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Des temps de l’histoire juive au Portugal – 6/6

Cet article s’appuie sur un témoignage de Ralph Pinto, témoignage recueilli au début des années 2000. Responsable de la Comunidade Judaica do Algarve, Ralph Pinto est décédé en 2014.

La présence juive au Portugal et dans la Péninsule ibérique est multiséculaire ainsi qu’en témoignent des inscriptions lapidaires que je signalerai en fin d’article.

Entre 1481 et 1496, il y eut une communauté juive à Portimão. Cette communauté est mentionnée dans une lettre du 30 mars 1489 au roi D. João II, lettre qui confirme le transfert de plusieurs maisons de la judiaria (quartier juif) de Vila Nova de Portimão à des Juifs. Cette judiaria devait se trouver dans l’actuelle Travessa da Rua Nova, dans la partie ancienne de Portimão. Aujourd’hui, les fêtes juives sont célébrées précisément Travessa da Rua Nova. Le premier shabbat depuis l’expulsion des Juifs du Portugal (1496) a été célébré dans l’appartement de Ralph Pinto, à Portimão, le 10 juillet 1992, en présence de vingt-cinq adultes et cinq enfants, avec, parmi les adultes, le minimum de dix hommes nécessaires pour constituer le minyan. Le rite en a été ashkénaze. Les membres de cette petite communauté venaient du Portugal, d’Israël, d’Angleterre, de France et d’Afrique du Sud. Dans le passé les langues utilisées auraient été le yiddish pour les ashkénazes et le ladino pour les séfarades, deux langues dont le nombre de locuteurs s’est considérablement réduit.

Pour le shabbat du 14 août 1992, la Câmara Municipal de Portimão a mis à la disposition de la communauté juive la salle de conférences. Y ont participé dix-sept adultes et enfants. En 1994, toujours à l’occasion d’un shabbat, quarante-trois participants étaient présents.

Le terrain du Cemitério Judaico de Faro a été acheté en 1851 par Joseph Sicsu, Mosés Sequerra et Samuel Amram. Cent trente-six sépultures s’y trouvent, soit de simples dalles au ras du sol. Soixante-et-onze d’entre elles portent des inscriptions en bon état de conservation. Dans ce cimetière, également, une pièce destinée à la préparation des corps avant inhumation (la tahara). Il s’étend sur mille mètres carrés et est délimité par un mur blanc de quatre mètres de haut. La communauté juive de Faro s’étant éteinte dans les années 1940, le cimetière s’est terriblement dégradé jusque dans les années 1980 où un inventaire des sépultures a été effectué par une équipe dans laquelle figurait Sam Levy. Le rabbin Abraham Assor a relevé et traduit les inscriptions des dalles funéraires. En 1986, aux tats-Unis, à Woodstock (Illinois), à l’initiative d’Isaac Bitton (originaire de Lisbonne), a été fondé le Faro Cemetery Restoration Fund Inc. Cinquante mille dollars ont été récoltés et transférés à la Comunidade Israelita de Lisboa (CIL). En novembre 1992, les travaux de restauration étaient achevés. La pièce destinée à la préparation des corps avant inhumation a été aménagée en musée et les portes du cimetière ont été ouvertes au public. Le 16 mai 1993, la cérémonie de réaffectation a eu lieu devant le cimetière avec l’aide de la Câmera Municipal de Faro en présence de quatre cents invités dont Mário Suarez, alors président de la République du Portugal. A cette occasion il a planté un cyprès devant ce cimetière, le premier des dix-huit offerts par Leonard Oblowitz en hommage à Aristides de Souza Mendes. Ralph Pinto était l’ordonnateur de cette imposante cérémonie à laquelle ont assisté nombre de personnalités, dont l’évêque de l’Algarve qui a récité un psaume de David. Le président de la Câmara Municipal de Faro a dévoilé une plaque à la mémoire de l’imprimeur Samuel Gacon et a évoqué la contribution des Juifs au développement de Faro avant l’Inquisition puis à partir du XIXème siècle. La cérémonie s’est clôturée par la Hatikva chantée par Judy Frankel. Samuel Gacon est connu pour avoir notamment imprimé en hébreu le Pentateuque, le 30 juin 1487, soit le premier livre imprimé au Portugal.

