En Header, le symbole du « Lehi » d’Avraham Stern – אברהם שטרן
J’ai eu plusieurs fois le plaisir de rendre compte de livres de Pierre Lurçat, des livres lus stylographe en main, avec notes griffonnées dans un carnet puis retranscrites entre le clavier et l’écran.
Mais qui est Pierre Lurçat ? Cet homme étant fort modeste et parlant peu de lui, je me permets de mettre en lien cet entretien au cours duquel il parle tout de même un peu de lui pour notre plus grand plaisir, d’autant plus qu’il le fait non pas sur un mode narcissique (très à la mode) mais en prenant toujours soin de s’inscrire dans une histoire, l’histoire d’un pays, Israël, et du sionisme. Cet entretien peut être visionné sur alyastory#261 Il y est notamment question de son dernier livre, « Israël, le rêve inachevé » dont je recommande la lecture :
https://www.youtube.com/watch?v=fyjyX5vBpb4
Ci-joint, un entretien entre Pierre Lurçat et le Rabbin Oury Cherki, directeur du Centre Noachide Mondial :
https://www.youtube.com/watch?v=FTvFtrspmtY
Ci-joint enfin, un entretien avec Jacques Benhamou sur RCJ où Pierre Lurçat rend compte de son livre, « La trahison des clercs d’Israël » dont je recommande également la lecture :
https://www.youtube.com/watch?v=VNwWncdmAtc
Mais j’en viens à son blog, Vu de Jérusalem, que je vais évoquer d’une manière non systématique et par petites touches. Je m’y suis plongé en cette journée du 14 juin 2020, en commençant par cet article, sobre hommage à un héros d’Israël, un héros trop peu connu ou simplement classé comme « terroriste » ou « extrémiste », lui et son mouvement, le Lehi. Dans cet article, Pierre Lurçat décrit la chambre où Avraham Stern fut abattu par la police britannique alors que la Palestine était encore sous mandat britannique, une chambre qui a été englobée dans un discret musée, l’un des plus émouvants d’Israël. Cet article s’intitule « “Aujourd’hui j’écris avec la plume, demain j’écrirai avec mon sang”, le sionisme révolutionnaire d’Avraham Stern ». Il y est donc question de ce discret musée, le Lehi Museum, installé dans l’un des quartiers les plus populaires et captivants de Tel Aviv, avec le quartier de Montefiore, le quartier de Florentine.
Pierre Lurçat a célébré un autre héros d’Israël, peu connu hors d’Israël, Yossef Trumpeldor. Je partage ces admirations, des admirations qui suffisent à vous mettre un peu à part, mais qu’importe ! Israël est un pays riche en héros comme l’est le peuple juif. Et si je devais énumérer ces très nombreux héros (il est vrai que je n’en connais que quelques-uns), les noms d’Avraham Stern et de Yossef Trumpeldor me viendraient aussitôt, avec Abba Kovner, revenu au pays des Hébreux, et Hannah Szenes (à laquelle Pierre Lurçat rend également hommage). Pierre Lurçat qui a fait son alya à l’âge de vingt-six ans, en 1993, célèbre donc quelques-uns de ces héros.
Pierre Lurçat, né en 1967
On ne sait pas assez qu’Israël est aussi un pays de héros, que le peuple juif a produit nombre de héros, et pas seulement dans le domaine de l’esprit – Hébreux et Juifs redevenus hébreux après la refondation d’Israël. Il est important d’évoquer ces héros au sens épique du mot car le monde non-juif a trop en tête le Juif qui ne résiste pas ou si peu, qui baisse à l’heure du danger. Évoquer ces héros, femmes ou hommes si nombreux, et nullement fabriqués ou arrangés pour les besoins d’une cause, est particulièrement important car ce faisant on bouscule ou on chamboule une vision tout simplement faussée « du Juif », vision si généreusement véhiculée par le monde chrétien et musulman. Le peuple juif est riche en héros et pas seulement bibliques – scripturaires. Il est riche en héros et à toutes les époques.
Non, l’image du Juif malingre et au teint pâle qui se confond avec son ombre en rasant les murs n’existe que dans les imaginations dévoyées par des propagandes culturelles, politiques ou religieuses. Oui, il importe d’évoquer ces héros afin de torpiller des préjugés ; et ce n’est pas de moindre des mérites de Pierre Lurçat. Oui, il faut parler d’Avraham Stern et de tant d’autres ! Il faut nommer les héros d’Israël et montrer leur visage. Car, enfin, pourquoi les Juifs n’auraient-ils pas des héros ? Pourquoi les Juifs redevenus des Hébreux – des Israéliens – n’auraient-ils pas des héros ?
