A mon père dont l’ADN indique la route et le carrefour iraniens.
Ceux qui me lisent savent que je suis sioniste et que la vie d’Israël m’importe plus que tout. Ils savent aussi que je place l’Iran (non pas l’actuel régime iranien dont je souhaite l’effacement) très haut dans mes rêveries et mes espoirs. L’Iran, un pays si méconnu, sans cesse occulté par le tintamarre médiatique.
L’actuel rapprochement entre Israël et le monde arabo-sunnite est exclusivement dicté par la peur qu’a ce dernier de l’Iran. Le monde de demain verra la collaboration entre Israël et l’Iran, une collaboration féconde entre toutes. J’ai cet espoir et je sais qu’il a de solides fondements.
Dans ces temps prophétiques que nous vivons l’entente avec l’Iran viendra, loin de l’horizon muré qui nous est désigné. Cette entente sera couronnée par l’entente avec Israël, pays lui aussi millénaire et chargé des prestiges de l’ancienneté. Ces deux pays aristocratiques ne peuvent que se retrouver et collaborer pour le meilleur. En selle donc !
L’Iran est un fabuleux carrefour. Lorsque les penseurs occidentaux évoquent les piliers de notre culture, ils citent généralement Athènes et Jérusalem ; ils devraient également citer la Perse, ce fabuleux carrefour, tant par l’espace que par la culture. Le « monde iranien » est un vaste ensemble territorial, historique et culturel qui pourrait être encore un lieu de rencontre et d’échange au niveau mondial s’il ne souffrait d’une situation particulière : être encerclé par des arcs de conflits, tantôt ouverts tantôt latents.
Une enluminure de Mir Imad al-Hasani (1554-1615)
On ne peut comprendre la « question iranienne » aussi longtemps que l’on ne tient pas compte de cette donnée : l’Iran s’est éprouvé comme un pays encerclé, ce qui ne relève en rien d’une paranoïa collective. Au nord-ouest, les conflits du Caucase ; à l’est, les conflits d’Asie centrale ; au sud-ouest, le conflit irakien et le golfe Persique (zone particulièrement névralgique) ; et il faudrait ajouter le Proche-Orient.
Au cours de l’histoire récente (XIXe siècle et début XXe siècle), les rivalités entre les grandes puissances impériales, en particulier l’Empire russe et l’Empire britannique, infléchissent l’histoire perse, pays qui par sa position géographique et ses ressources (en particulier le pétrole et le gaz) est particulièrement sensible aux relations internationales, au point que ses relations bilatérales avec les pays limitrophes et voisins ne peuvent être dissociées de ces premières.
De 1953 à 1979, la politique étrangère de l’Iran est basée sur une solide alliance avec l’Occident. De 1979 à 1989 (année de la mort de l’ayatollah Khomeini), l’option est le non-alignement sous-tendu par une attitude globalement anti-occidentale. A partir de 1989, les grandes orientations de cette politique d’isolement s’assouplissent. Personne n’a oublié Mohammed Khatami. Mais assouplissement ne veut pas dire bouleversement, tant en politique intérieure qu’extérieure.
L’Iran, espace de transit, espace parcouru par des nomades le plus souvent venus des steppes asiatiques qui s’installent ou poursuivent vers l’Anatolie et les rives de la Méditerranée. Je passe sur la longue suite des invasions qui se termine avec les invasions turques, du IXe siècle au XIe siècle, et se prolonge au XIIIe siècle avec l’invasion mongole essentiellement composée de tribus turques.