En 1991, le gouverneur civil de Faro, Joaquim Manuel Cabrita Neto, obtient l’autorisation de la British Library de rééditer en fac-similé le Pentateuque imprimé par Samuel Gacon. Il demande par ailleurs à deux professeurs, Manuel Cadafaz de Matos (Universidad Católica Portuguesa) et Manuel Augusto Rodrigues (Universidad de Coimbra), qu’ils enquêtent sur les publications juives de cette époque. Leurs recherches permettront d’enrichir cette réédition de soixante-dix pages. Le résultat de ce travail sera exposé le 21 mai 1993 au Governo Civil de Faro, en présence de représentants de diverses communautés juives, tant portugaises que de l’étranger, ainsi que de l’évêque de Faro, un connaisseur de la langue hébraïque. Hormis le Pentateuque, Samuel Gacon a imprimé au moins quatorze livres talmudiques et des traités de divorces.

Le 5 décembre 1996, date du cinq-centième anniversaire de l’Édit d’Expulsion promulgué par le roi D. Manuel I de Portugal, avec obligation pour les Juifs de quitter le pays avant la fin du mois d’octobre 1497. Cinq siècles après cet édit est activé le programme Memória de Reencontro. Une session extraordinaire se tient à la Assembleia da Républica, le 5 septembre 1996, en présence de Jorge Sampaio, président de la République portugaise, et de Dan Tichon, président de la Knesset. Les députés approuvent la révocation (c’est la seconde) de l’édit en question et les leaders des différents partis prennent la parole, condamnant les atrocités commises par l’Inquisition et soulignant ses effets désastreux sur le développement du Portugal. Au programme de cette semaine commémorative : la visite d’un village proche de la frontière espagnole, Alpalhão, où des symboles juifs sont encore visibles sur des portes d’entrée de maisons ; la visite se poursuit à Castelo de Vide où est né en 1501 le botaniste Garcia de Horta (d’une famille juive expulsée d’Espagne et convertie au christianisme), dont le portrait figure sur les billets de banque de 20 escudos et sur les pièces de 200 escudos ; pour l’occasion, les plantes qu’il a utilisées à des fins médicinales sont exposées dans le nouvel hôtel de ladite localité ; et toujours dans le cadre de cette semaine commémorative, une plaque est dévoilée dans ce qui avait été l’importante judiaria de Porto ; elle se termine par une visite à la belle synagogue de cette ville, la synagogue Kadoorie Mekor-Haim (inaugurée en 1937) puis à Belmonte, le lieu le plus emblématique ou tout au moins le plus médiatisé du crypto-judaïsme au Portugal.

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Concernant la présence juive au Portugal, une découverte archéologique laisse supposer qu’elle est au moins vieille de seize siècles, ce qui nous porte vers la fin du IVème siècle. Il s’agit d’une dalle de marbre, probablement une dalle funéraire, trouvée dans une villa romaine de l’Algarve, près de Silves. Il pourrait s’agir de la plus ancienne trace juive connue à ce jour dans toute la Péninsule ibérique. L’équipe de Dennis Graen (de l’Université Friedrich Schiller, Iéna) a fouillé durant plusieurs années les vestiges d’une villa romaine découverte en 2005 par Jorge Correia, (archéologue de la Câmara Municipal de Silves) qui avait mis à jour des céramiques et des mosaïques romaines dans la couche superficielle. Les couches plus profondes ont commencé à être fouillées en 2009. La découverte de cette dalle de marbre a suscité un grand étonnement : on s’attendait à trouver une inscription en latin et non une inscription hébraïque qui n’a d’ailleurs pas été identifiée comme telle sur le moment. Il s’agit d’une dalle de 40 x 60 centimètres où se lit notamment le nom « Yehiel », un nom mentionné dans la Bible. A côté de cette dalle, des cornes de cerf datées de 390 ap. J.-C., ce qui laisse supposer que cette dalle n’est pas postérieure à cette date. Jusqu’alors, le vestige archéologique le plus ancien témoignant d’une vie juive au Portugal était une pierre funéraire avec, gravées, des inscriptions en latin et une ménorah, et datée de 482 ap. J.-C., une pierre trouvée dans la basilique paléochrétienne de Mértola, dans le sud-est de l’Algarve. Deux inscriptions en hébreu avaient été trouvées au XIXème siècle, à Espiche (Lagos), et datées du VII ou VIII siècle. La découverte faite dans cette villa romaine près de Silves est absolument inédite dans la mesure où c’est la première fois que dans toute l’aire de ce qui a été l’Empire romain un témoignage d’une présence juive a été retrouvé dans une villa romaine.

Olivier Ypsilantis

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