L’imprécateur
Les Travaillistes reviennent donc au gouvernement. L’opinion publique israélienne se montre majoritairement favorable à la recherche d’un accord politique avec les Arabes. La formule « La Paix contre les Territoires » lancée dans les années 1980 trouve un écho dans une société qui s’embourgeoise. De plus, le pays se sent suffisamment fort pour faire face à des attaques comme celle d’octobre 1973. Reste la question des attentats. Des dirigeants travaillistes (conduits par Shimon Peres, ministre des Affaires étrangères) sont favorables à des contacts directs avec l’OLP. Ytzhak Rabin finit par se rallier à cette idée. La diplomatie norvégienne va favoriser ces pourparlers.
Le Likoud est sonné par sa défaite et le parti est en crise, notamment pour cause de dissensions internes. Une personnalité providentielle va en émerger et commencer à s’y imposer, Benyamin Netanyahou.
Le plus grand journal du pays, Yediot Aharonot (Les Dernières Nouvelles), invite Ariel Sharon à s’exprimer dans ses colonnes. Il va saisir l’occasion pour critiquer durement le gouvernement de Ytzhak Rabin et défendre les habitants des implantations.
13 septembre 1993, signature des accords d’Oslo. C’est l’euphorie des deux côtés, en Israël, dans les territoires palestiniens, dans les diasporas juive et arabe. Quelques-uns ne la partagent pas. On les traite de rabat-joie et de frustrés. Parmi eux, Benyamin Netanyahu et Ariel Sharon. Pourtant, en relisant avec du recul les articles d’Ariel Sharon, certaines de ses mises en garde apparaissent prémonitoires lorsqu’il dénonce le flou qui entoure certains points de ces accords puis de ceux du Caire, notamment quant à la question des réfugiés palestiniens dispersés dans les États arabes voisins, un constat qui l’amène à exiger une clause enjoignant les pays arabes à accorder tous les droits de leurs nationaux aux réfugiés palestiniens installés sur leur territoire. Dans la foulée, il exige également une clause relative à l’unité de Jérusalem. Cinq ans plus tard, c’est le statut de Jérusalem et le « droit au retour » qui provoqueront l’échec des négociations de Camp David…
Ytzhak Rabin (1922-1995)
Les opposants aux accords d’Oslo sont minoritaires mais actifs. La personnalité de Yasser Arafat révulse plus d’un Israélien, et pas seulement à droite. Ariel Sharon déclare regretter d’avoir été empêché de l’éliminer en août 1982. Parmi les opposants les plus résolus aux accords d’Oslo, les habitants des implantations, soit environ 144 000 personnes en 1994. L’un d’eux, Baruch Goldstein, provoque un massacre dans une mosquée d’Hébron le 25 février 1994. Quant aux attaques contre les Israéliens, elles n’ont jamais cessé. Elles sont généralement le fait d’organisations qui refusent le compromis d’Oslo, notamment le Hamas et le Jihad islamique. Des deux côtés les frustrations s’accumulent. La situation sécuritaire des Israéliens ne s’améliore guère. En Cisjordanie et à Gaza, la vie quotidienne et ses tracasseries ne changent guère. Certains tergiversent, parmi lesquels Itzhak Rabin. Ariel Sharon ne donne pas dans la nuance et déclare que si le Likoud revenait au pouvoir il dénoncerait ces accords, ce qui provoque l’irritation du nouveau responsable de ce parti. Les négociations autour d’Oslo II provoquent non seulement la colère de l’opposition mais une rupture dans la majorité.
Ariel Sharon qui tance Itzhak Rabin n’a pas rompu tout contact avec lui. Ainsi tente-t-il de le persuader d’établir une continuité territoriale entre les principales implantations juives de Cisjordanie. Par ailleurs, il insiste sur le droit de Tsahal à effectuer des incursions préventives dans les villes sous tutelle palestinienne afin de prévenir toute tentative d’action terroriste signalée par le Shin Beth.
Itzhak Rabin signe les accords le 29 septembre 1995, à Washington. Le 5 octobre suivant, une grande manifestation a lieu à Jérusalem contre Oslo II. Benyamin Netanyahou et Ariel Sharon dénoncent très durement ces accords et Itzhak Rabin. 4 novembre suivant, autre manifestation organisée à Tel Aviv, cette fois par le mouvement « La Paix maintenant » et qui se veut une réponse à celle du 5 octobre. Il s’agit de montrer que la gauche est encore capable de mobiliser massivement pour soutenir le gouvernement Rabin-Peres dans sa recherche d’un compromis avec les Palestiniens. Mais alors qu’il participe à cette manifestation, Ytzhak Rabin est abattu par Ygal Amir, un étudiant juif d’origine yéménite. Suite aux déclarations de l’assassin, les médias s’empressent de pointer un doigt accusateur en direction de Benyamin Netanyahou et d’Ariel Sharon.
Shimon Peres est Premier ministre par intérim et il lui appartient de fixer la date des prochaines élections, élections à la Knesset mais aussi désignation du Premier ministre au suffrage universel, une première dans le pays. Shimon Peres ne veut pas précipiter les élections afin de ne pas devoir son succès au choc provoqué par l’assassinat d’Itzhak Rabin. De plus, il juge que la droite est hors-jeu et pour longtemps. On votera donc le 29 mai 1996. Mais alors que la plupart des grandes villes de Cisjordanie sont remises à l’administration de l’Autorité palestinienne, les attentats se multiplient, réplique du Hamas à l’élimination de Yahia Ayache dit « l’ingénieur ». A la frontière nord, le Hezbollah harcèle des localités de Galilée. Une riposte israélienne avec tir d’obus mal calculé fait de nombreuses victimes dans un camp de réfugiés. Réprobation internationale mais, surtout, colère des Arabes palestiniens qui se détournent de Shimon Peres.