Le territoire iranien, un carrefour de grands mouvements de peuples, un espace essentiel dans le flux des échanges et du commerce pour l’ensemble de l’Europe. Plusieurs segments de la route de la soie passent par le plateau iranien, jusqu’au développement des routes maritimes entre l’Europe et l’Asie au XVIe siècle et XVIIe siècle. L’Iran retrouve une importance géostratégique au XIXe siècle, avec l’extension de l’Empire britannique en Asie (principalement en Inde) et la poussée de l’Empire russe vers le Caucase et l’Asie centrale. L’Iran devient un enjeu stratégique majeur, ce qu’il est encore aujourd’hui. Ce n’est qu’en composant, en temporisant et en multipliant les concessions que l’Iran échappe à la colonisation au XIXe siècle et conserve une indépendance formelle. La révolution d’Octobre 1917 puis le traité soviéto-iranien du 26 février 1921 permettent à l’Iran de desserrer la poussée de la mâchoire nord de la tenaille russo-britannique, un répit que met à profit Reza Shah pour lancer un vaste programme de réformes, restaurer l’intégrité territoriale de son pays et conforter son indépendance. La pression russe s’atténue donc et avec elle la pression britannique. Mais un nouvel enjeu se précise : les ressources pétrolières de l’Iran ainsi que celles de la région du golfe persique. L’Iran qui a vu se desserrer l’emprise russo-britannique (entre 1921 et 1941) se retrouve placé dans une situation inconfortable avec la Seconde Guerre mondiale et la Guerre Froide. A la confrontation idéologique s’ajoute pour l’Iran la question territoriale. La présence de l’Armée rouge sur son territoire au cours de la Seconde Guerre mondiale (c’est par l’Iran que transite plus de la moitié de l’aide américaine à l’U.R.S.S.) encourage des mouvements séparatistes en Azerbaïdjan et au Kurdistan. De ce fait l’Iran doit chercher le soutien de l’Occident pour protéger son intégrité territoriale, une aide qu’il s’empresse de lui accorder considérant les enjeux, parmi lesquels le contrôle du golfe Persique.
La quasi fermeture des frontières soviétiques à partir des années 1920 et jusque dans les années 1960 avait fait de l’Iran une sorte de cul-de-sac. Ce n’est qu’avec l’éclatement de l’Union soviétique, au début des années 1990, que la situation change radicalement, avec l’apparition d’une quinzaine d’États : l’ex-espace soviétique devient pour l’Iran un immense espace riche en possibilités, tant vers l’Asie que vers l’Europe et, dans l’autre sens, l’Iran redevient un carrefour de communications, l’Iran qui porte des projets visant à confirmer son rôle clé dans le système énergétique mondial, des projets qui se heurtent à la question du nucléaire que je n’évoquerai pas dans cet article, préférant m’écarter de l’actualité. J’en profite simplement pour redire une fois encore ma croyance en un avenir d’échange et de coopération avec ce pays doté d’une culture immense et d’une histoire qui a irrigué le monde. Cet espoir ne fait pas de moi un naïf et je ne suis pas le dernier à applaudir aux coups qu’Israël porte au régime, tant en Syrie, qu’au Liban et qu’en Iran même.
L’Iran est l’un des rares pays d’Asie à n’avoir jamais été colonisé alors qu’il n’avait ni les moyens économiques et militaires de s’opposer à une colonisation. Simplement, l’Empire russe comme l’Empire britannique préférèrent ne pas avoir à assumer les coûts politiques, économiques et militaires d’une telle entreprise et établir une zone tampon entre les zones d’influence – voir l’accord anglo-russe du 31 août 1907, accord qui concernait également l’Afghanistan et le Tibet, accord qui mettait fin au Great Game. Ainsi l’Iran servit de zone tampon entre deux dynamiques impériales. Ajoutons à cette partie d’échecs mondiale l’habileté politique des responsables iraniens qui surent de diverses manières (avec notamment l’introduction de puissances tierces dans le jeu, parmi lesquelles l’Allemagne ou la France) maintenir leur pays dans une relative indépendance et lui éviter la colonisation.
Le Great Game et ses deux joueurs, l’Empire russe et l’Empire britannique. Objectifs de l’Empire russe : l’avancée vers l’Inde, les mers chaudes, la possibilité de former un empire colonial au Caucase et en Asie centrale. Conséquences pour l’Iran : la perte de ses possessions en Transcaucasie et de territoires en Asie centrale, l’abandon de ses prérogatives d’État souverain sur la mer Caspienne. Objectifs de l’Empire britannique : la protection de l’Inde (et d’abord contre l’Empire russe), d’où sa présence au sud de l’Iran, ce qui contribuera à la formation de l’Afghanistan, État-tampon par excellence. Conséquences pour l’Iran : perte la région de Herat que les Britanniques voulaient intégrer à l’Afghanistan, les Britanniques qui ainsi influèrent sur le tracé des frontières orientales de l’Iran dans le but le défendre « la perle » de leur empire, l’Inde.
