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Des moments de l’histoire juive – 17/20

La présence juive en Terre sainte a été continue, plus ou moins importante mais continue. Elle aura constitué un lien spirituel actif que viennent enrichir les pèlerinages à Jérusalem puis sur les « tombeaux des Pères ». Le seul nom de Jérusalem suffisait et suffit encore à émouvoir tout Juif (à des degrés divers, certes), qu’il soit laïc ou religieux. La trituration continue des versets bibliques aura maintenu la centralité de Jérusalem et d’Eretz Israël. Aux époques médiévales, les plus grands d’entre eux (parmi lesquels Yehuda Halévi, Maïmonide et Nahmanide) ne se contentent pas de chanter les louanges de la Terre sainte, ils s’y rendent ou s’y font inhumer.

La présence juive en Terre sainte décline fortement de l’époque byzantine à celle des Croisés. Elle se trouve alors au bord de la disparition puis elle stagne après la reconquête par Saladin, puis sous la domination des Mongols et des Mamelouks. Le retour en Terre sainte ne devient significatif qu’après l’expulsion des Juifs d’Espagne. Entre le début de la domination ottomane (1516) et la fin du XIXe siècle, le Vieux Yishouv se constitue par vagues d’immigration très diverses qui s’installent dans les quatre « communautés saintes », Jérusalem, Safed, Tibériade, Hébron. Notons en passant que l’historiographie a longtemps considéré le Vieux Yishouv tantôt comme un élément étranger à l’Israël moderne tantôt comme un précurseur de l’Israël moderne.

Les caractéristiques sociologiques du Vieux Yishouv sont les suivantes : une forte motivation religieuse ; une forte proportion de personnes âgées et de veuves dans les « communautés saintes » (surtout chez les ashkénazes) ; les professions sont liées aux pratiques communautaires, traditionnelles et à l’âge (les deux tiers des fabricants de cercueils sont juifs). C’est ce qui ressort des premières enquêtes systématiques sur les Juifs de Jérusalem faites à l’initiative de Moïse Montefiore. Ces communautés prient et travaillent la terre – « la travailler pour la garder ». Les Juifs tant séfarades qu’ashkénazes de la diaspora reconnaissent l’importance de ce Vieux Yishouv et lui font des dons. Mais l’augmentation de ces dons (la halouqa) se trouve peu à peu annulée par l’augmentation de la démographie. Les Juifs qui arrivent en Terre sainte appartiennent à des communautés très diverses et en arrivant ils ne trouvent pas une société homogène. La répartition de la halouqa entre ces communautés n’est pas égalitaire, ce qui finit par poser de sérieux problèmes car les plus riches ne se montrent pas disposées à aider les plus pauvres. Par ailleurs, la halouqa est vivement critiquée car jugée être un frein à la modernisation du pays et une incitation à la paresse, à l’égoïsme et à l’injustice.

Le Nouveau Yishouv s’installe sous le sultanat d’Abdul Hamid II (1870-1909). Tout au long du XIXe siècle, d’importants changements se succèdent dans la région, surtout à partir de 1840, sous l’influence européenne mais aussi d’entrepreneurs locaux, arabes, grecs, arméniens, juifs séfarades. Production agricole (surtout agrumes) et exportation de cette production, trafic portuaire, infrastructures (surtout chemins de fer), ouverture de consulats, fondations missionnaires hospitalières, scolaires, etc., amélioration du système judiciaire, bancaire, fiscal, protection consulaire, amélioration de la condition des non-musulmans et de la sécurité en général, ce qui a pour effet de stimuler le commerce et de faire sortir les villes de leurs murailles. Bateaux à vapeur, poste, télégraphe, route carrossable puis chemin de fer entre Jaffa et Jérusalem. L’amélioration de la situation sanitaire fait passer le pays à 450 000 habitants en 1880, une augmentation qu’explique aussi l’immigration.

