elle est un rapport entre l’homme et l’Absolu. “C’est donc elle qu’il faut “gratter”, comme disent les rabbins, pour en faire surgir “le sang”, c’est-à-dire la vie qui l’anime, la parole qui s’y est déposée.” Dans “En vérité, je vous le dis. Une lecture juive des Évangiles”, Armand Abécassis suit avec une attention particulière les Évangélistes Matthieu et Luc qui “portent la généalogie de Jésus”. Mathieu tend soit à identifier la lettre à l’esprit soit à la matérialiser au point d’en faire le contraire de l’esprit, alors qu’elle est à mi-chemin entre le réel et l’homme, qu’elle est une réalité humaine, qu’elle ne parle ni de l’homme ni de l’Absolu mais de leur relation. Mais lisez ce livre qui ne peut que dilater le cœur et l’esprit des hommes de bonne volonté. Et je vous conseille cette somme, “La pensée juive” :
“La pensée juive” en quatre temps : “Du désert au désir”, “De l’état politique à l’éclat prophétique”, “Espaces de l’oubli et mémoires du temps”, “Messianités : éclipse politique et éclosions apocalyptiques”
“L’envie de demander des comptes, parfois.”
Et moi donc ! Mais à force de laisser aux seuls théologiens le droit de parler, nous, hommes et femmes de foi, avons abandonné l’idée que notre parole est aussi sacrée que celle de ces initiés.
Depuis des siècles, les fidèles chrétiens n’ont pas osé couper la parole de leurs clergymen. Le dialogue est donc interrompu au bénéfice de l’application stricte du dogme.
Est ce le cas dans le judaïsme ? La tentation fut grande car le fidèle juif a une approche différente des textes comme le dit Abecassis mais aussi parce que le pilpoul est présent.
Les juifs ne sont pas un peuple discipliné. Est ce du à l’exode ? Avons-nous échappé aux pires travers d’une foi statique grâce aux efforts de survie que nous avon du déployé tout au long de notre histoire extra-territoriale ?
Il y avait des “écoles” et non pas une seule selon où l’on se situait géographiquement. Ces différents cercles ont alimenté une remise en question permanente de la loi et, c’est, je pense, ce qui nous a sauvé du fondamentalisme pur et dur existant dans les 2 monothéismes suivants.
Choisir “son” rabbi par exemple était et est toujours possible. Y a-t-il des équivalences dans le christianisme ? Oui mais…dans la pratique de la foi et non dans la remise en question des fondements. A-t-on peur de laver en profondeur dans le dogme chrétien ? Voilà LA question qui me hante à moi…