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Deux émotions – 2/2

 

(Los empedrados artísticos de Lisboa. Le fer découpé de Haïti.)    

 

Los empedrados artísticos de Lisboa. La première réalisation de pavage au Portugal remonte à l’année 1842, Calça da Portuguesa, Lisbonne. Puis c’est au tour du Largo do Rossio, un ondoiement noir et blanc sur plus de huit mille mètres carrés. Durée des travaux : 17 août / 3 décembre 1849. Le Largo de S. Paulo est pavé à son tour. La mode est lancée. Une seconde génération d’artistes prend la relève. Les plus belles réalisations de cet art si portugais : O Largo do Carmo (1863), O Largo de Camões (1867), O Jardim Patriarcal (1870), A Praça do Município / O Largo de S. Julão (1876), A Praça Duque de Terceira (1877), O Largo do Chiado (1886), A Rua Garrett (1888), A Avenida de Liberdade (1889). La thématique se veut emblématique de l’histoire du Portugal, une célébration liée à ses activités sociaux-économiques (poissons, fruits, céréales, animaux, etc.), à son artisanat et, plus encore, aux Découvertes (caravelles, cordages, coquillages, sphères armillaires, etc.). Ces compositions en noir et blanc qui combinent volontiers art populaire et érudition se réfèrent à divers styles tels l’Art Nouveau, l’Art Déco, le Cubisme et l’Art cinétique.

 

 

Au XXe siècle, ce type de pavage (calçada mosaico) se répand dans tout le pays. Cette « folie » est stimulée par les nombreuses récompenses internationales décernées à la calçada portuguesa.

Dans les années 1980, sur l’initiative de la Câmera Municipal de Lisboa et en coopération avec la Liga Portuguesa dos Deficientes Motores, est fondée la Escola de Calceteiros dont l’objectif est de préserver un vaste patrimoine mais aussi de créer de nouveaux modèles.

Le pavage (calçada) tel que nous le connaissons est né d’une nécessité. En effet, le Tenente-General Eusébio Cândido Cordeiro Pinheiro Furtado (1777-1861), alors Governador de Armas do Castelo de S. Jorge, veut occuper les prisonniers dont il a la charge. Aussi sollicite-t-il la Câmera Municipal de Lisboa (C.M.L.) pour que ses calceteiros forment ses prisonniers à l’art du pavage. En 1842, les prisonniers devenus calceteiros commencent par paver l’entrée du Castelo de S. Jorge puis continuent pour finir sur la Parada do Quartel do Batalhão N.°5.

Parmi les plus belles compositions pavées de la capitale portugaise, les larges trottoirs de la Avenida da Liberdade. Il faut s’y promener, d’un côté puis de l’autre, surtout quand le soleil joue avec les frondaisons qui fragmentent sa lumière sur ce pavage, ajoutant à la densité de l’ensemble. Autre magnifique réalisation d’une ampleur particulière, le Largo do Rossio, Praça D. Pedro IV, avec ses ondoiements noirs et blancs à caractère cinétique connus sous le nom de « Mar Largo », un vaste rectangle au centre duquel s’élève la statue de D. Pedro IV. Cette composition fut en grande partie réalisée par les prisonniers du Tenente-General Eusébio Cândido Cordeiro Pinheiro Furtado. Parmi les compositions les plus amples et les plus élaborées, citons également celle de la Praça dos Restauradores, à deux pas du « Mar Largo », avec ses entrecroisements qui évoquent un immense tapis. Même complexité sur la Praça Duque da Terceira.

 

Typical portuguese cobblestone hand-made pavement in Portugal, Lisbon.

 

Les motifs sont exécutés à l’aide d’une figure en bois ou en métal. Après avoir rempli l’espace autour de la figure, généralement à l’aide de pierres blanches, le moule est retiré et pavé, généralement à l’aide de pierres noires.

On ne peut évoquer le pavé portugais sans évoquer au moins brièvement cette cité archéologique romaine, la plus belle du Portugal : Conímbriga. Et le plus beau de cette cité, la plus étudiée du Portugal, sont ses mosaïques :

https://www.youtube.com/watch?v=_OTABnour2g

 

Le fer découpé de Haïti. Le travail du fer découpé haïtien est né à Noailles, Croix-des-Bouquets, à peu de distance de Port-au-Prince, dans les années 1950. Son père, Georges Liautaud (1899-1991). Mécanicien et forgeron, il commence par fabriquer des croix pour le cimetière de sa ville natale. Les trois frères Louisjuste, Janvier, Serisier et Joseph, disciples de Georges Liautaud, vont promouvoir le fer découpé et en faire l’un des arts majeurs de Haïti après avoir ouvert leur propre atelier dans les années 1960, à Noailles. Ils y développent de nouvelles techniques et forment à leur tour des artistes. Dans les années 1970, l’art du fer découpé entre pleinement dans le patrimoine artistique et artisanal de Haïti et la transmission du savoir qu’il suppose est assurée. Aujourd’hui sont employés à Noailles quelque cinq cents artistes, artisans et apprentis.