Le Vieux Yishouv ne reste pas étranger à la modernisation de la Palestine ottomane. A la motivation de la prière s’ajoutent des motivations économiques. Contrairement à une image reçue, cette évolution n’est pas le seul fait de la charité de la diaspora et des largesses de Moïse Montefiore. C’est aussi à la raréfaction de la halouqa que l’on doit le développement économique. Les seules forces locales ne suffisent pourtant pas : la fiscalité ottomane pèse lourdement, l’insécurité empêche tout projet hors des villes, sans oublier les catastrophes naturelles comme la destruction de Safed par un tremblement de terre (janvier 1837). Les chrétiens s’activent en Terre sainte, les notables juifs d’Europe également, notamment dans les domaines scolaire et hospitalier. Les Juifs d’Europe et d’Afrique du Nord qui s’installent dans le pays évitent de devenir citoyens ottomans et se placent sous la protection des consulats étrangers. Cette modernisation – ou « productivisation » – n’unifie guère le Vieux Yishouv où l’irritation entre ashkénazes (devenus majoritaires) et séfarades est constante et où les chamailleries entre kollelim au sujet du partage de la halouqa ne cessent pas. Le Nouveau Yishouv va s’engouffrer dans les brèches ouvertes par ces querelles afin de trouver une place d’où faire évoluer le pays. Mais le Vieux Yishouv ne fait pas que se perdre en disputes stériles ; il édifie de nouveaux quartiers à Jérusalem et il le faut car depuis les années 1550 la ville est enserrée dans les murailles édifiées par Soliman 1er le Magnifique. En un demi-siècle, la population de la ville a triplé, une ville devenue sale et obscure. Le quartier juif est surpeuplé et n’occupe qu’un quart de Jérusalem alors que depuis le milieu du XIXe siècle, les Juifs y sont majoritaires. Le système de sous-location pratiqué par ces derniers entrave le développement de la ville. Mais l’édification de bâtiments divers et de logements par des institutions politiques et religieuses chrétiennes stimule les Juifs, à commencer par les Juifs allemands dans la vieille ville puis par les Juifs sous l’impulsion de Moïse Montefiore, à l’extérieur, face à la porte de Jaffa, premier quartier juif hors murailles. L’extension ne cessera plus. La ville de Haïfa se montre très entreprenante, stimulée par la magnifique colonie des Templiers allemands installée sur le mont Carmel. Jaffa sort également de ses murailles (qui sont démantelées) sous l’impulsion des Juifs d’Afrique du Nord.

Le Vieux Yishouv reste préoccupé par l’idée du retour à la terre, et pour des raisons tant économiques que religieuses. Diverses tentatives ont lieu. Le premier projet sérieux aboutit en 1878, avec la fondation par des Juifs de Jérusalem d’une colonie agricole (Petah Tikva), dans la plaine côtière au bord du Yaarkon. Mais l’expérience se termine en 1881.

1882, année des débuts de Nouveau Yishouv. Les Juifs quittent massivement l’Empire russe et ses pogroms. En une vingtaine d’années, deux millions et demi de Juifs quittent le pays. Parmi eux, quelques dizaines de milliers débarquent en Palestine. Ils sont nombreux à ne pas y rester.

Les rapports entre le Vieux Yishouv et le Nouveau Yishouv ne sont pas des plus faciles. Le Nouveau Yishouv n’est guère conciliant et bien décidé à bousculer ce Vieux Yishouv qui à son goût s’adonne un peu trop à la prière et vit essentiellement de la halouqa. Ces nouveaux venus sont plus politiques et nationalistes, ils prônent le modernisme culturel et économique ainsi que le retour à la terre. Et puis il y a ceux, souvent les plus misérables, qui à peine débarqués rembarquent vers une autre misère.

La dichotomie entre le Vieux Yishouv et le Nouveau Yishouv n’est malgré tout pas si tranchée car ces deux groupes respectifs ne sont pas si homogènes. L’activité créatrice des Séfarades du Vieux Yishouv et le traditionalisme de certains membres du Nouveau Yishouv nuancent cette dichotomie et favorisent les rapports entre ces deux groupes.

Il n’empêche, les fondateurs du Nouveau Yishouv dénigrent dès 1882 l’essai mené à Petah Tikva afin de mieux promouvoir leur propre projet, ce que fait notamment Zalman David Levontin, fondateur de la première colonie du Nouveau Yishouv, Rishon le Tsion. Et Moïse Lilienblum se montre encore plus acerbe.

C’est à Jaffa que débarquent la plupart des immigrés de la première alya (1882-1902), c’est donc Jaffa qui voit les débuts d’une activité économique moderne avec la Galilée et les abords du lac de Tibériade où les immigrants de cette alya retrouvent les traces des ancêtres installés dans l’Antiquité puis au XVIe siècle. En effet, les traces d’une vie juive ne manquent pas dans cette région. La présence juive s’y maintient jusqu’aux Croisades. Après un quasi effacement, elle reprend au XVIe siècle et pour un siècle avec les Juifs d’Espagne expulsés et accueillis par les Ottomans. Ils sont nombreux à s’installer à Safed et ses environs, une région qui connaît alors un bel essor économique grâce au moulins implantés entre Safed et Tibériade et qui permettent le travail de la laine et de la soie. Cet essor économique s’accompagne d’un nouvel âge d’or du judaïsme avec la « kabbale de Safed ». La Galilée va tomber dans un relatif oubli pour des raisons économiques avant de connaître une troisième période faste avec la réinstallation de Juifs à Tibériade, Tibériade qui avait été un refuge pour les Juifs après la destruction de Jérusalem par Rome en 70 (une installation brève en 1561, reprise en 1740), puis à Safed – arrivée des hassidim à partir de 1772 et jusqu’en 1837. A Safed, la tradition kabbalistique et l’imagination hassidique se mêlent et donnent à cette communauté un charme très particulier qui se goûte d’abord dans les récits populaires.

Olivier Ypsilantis

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