Pierre Lurçat dont le regard est panoramique (lisez ses livres) a très vite compris l’importance du symbole, de la force du symbole, c’est pourquoi il célèbre ces héros d’Israël, ces héros armés parmi lesquels Yossef Trumpeldor. Pierre Lurçat écrit : « “Tov la-mout béad Artsenou” : “Il est bon de mourir pour notre pays”. Les derniers mots prononcés par Yossef Trumpeldor, tombé il y a tout juste cent ans aujourd’hui, en défendant Tel-Haï et les autres yishouvim de Haute-Galilée contre une attaque de Bédouins, sont toujours d’actualité. La cérémonie marquant cet anniversaire était à l’image de l’Israël actuel. Mais quel est l’héritage de Yossef Trumpeldor, et en quoi importe-t-il pour Israël aujourd’hui ? Il y a cent ans, la nation juive renaissant sur sa terre retrouvée avait soif de symboles, et le récit de Tel-Haï et de sa fin héroïque en est rempli. Il réunit en effet, autour du héros manchot de Port-Arthur, monté en Eretz Israel pour participer à l’édification de l’État juif, plusieurs figures marquantes du sionisme de l’époque, comme Zeev Jabotinsky ou Berl Katznelson, mais aussi des organisations comme le Shomer, premier groupe de défense armé, la Haganah, ancêtre de Tsahal, ou encore la Légion juive, première force armée à s’être battue sous un drapeau juif pendant la Première Guerre mondiale ». Il me semble que c’est l’une des nombreuses raisons pour lesquelles Pierre Lurçat s’est intéressé à Zeev Jabotinsky. Zeev Jabotinsky avait compris que ce pays en gestation avait aussi besoin de panache, autrement dit (et j’espère ne pas forcer la note) de montrer au monde que « le Juif », et j’insiste, ne se réduisait pas à de pauvres préjugés, qu’Israël était aussi un pays épique, et peut-être le dernier pays épique au monde. Le panache, j’y reviens, c’est aussi ce qui suit :
https://www.facebook.com/watch/?v=878983475767426
Yossef Trumpeldor (1880-1920)
L’un des héros d’Israël. Pierre Lurçat y fait volontiers référence. Ci-joint, un extrait du portrait que Zeev Jabotinsky fait de Yossef Trumpeldor dans « Histoire de ma vie », son autobiographie traduite de l’hébreu au français (et présentée) par Pierre Lurçat : « Avec un seul bras, il faisait plus de choses que ce que font et feront la plupart des hommes avec leurs deux mains. Sans aide extérieure, il se lavait, se rasait et s’habillait, faisait ses lacets, cousait des pièces aux coudes de ses habits, coupait son pain ; j’ai entendu dire qu’en Eretz Israel il était considéré comme un des meilleurs laboureurs, et par la suite, à Gallipoli, comme un des meilleurs cavaliers et des meilleurs tireurs. Sa chambre était rangée avec un ordre exemplaire – tout comme ses pensées. Tout son comportement était empreint de calme et de générosité ; depuis longtemps il était végétarien, socialiste et détestait la guerre – mais il ne faisait toutefois pas partie de ces pacifistes qui sont assis les bras croisés, pendant que d’autres se battent pour eux. »
Ce n’est pas par hasard qu’un de mes articles a pour titre : « La judéité comme la dernière forme d’aristocratie ». Oui, Israël est aussi un pays épique et la Bible est aussi un livre épique. Il n’est probablement pas très normatif d’écrire que la Bible est un livre épique ; mais aussi suppose pas seulement ; et la Bible offrant autant de degrés de lecture qu’il y a d’hommes de bonne volonté… La « Palestine » quant à elle a toujours été Eretz Israel et Jérusalem sa capitale, capitale unifiée.
