En fouillant dans mes archives, un article m’a sauté à la vue. Il est signé Jorge M. Reverte et a été publié dans “El País”, le 20 juin 2010. Ces lignes font suite aux trois articles publiés sous le titre “Les Espagnols antisémites ?”
A la fin de la guerre qui vit la défaite du nazisme, le régime franquiste s’employa avec une certaine efficacité à faire admettre auprès des opinions publiques qu’il avait contribué au sauvetage de milliers de Juifs.
Serrano Suñer en visite à Berlin (au centre, en uniforme noir)
Un journaliste juif, Jacobo Israel Garzón, réussit à mettre la main sur un document unique ou, tout au moins, le seul du genre connu à ce jour ; dégoté à l’Archivo Histórico Nacional et daté du 13 mai 1941, il émane du Gobierno Civil de Zaragoza. Dans un premier temps, Jacobo Israel Garzón le publia dans la revue “Raíces”, une revue culturelle juive espagnole.
Le 13 mai 1941, tous les gouverneurs civils du pays reçurent de la Dirección General de Seguridad une directive signée José María Finat y Escrivá de Romaní (1904-1995), comte de Mayalde de Finat et de Villaflor, alors sur le point d’être nommé ambassadeur d’Espagne à Berlin. Le colonel Valentín Galarza Morante (qui avait joué un rôle de premier plan dans le déclanchement du soulèvement militaire en 1936) le remplacera.
Cette directive ordonnait le recensement des Juifs ‒ isrealitas est-il écrit ‒ accompagné de données personnelles. Monsieur le comte est décrit comme une personne sensible et cultivée. La diligence des fonctionnaires permit le recensement de 6 000 Juifs dans tout le pays. C’est à Berlin, en tant qu’ambassadeur, que Monsieur le comte remit à Himmler, en main propre si je puis dire, la liste des Juifs qui pourraient être offerts aux nazis au cas où l’Espagne, encore dans l’expectative, s’engagerait ouvertement aux côtés de l’Allemagne.
Cette enquête ordonnée par le régime franquiste qui permit d’établir l’Archivo judaico était d’abord destinée à contrôler les sefardíes considérés comme potentiellement subversifs. Il est précisé dans la directive du 13 mai 1941 que les membres de cette communauté sont d’autant plus difficiles à contrôler que leur similitude de tempérament avec les Espagnols leur permet de passer inaperçus et, ainsi, de pouvoir se livrer à leurs manœuvres en toute impunité (“… puesto que por su adaptación al ambiente y similitud con nuestro temperamento poseen mayores garantias de ocultar su origen hasta pasar desapercibidas sin posibilidad alguna de coartar el alcance de fáciles manejos perturbadores”). Ce travail de fichage se révéla plus aisé à Barcelone, aux Baléares et au protectorat espagnol (Maroc) où les Juifs étaient plus structurés, avec leurs synagogues et leurs écoles, plus visibles donc.
Le recensement des sefardíes commença donc le 5 mai 1941, sous l’impulsion de José María Finat y Escrivá de Romaní. La liste de ces quelque six mille Juifs qui pourraient être livrés au cas où était un cadeau offert au IIIème Reich.
Fin 1945, les archives de divers ministères furent passées au peigne fin et expurgées afin de ne pas compromettre le régime franquiste qui put ainsi paraître plutôt favorable aux Juifs, avec ces transits pas vraiment interdits, avec ces diplomates qui de leur propre initiative s’étaient employés à sauver de nombreux Juifs, autant d’actes que l’État franquiste s’efforça de récupérer. J’ai évoqué le plus connu d’entre eux, Ángel Sanz Briz. Je pourrais en évoquer d’autres, à commencer par le Consul Général d’Espagne à Paris de 1939 à 1943, Bernardo Rolland de Miota, “Juste parmi les nations”, dont les interventions provoquèrent la colère non seulement des autorités d’occupation mais aussi de l’ambassadeur d’Espagne à Paris, José Félix de Lequerica Erquiza.
Ci-joint, un lien vers l’excellent site Aschkel.info où figure une interview de Jacobo Israel Garzón, président de la Fédération des Communautés juives d’Espagne :
http://www.aschkel.info/article-l-antisemitisme-en-espagne-une-realite-vivace-45942263.html