Chaïm Weizmann a en tête de faire d’une simple sympathie envers le yishouv dans l’opinion juive occidentale un engagement militant. Il veut associer l’Organisation sioniste mondiale (O.S.M.) et les sympathies non-juives envers le Foyer national pour le peuple juif dans une même structure : l’Agence juive élargie. Après avoir été critiquée son initiative va s’avérer efficace. L’Agence juive élargie tient son congrès constitutif à Zurich (du 11 au 14 octobre 1929). Des personnalités et des représentants d’organisations non-sionistes venus de divers pays sont présents. Ils sont disposés à participer activement au projet de Chaïm Weizmann. Edmond de Rothschild est nommé président d’honneur de cette organisation. Parmi les membres de la délégation française, Léon Blum.
L’enthousiasme est pourtant vite douché. Le congrès à peine achevé des pogroms éclatent en Palestine. Ils dureront du 15 au 30 août. Les violences ont commencé dans cet espace réduit, entre la mosquée d’Omar et le mur des Lamentations alors que les Juifs étaient venus prier pour l’anniversaire de la destruction du Temple. Chaque année, des incidents ont lieu dans cet espace, mais ceux de 1929 sont particulièrement violents et se propagent dans le pays à partir du 23 avril. La Haganah fait ce qu’elle peut. Les Britanniques finissent par rétablir le calme début septembre. Les Juifs déplorent cent trente-trois morts, plus de trois cents blessés et des milliers de sans-abri.
Ces violences placent les sionistes dans l’embarras ; ils insistent sur les violences arabes afin de montrer aux Juifs de la diaspora et aux non-Juifs combien il est nécessaire de fonder un État juif ; mais ce faisant, les sionistes apportent de l’eau au moulin des Juifs antisionistes : ces derniers vont pouvoir déclarer que loin de protéger les Juifs, ce retour sur la terre d’Israël risque de les précipiter dans des dangers pires encore.
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La Société des Nations (S.D.N.) se penche sur ce qu’il s’est passé entre la mosquée d’Omar et le mur des Lamentations, à l’origine des violences d’août 1929. Ses délégués (ils sont trois) doivent attendre les doléances des deux parties. La principale activité politique est conduite par la Commission Shaw (du nom de son président, Sir Walter Shaw) désignée par le gouvernement britannique. Son rapport est rendu public fin mars 1930. Il conclut à une responsabilité arabe mais ajoute que l’immigration juive inquiète les Arabes, d’où ces violences, d’où la nécessité de nouvelles restrictions à apporter à cette immigration et aux achats de terres par les Juifs.
John Hope-Simpson se rend dans le pays afin de statuer sur ces questions. En attendant, les Britanniques cessent en mai 1930 d’attribuer des certificats d’immigration. Le Yishouv décrète la grève générale pour le 22 mai. Des manifestations de protestation sont organisées dans les principales capitales d’Europe et à New York. Les plus importantes ont lieu à Varsovie, le 11 juin, où l’ambassade britannique doit être protégée. En septembre, la S.D.N. adopte une position plutôt favorable aux sionistes. Mais l’accalmie est de courte durée. L’inquiétude les reprend en octobre 1930 avec la publication du Passfield White Paper qui s’inspire des conclusions de John Hope-Simpson selon lesquelles il est urgent de limiter les ventes de terres aux Juifs. Le Passfield White Paper introduit par ailleurs une autre donnée en insistant sur le taux de chômage élevé dans la population arabe, ce qui revient à interdire l’immigration juive en Palestine pour une durée indéterminée. Les sionistes protestent. Le sentiment que les Britanniques sont prêts à trahir leurs obligations de 1917 se répand. Des non-Juifs partagent l’inquiétude des Juifs sionistes. Critiqué d’un peu partout, le gouvernement travailliste s’emploie à rassurer les sionistes dès la fin 1930 et en février 1931 le Premier ministre Ramsay MacDonald fait savoir à Chaïm Weizmann que le Passfield White Paper ne sera pas mis en œuvre. Les sionistes respirent et en Palestine le calme se maintient, fragile il est vrai. Toute cette agitation active le Brith Shalom conduit par Judah I. Magnes qui invite les Juifs à accepter un statut minoritaire en Palestine et donc à oublier toute idée d’un État juif. Chaïm Weizmann déclare lui aussi renoncer à l’idée d’un État juif, ce qui suscite un tollé. Il s’empresse de se reprendre et précise qu’il ne s’agit que d’une manœuvre tactique afin de ne pas provoquer l’inquiétude des Arabes et des Britanniques avant d’avoir fait venir dans le pays un premier demi-million de Juifs.
Suite aux violences de 1929, les sionistes révisionnistes (dont la figure dominante est Jabotinsky) ont le vent en poupe. Ils n’ont aucune confiance envers les Arabes, ils se méfient des Britanniques et considèrent avec dédain la politique sioniste officielle. Certains sionistes révisionnistes veulent quitter l’Organisation sioniste mondiale, d’autres veulent éviter une scission ; mais ce que tous veulent, c’est que le sionisme déclare que l’État d’Israël devra occuper les deux rives du Jourdain. Les sionistes socialistes refusent cette agitation et ces palabres et prônent le travail pionnier incessant afin de fortifier les bases d’un État juif en projet. L’Akhdout HaAvoda et le Hapoel Hatsaïr fusionnent pour donner le Mapaï, soit le Parti des travailleurs d’Eretz Israël, créé à Tel Aviv en janvier 1930. David Ben Gourion en prend la direction. Les élections de janvier 1931 donnent près de 40% des voix au Mapaï, le plaçant ainsi en force dominante du Yishouv. La principale force d’opposition à cette coalition socialiste, les sionistes révisionnistes avec plus de 22 % des voix. Les listes de droite classique ne dépassent pas 10 % des voix, ce qui indique un important transfert des partis bourgeois vers le sionisme révisionniste. A Bâle, en juillet 1931, au XVIIème Congrès sioniste, la question de l’État juif comme raison d’être du sionisme est posée par Jabotinsky et ravive les disputes entre sionistes, soit entre révisionnistes et socialistes. Chaïm Weizmann qui s’efforce de tempérer se met à dos une coalition et doit démissionner de l’Organisation sioniste mondiale.