En revenant plus méthodiquement sur le blog de Pierrre Lurçat, je constate que nos chemins se croisent assez volontiers, sans le vouloir. Ainsi ai-je été surpris et heureux de lire cet article sur George Steiner intitulé « De Philip Roth à George Steiner, en passant par Mme Maisel : le bonheur perdu des Juifs en Amérique ». J’y relève ce passage : « Le peu que je sais de lui (il est question de George Steiner) je le dois à mon ami Eliezer Cherki qui m’a souvent cité les propos éclairants de George Steiner sur la culture européenne et sa responsabilité dans le nazisme, tirés de son livre le plus connu, « Dans le château de Barbe-Bleue ». Mais comme souvent, s’agissant des intellectuels juifs du vingtième siècle, on préfère retenir de lui le moins juste : l’éloge de la diaspora, la négation du sionisme et le refus d’un Etat juif “doté de canons” (refus qu’il partage avec Albert Einstein, Martin Buber et tant d’autres). L’Europe n’est jamais aussi à l’aise avec les Juifs que lorsqu’ils se complaisent dans l’adoration de l’exil ». Et c’est ce que j’éprouve avec tristesse depuis des années : l’Europe n’est jamais aussi à l’aise avec les Juifs que lorsqu’ils se complaisent dans l’adoration de l’exil…
Je vais en venir au livre de Pierre Lurçat, « La trahison des clercs d’Israël », un sujet qu’il a étudié de manière systématique. Mais tout d’abord, encore un mot au sujet de l’attitude de George Steiner au sujet d’Israël. Et je reprends une appréciation que j’ai exprimée sur mon blog, à savoir que ce monsieur a adopté une attitude de coquet envers Israël. Il juge (et je ne force pas la note) qu’il est plus élégant d’être juif en diaspora que juif en Israël, autrement dit d’être un Juif diasporique plutôt que de défendre des frontières. Il est tellement plus chic d’écrire dans la quiétude de sa bibliothèque des essais sur la théorie du langage et de se dire européen, plutôt que de s’enfermer dans ce petit pays et vouloir le défendre… Il m’est arrivé d’apprécier certains essais de George Steiner mais quand il commence à faire la chochotte au sujet d’Israël, il m’énerve ! Mais il m’énerve ! Vous n’imaginez pas comme il m’énerve !
Joseph Kurtz, le grand-père de Pierre Lurçat
Pierre Lurçat : « Mon grand-père, Joseph Kurtz, originaire de Cracovie, était “monté” en Israël juste après la Première Guerre mondiale, animé par l’idéologie sioniste socialiste et la volonté de construire le pays nouveau. En authentique halouts, il avait défriché les marécages et pavé les routes, allant d’un endroit à un autre, sans jamais s’installer à demeure, dans le cadre du Bataillon du Travail (Gdoud ha-Avoda) qui portait bien son nom, car ses membres étaient de véritables soldats, engagés corps et âme au service de leur mission édificatrice. Joseph avait aussi appartenu, sans doute brièvement, aux Chomrim, ces gardes à cheval qui protégeaient les kibboutz contre les incursions de maraudeurs et les attaques de bandes arabes. Une photo de l’époque le montre, vêtu du costume bédouin prisé des Chomrim, un sabre dans les mains, coiffé d’une keffiah. »
Et j’en viens par des voies à peine détournées à « La trahison des clercs d’Israël », un livre à caractère panoramique où tous les éléments du paysage (politique en l’occurrence) restent précis et parfaitement identifiables, un livre dont la structure se rapproche du livre de Pierre Lurçat qui paraîtra peu après (j’en ai rendu compte) : « Israël, le rêve inachevé : Quel État pour le peuple juif ? »
Dans « La trahison des clercs d’Israël », Pierre Lurçat expose avec retenue (mais on sent en substrat la colère) la généalogie de ces intellectuels pacifistes avec le plus imposant, Martin Buber, un écrivain que j’ai lu avec plaisir et respect sans jamais partager ses positions ambiguës vis-à-vis du sionisme, avec ce parti-pris d’un sionisme culturel qui me fait irrémédiablement penser à un unijambiste – pour ne pas dire un cul-de-jatte –, autrement dit quelqu’un qui ne pourra éviter les coups de pieds dans le cul et qui ne pourra les rendre.
Le sionisme culturel est représenté par toute une équipe de Juifs allemands, fondatrice et issue de l’Université hébraïque de Jérusalem, très brillante, intellectuellement très stimulante mais dont je ne comprends décidément pas l’attitude quant au sionisme considérant l’environnement que doivent affronter les Juifs de la région. Cette attitude (et je pense tout particulièrement à Martin Buber) plus ou moins admissible au début devient tout simplement et assez vite inadmissible, intenable. Comment expliquer sa persistance ?