Les frontières actuelles de l’Iran ont donc été établies au cours du XIXe siècle et au début du XXe siècle. Les frontières Nord et Est ont été partiellement établies par les Russes et les Britanniques, comme nous l’avons vu ; les frontières Ouest se sont formées suite à l’évolution des rapports entre l’Empire ottoman et la Perse, avec signature de plusieurs traités. Je passe sur la liste des traités qui ont contribué à définir les actuelles frontières de ce pays, ainsi que sur la délimitation du plateau continental du golfe Persique. Simplement, le plus ancien traité frontalier entre la Perse et l’un de ses voisins est le traité de Zohab avec l’Empire ottoman, en 1639.
La question territoriale s’est prolongée jusqu’à nos jours. Ce n’est que dans les années 1970 que la question du Bahreïn (revendiqué par l’Iran depuis 1820) fut réglée. Et n’oublions pas la question du Shatt al-Arab, fort compliquée et qui pourrait faire l’objet d’un long article à part. On se souvient qu’en 1980, Saddam Hussein dénonça l’accord signé à Alger en mars 1975, ce qui contribua au déclenchement d’une guerre particulièrement meurtrière entre 1980 et 1988. Et passons sur la question des îlots du détroit d’Ormuz, un contentieux aujourd’hui mis en sourdine.
L’Iran, pays de 1 648 000 km2, soit environ trois fois la France, avec une population d’environ 84 millions d’habitants, est l’un des pays au monde avec le plus de voisins directs – ayant une frontière commune. La dislocation de l’Empire soviétique a augmenté le nombre de ses voisins. Par ailleurs, l’Iran est entouré de pays enclavés, sans ouverture sur une mer ouverte (la mer Caspienne peut être considérée comme une mer fermée), ce qui ajoute à la centralité de l’espace iranien, un carrefour. De ce fait l’Iran pourrait se convertir en une puissance majeure et ouverte au monde. Mais des forces internes autant qu’externes, centrifuges autant que centripètes, en ont décidé autrement. Cette situation n’est en rien irrémédiable et je nourris de grands espoirs au sujet de ce pays dont je ne suis en rien un spécialiste mais vers lequel me porte mon intuition, une force romantique (je ne crains pas ce mot) et une passion pour une histoire que je n’hésite pas à qualifier de fascinante. Pour le reste, je ne suis pas naïf et me réjouis des coups portés à l’extérieur comme à l’intérieur (en particulier par Israël puisque je me suis toujours affirmé comme sioniste) contre ce régime, un régime pas si homogène qu’il y paraît.
La jeunesse iranienne souffre de ce régime. La consommation de drogues y est la plus élevée au monde, des opiacés principalement. Le nombre de suicides y est également très élevé. Le radicalisme religieux promu par le régime contribue à détourner nombre d’Iraniens de la pratique religieuse. Je ne sais pas quand ce régime tombera, mais il tombera et dans pas si longtemps ; et il renouera avec Israël, un pays avec lequel il n’a jamais été directement en guerre. En dépit des vociférations du régime, les Iraniens ne nourrissent aucun sentiment de supériorité ou d’infériorité envers Israël, ces sentiments qui trop souvent gangrènent les relations entre individus, entre sociétés, entre pays, et qui sont responsables de la plupart des violences dans le monde. Les Arabes quant à eux, et en dépit des rapprochements entre Arabes et Israéliens, nourrissent de tels sentiments, surtout envers Israël et les Juifs en général. Ces rapprochements ne s’expliquent que par la situation de plus en plus inconfortable du monde arabe, menacé par l’Iran, inquiet face aux Turcs, et qui ne peut plus tant faire pression sur ses clients avec l’arme du pétrole. Ce sont des rapprochements d’opportunisme ; mais, me direz-vous, c’est mieux que de se faire la guerre.
Olivier Ypsilantis
Pingback: Ypsilantis. Des temps de l’histoire iranienne – 1/3 - Citron IL