Georges Liautaud avait travaillé à la Haitian American Sugar Company, S.A. (HASCO) où il veillait à l’entretien des rails du réseau ferroviaire de l’exploitation sucrière. En 1947, il ouvre sa forge, à Croix-des-Bouquets où il fabrique et répare des outils et forge des croix pour le cimetière de son village, des croix qui sont remarquées en 1953 par DeWiitt Clinton Peters, fondateur (en 1944) et directeur du Centre d’Art de Haïti. Sous son impulsion, Georges Liautaud qui a plus de cinquante ans commence véritablement sa carrière artistique. DeWitt Clinton Peters assure la promotion de sa production au niveau national et international. Après avoir réalisé un certain nombre de pièces en fer forgé, Georges Liautaud se consacre au travail du métal recyclé des drums, ce qui l’incite à des innovations tant techniques que thématiques et ce qui va contribuer à l’élaboration d’une nouvelle tradition, toujours très dynamique à Haïti.

 

Haitian steel drum art metal

 

J’ai découvert cet art du fer découpé haïtien au Centre d’Art Haïtien, Espace Loas, à Nice, fondé en novembre 1998 par Patrice et Sylvie Dilly (sous le parrainage de Madame Devroye-Stilz, conservatrice du Musée international d’Art Naïf Anatole Jakowsky), le fer découpé mais aussi de merveilleuses peintures naïves haïtiennes. Je me souviens tout particulièrement d’une sirène en fer découpé de Serge Jolimeau qui se déployait sur toute la longueur d’un bidon (d’un drum) mis à plat, avec une chevelure ondoyant jusqu’à l’extrémité de la composition. Le bouchon du bidon (de gasoil) avait lui aussi été récupéré et faisait boucle d’oreille.

Cet art est un art de la récupération, l’un des plus beaux du genre. La peinture et la sculpture haïtiennes sont elles aussi des arts de la récupération, avec toile des sacs de farine comme support aux peintures et papier des sacs de ciment pour les masques de carnaval et les représentations de héros de la nation haïtienne (en papier mâché). Quant aux sculptures en fer découpé, elles sont réalisées à partir de bidons de gasoil, les drums.

Brièvement. Le « Bosmétal » découpe au burin le fond et le couvercle du drum avant de le fendre sur toute sa hauteur. L’ensemble est passé au feu afin d’éliminer les traces de gasoil et de peinture mais aussi de rendre le métal plus malléable. L’ensemble est aplati et donne un rectangle de 180 cm sur 86 cm. La surface étant nettoyée et aplanie, le « Bosmétal » passe au traçage, à la craie généralement. La thématique est variée, exubérante, avec le panthéon du vaudou et ses centaines de « loas » (esprits) et autres créatures mythiques. Il y a tout un ondoiement de chevelures, de branches, de tiges, de serpents, de poissons… Des floraisons, des oiseaux qui volent en tous sens, des créatures angéliques et diaboliques qui semblent s’éviter et s’enlacer, des foisonnements de fruits… Il y a le vaudou mais aussi des souvenirs du catéchisme avec lectures de la Bible. Dans ces souvenirs prédominent l’Éden, l’Arche de Noé, l’Arbre de Jessé (une schématisation de l’arbre généalogique présumé de Jésus de Nazareth à partir de Jessé, père du roi David), sans oublier des scènes du quotidien. Le fer est découpé suivant le traçage. La plaque de métal s’ajoure peu à peu. Les bords découpés sont limés et polis afin d’en assouplir la ligne mais aussi d’éviter qu’ils ne coupent. Puis elle est gravée et/ou modelée par repoussage (voir par exemple les écailles des poissons). Suit un long travail de polissage au papier de verre. Enfin, l’œuvre est passée au noir de fumée, vernie et séchée.

 

Haitian steel drum art metal

 

Ci-joint, une visite de l’atelier de ce grand nom du fer découpé haïtien : Serge Jolimeau :

https://www.youtube.com/watch?v=Z7S8eu41WJ0

Ci-joint, une superbe présentation de cet art spécifiquement haïtien, Haiti Metal Art. J’aime tout particulièrement les Mermaid Designs from the Metal Drums. A noter la modicité des prix alors que tout est fait main. Les scènes inspirées de la Bible sont également fort belles avec ces trois thèmes particulièrement présents : l’Arche de Noé, Adam et Ève au Paradis, la Crèche et les Rois Mages :

http://www.haitimetalart.com/Mermaid_Metal_Art.html

Olivier Ypsilantis

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