Ariel Sharon s’emploie à reconstituer un Likoud dont il va éviter l’éclatement ; et il scelle une alliance électorale Likoud-Gesher-Tsomet en mars 1996. Il s’agit à présent d’assurer le succès de Benyamin Netanyahou au poste de Premier ministre. Pour se faire, Ariel Sharon s’efforce de mobiliser les ultra-religieux en leur faisant valoir que seule la droite pourra garantir une présence juive sur les lieux saints des Territoires. Ce soutien relève du pragmatisme : Ariel Sharon sait qu’une victoire de la gauche provoquerait au sein du Likoud une montée en puissance de la nouvelle génération dont il ne peut rien attendre, tandis qu’en contribuant à la victoire de Benyamin Netanyahou il peut espérer obtenir un poste ministériel majeur.
Les élections du 29 mai, très serrées, finissent par donner Benyamin Netanyahou vainqueur puis par le jeu des alliances elles permettent à la droite de constituer une majorité au gouvernement. Ariel Sharon est irrité de voir le ministère des Finances lui échapper et il refuse celui du Logement. Contraint et forcé, Benyamin Netanyahou finit par lui offrir un poste à sa mesure : le nouveau ministère des Infrastructures.
Au cours des trois années de ce gouvernement, Ariel Sharon et Benyamin Netanyahou agissent l’un envers l’autre en fonction de leurs intérêts propres. C’est au cours de ces années qu’Ariel Sharon rencontre Abou Mazen, numéro deux de l’OLP, le 28 juin 1997, une rencontre plutôt cordiale. Ariel Sharon s’est tout de même assuré que son hôte n’a jamais commandité d’attentats terroristes. Abou Mazen, charmeur, commence par remercier Ariel Sharon d’avoir débarrassé l’OLP de la tutelle syrienne en la chassant de Beyrouth… Bien des choses séparent ces deux hommes, mais si Abou Mazen voit en Ariel Sharon un adversaire déterminé, il comprend aussi qu’une fois un accord conclu ce dernier sera en mesure d’en faire respecter les clauses par ses compatriotes. De son côté, Ariel Sharon s’éloigne du dogme officiel selon lequel le seul État palestinien est la Jordanie et il commence à se rapprocher du roi Hussein.
En janvier 1998, la démission de David Lévy, ministre des Affaires étrangères, finit par décider Benyamin Netanyahou à céder la place vacante à Ariel Sharon. Le temps presse, Washington appelle Israël à respecter le calendrier des accords d’Oslo I et II et à transférer à l’Autorité palestinienne une autre tranche de territoires, soit 13 % de la Cisjordanie. De nombreux députés du Likoud sont furieux. La rencontre est fixée à Wye River Plantation, aux États-Unis, à la mi-octobre 1998, rencontre au cours de laquelle les deux parties doivent s’engager à respecter scrupuleusement ces accords.
En nommant Ariel Sharon à ce poste, Benyamin Netanyahou a un double objectif : calmer la droite du Likoud (Ariel Sharon s’est prononcé contre un transfert de territoires au-delà de 9 % de la Cisjordanie) et faire endosser à Ariel Sharon les concessions que l’administration imposera afin d’espérer avancer dans le processus de paix. Les discussions sont tortueuses et mouvementées, elles ne débouchent que sur la signature d’un « mémorandum » qui prévoit le transfert à l’Autorité palestinienne de 40 % du territoire de la Cisjordanie en trois phases, la réduction des zones où Israël exerce des responsabilités sécuritaires, la libération de sept cent cinquante détenus politiques palestiniens et l’arrêt du développement des implantations. En échange, Yasser Arafat devra livrer à Israël trente auteurs d’attentats et s’engager en coopération avec la CIA à combattre les cellules terroristes de Cisjordanie et Gaza. Les Américains donnent aux deux parties jusqu’au 4 avril 1999 afin qu’elles parviennent à un statut final des Territoires et à la création d’un État palestinien dans des frontières internationalement reconnues. A son retour, Ariel Sharon est vivement critiqué par la droite, en particulier par le mouvement des implantations. Il se défend et, en novembre 1997, il appelle les « pionniers des implantations juives en Judée-Samarie » à occuper le sommet des collines afin d’organiser des positions stratégiques avant la rétrocession des territoires.
17 novembre, la Knesset entérine les accords, de nombreux députés du Likoud et des partis religieux ayant fait défection. En réponse, Benyamin Netanyahou décide d’édifier de nouveaux quartiers à Jérusalem-Est. Attentat-suicide du Hamas au centre de Jérusalem. Le « mémorandum » du 23 octobre est mal en point. Benyamin Netanyahou voit sa majorité se déliter, notamment avec le départ de son ministre de la Défense qui l’accuse de torpiller l’application de ce « mémorandum ». Des élections sont fixées au 17 mai 1999. Ariel Sharon à qui on a confié le suivi des négociations sur le « statut final » des Territoires multiplie les contacts internationaux, sonde les uns et les autres. Après avoir remisé son dogme de la Jordanie comme seul État palestinien, il s’efforce à partir de cartes, comme à son habitude, d’élaborer un statut territorial compatible avec la sécurité d’Israël et acceptable par les États-Unis, voire par les Palestiniens.
(à suivre)
Olivier Ypsilantis