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La révolution de Février 1917 reconnaît aux Juifs tous leurs droits civiques et politiques. A ce propos, et contrairement à une image de propagande antisémite, les Juifs de l’Empire russe étaient dans leur très grande majorité mencheviques (et non bolcheviques – voir le concept de judéo-bolchévisme). Parallèlement à ce mouvement d’émancipation, les organisations sionistes sont en plein essor et l’enthousiasme d’une majorité de Juifs de l’Empire russe est grand. Le principe d’une Assemblée élue au suffrage universel et représentant les Juifs de l’Empire russe est adopté et des élections ont lieu en janvier 1918. Les sionistes recueillent les deux tiers des voix exprimées ; mais l’Assemblée nationale des Juifs de Russie ne se réunira jamais. En effet, Lénine a renversé le gouvernement Kerenski en octobre 1917 et l’affaire ne va pas tarder à mal tourner pour les sionistes. Des sionistes sont élus à l’Assemblée constituante russe début 1918 mais elle est aussitôt dissoute par le pouvoir bolchevique. L’intervention des puissances étrangères, les offensives des armées contre-révolutionnaires et le chaos qui s’en suit (en Ukraine tout particulièrement) suscitent des pogroms bien plus meurtriers que ceux de 1881-1882 et 1903-1906. Les Juifs organisent leur défense, une défense dirigée par Yosef Trumpeldor. Des unités juives d’auto-défense se constituent comme à Petrograd au cours de l’automne 1917 avec un régiment constitué d’officiers et de soldats ayant servi dans l’armée impériale. Puis les Juifs organisent leur auto-défense à Kiev. L’expérience qu’ils ont acquis au cours de la Première Guerre mondiale est mise à profit. Ces unités juives de défense qui se constituent dans de nombreuses localités, fin 1917 et en 1918, sont moins politiques et plus militaires qu’entre 1903 et 1906.
En 1917, les partis juifs soutiennent les volontés indépendantistes ukrainiennes. En échange, l’Assemblée nationale ukrainienne soutient les revendications juives. Mais dès l’automne 1917, des soldats et des paysans se livrent à des pogroms sans que le pouvoir central et les pouvoirs locaux n’interviennent avec détermination. Les pogroms se multiplient jusqu’à la fin de l’année 1918. Un changement de gouvernement avec Simon Petlioura comme figure dominante semble ouvrir une période favorable pour les Juifs d’Ukraine. Les pogroms ne cessent pourtant pas, ils se multiplient même et font de plus en plus de victimes. Le gouvernement ukrainien se désolidarise officiellement de ces violences mais n’entreprend rien pour les enrayer et punir les coupables. Ces violences sont activées par l’idée que les Juifs sont complices des bolcheviques et trahissent donc l’indépendance de l’Ukraine.
Au cours de l’année 1919, les Juifs sont tués par milliers. La communauté internationale s’émeut et fait pression sur le gouvernement ukrainien qui intervient mollement. Les pogromistes ne sont pas que des soldats de l’armée officielle de la République d’Ukraine mais aussi des soldats de troupes irrégulières, des Cosaques, et les armées de Denikine ne sont pas en reste.
Le pogrom de Proskourov (février 1919) marque une étape dans l’horreur. Jusqu’alors les pogroms tuaient plusieurs dizaines de Juifs dans les localités touchées, comparables à ceux que les Juifs avaient eu à subir dans l’Empire russe. A partir de Proskourov, les pogroms tournent au massacre systématique, comparables par le nombre de victimes aux massacres de 1648 en Ukraine. Ces tueries s’accompagnent de multiples actes de sadisme qui n’épargnent personne, pas même les enfants. Les récits recueillis par les commissions d’enquête sont terrifiants. Les violences contre les communautés juives se font exterminatrices.
Que s’est-il passé ? Les Juifs sont mieux armés et organisés dans la défense, ils se sont affirmés politiquement et idéologiquement. Le sionisme est galvanisé par la déclaration Balfour de novembre 1917. Le pourcentage établi à partir de la composition de l’Assemblée nationale juive ukrainienne donne pour ses députés une majorité sioniste, 13 % de religieux et 34 % de socialistes de diverses tendances. Les Juifs se sont donc renforcés mais leurs adversaires se sont encore plus renforcés. Les pogromistes ne sont plus des civils mais des militaires. Et dans une Ukraine en proie aux pires désordres, les troupes sont partout et toujours en mouvement. Des unités entières font irruption dans des bourgades, se livrent au pillage, à la destruction et aux atrocités. Que peut la défense juive ? Le rapport de force entre l’agresseur et l’agressé est devenu terriblement disproportionné et la défense juive malgré quelques succès locaux et ponctuels est écrasée.
Olivier Ypsilantis