Pierre Lurçat a circonscrit avec précision (d’une manière clinique pourrait-on dire) cette attitude particulière des Juifs allemands vis-à-vis du sionisme. Mais, une fois encore, comment expliquer l’attitude de ces Juifs allemands, en particulier de ces néo-kantiens, presque tous juifs (voir Hermann Cohen), envers le sionisme ? Comment expliquer l’aveuglement de Martin Buber face à la montée du nazisme ? Il y a un aveuglement que pourrait expliquer une psychologie particulière, mais probablement aussi une psychologie collective, celle des Juifs allemands d’alors. Il ne s’agit pas de s’ériger en juge mais de comprendre. Dans « La trahison des clercs d’Israël », Pierre Lurçat m’a remis en mémoire cette question du rapport éthique / politique posée par le néo-kantisme, une question dont l’étude pourrait au moins en partie éclairer une certaine psychologie. Mais lisez cet article de Pierre Lurçat qui met l’accent sur un aspect relativement peu connu de l’Université hébraïque de Jérusalem ; il s’intitule : « Le “Brith Shalom” et la création de l’Université hébraïque de Jérusalem » :
François Lurçat (1927-2012) en compagnie de son épouse. Ci-joint, la première partie d’un entretien en trois parties avec François Lurçat. Les autres parties sont également consultables en ligne :
https://www.dailymotion.com/video/xb8vxj
Le blog de Pierre Lurçat offre un bel espace pour le francophone juif ou non-juif désireux de mieux connaître Israël. Le sionisme est un thème central de son blog dans lequel on trouve bien d’autres sujets comme cette réflexion philosophique sur les sciences dans l’article intitulé « Seuls dans l’Arche (VII ; quel rôle pour la science à l’ère de la “post-vérité” ? », un article à lire et à relire et qui m’a permis de préciser certaines impressions que je n’avais pas pris la peine de formuler, des impressions avivées par l’affaire du Pr. Didier Raoult. Pierre Lurçat ouvre le débat sur ce constat : « Trop souvent, le débat actuel n’oppose plus des idées ou des thèses argumentées mais des opinions subjectives, qui s’affrontent à coup de sondages et de statistiques dans le meilleur des cas, d’invectives et d’excommunications dans le pire ». Il fait remarquer que le nouveau « grand récit » (l’avènement de la science) s’est substitué dans l’Occident judéo-chrétien à celui de la Genèse, et il dresse un état des lieux aidé par divers penseurs dont Isaac Newton (grand lecteur de la Bible), Georges Perec (qui travailla comme documentaliste au C.N.R.S.) et son article : « Experimental Demonstration of the Tomatotopic. Organization in the Soprano (Cantatrix Sopranica L.) », un pastiche derrière lequel se cache une critique féroce de la science contemporaine. La tonalité de cet article de Georges Perec est à rapprocher de ce qui est bien un chef-d’œuvre du genre (dans ce cas il s’agit de dénoncer le marché de l’art), « Evguénie Sokolov » de Serge Gainsbourg. Il dresse un état des lieux également aidé par Edmund Husserl qui nous invite à ne pas prendre pour « l’Être vrai » ce qui (n’) est (que) méthode, autrement dit ne pas confondre le monde réel et sa description mathématique ; aidé aussi par le physicien François Lurçat, auteur entre autres livres d’un ouvrage au titre éloquent : « La science suicidaire », sous-titré « Athènes sans Jérusalem », un livre qui se termine sur cette considération que reprend Pierre Lurçat : « Pour surmonter ses tendances suicidaires, elle doit corriger la sécheresse obstinée du cosmo-centrisme grec par la compassion et la finesse de Jérusalem. Elle doit corriger la tendance à l’aplatissement, inhérente à la pensée géométrisante, par le sens aigu de la transcendance – et d’abord de l’absolue spécificité de l’homme – portée par la tradition juive. »
Liliane Lurçat (1928-2019)
Dans ce blog passe donc la figure du père, le physicien François Lurçat, mais aussi de la mère, la psychologue Liliane Lurçat, avec ces deux très beaux articles que je vous mets en lien et qui ont respectivement pour titre : « Le dernier Hannoukah de ma mère » et « “Do Bin ich Geboren” : la petite fille de Jérusalem ». Je vous laisse à leur lecture et à la consultation de ce blog :
http://vudejerusalem.over-blog.com/2019/12/hannoukah-5779-le-dernier-combat-de-ma-mere.html
Olivier Ypsilantis
Mes chaudes félicitations, Cher Olivier Ypsilantis, pour ce remarquable reportage consacré à Pierre Lurçat, un mien compagnon de lutte contre l’anti-israélisme des médias français, vers la fin des années 1990, et un remarquable penseur que j’estime énormément.
J’y ferai référence dans un prochain article sur mon site hébergé par Academia.edu (https://shamash.academia.edu/MenahemMacina).
Bravo pour votre travail persévérant et nourricier.
Cordialement
Menahem R. Macina
([email protected])